Mercredi dernier, le groupe Wagner a été décapité. Dans le crash d'un avion que le renseignement américain a officieusement imputé à une «explosion intentionnelle», dix personnes ont trouvé la mort. Parmi elles figurent les principaux responsables de la milice: son patron et financier, Evgueni Prigojine, son fondateur, Dmitri Outkine, ainsi que le chef de la logistique et de la sécurité, Valéry Chekalov.
Leur décès soulève la question centrale de l'avenir du groupe Wagner. Depuis sa création en 2014, la milice privée a été active dans une quinzaine de pays, notamment au Mali, au Soudan, en Centrafrique, mais aussi en Syrie, au Venezuela et, plus récemment, en Ukraine. Après la mutinerie avortée du 24 juin, une partie des mercenaires s'étaient également établis en Biélorussie, où ils avaient été chaleureusement accueillis par le président Alexandre Loukachenko.
Selon les déclarations d'un haut commandant de Wagner, rapportées fin juillet par une source anonyme, le groupe comptait à l'époque quelque 25 000 combattants. Que vont-ils devenir? Plusieurs pistes sont évoquées. En voici quelques-unes.
La récente médiatisation du groupe Wagner est étroitement liée à son activité en Ukraine. La milice de Prigojine a notamment joué un rôle majeur dans la bataille de Bakhmout, ville située dans l'est du pays. Sa capture, après un siège long et sanglant, a été l'un des premiers succès militaires russes après de nombreux mois.
Au cours de cette campagne, le monde a appris à connaître Wagner et son chef. Cette période a également marqué le point culminant de l'indépendance de la milice vis-à-vis des autorités russes, explique le centre de réflexion américain «Institute for the Study of War» (ISW). Au cours de la bataille, Wagner est progressivement devenu une «structure militaire parallèle quasi-indépendante». Or, selon l'ISW, cela appartient désormais au passé:
L'ISW évoque trois scénarios possibles: le Kremlin pourrait dissoudre complètement le groupe, ou le reconstituer sous la forme d'une organisation beaucoup plus petite et complètement subordonnée au ministère de la Défense. Poutine pourrait également restituer à la milice son indépendance sous la direction d'un nouveau commandant, mais l'ISW juge cette hypothèse «moins probable». D'autant plus que le président russe peut compter sur de nombreuses autres milices privées, qui ont fleuri dans le sillage de Wagner.
Vendredi, Poutine semble avoir pris les premières mesures: le président a signé un décret obligeant les membres des groupes paramilitaires à déclarer leur allégeance à la Russie sous forme de serment, comme le fait l'armée régulière.
Une chose semble sûre: la mort de Prigojine n'aura probablement aucun impact sur la guerre en Ukraine. Après la prise de Bakhmout, le 20 mai, les mercenaires avaient commencé à quitter le pays. La mutinerie avait accéléré ce mouvement de retrait: deux semaines après la rébellion, le Pentagone avait déclaré que les hommes de Wagner ne se battaient plus «de manière significative» en Ukraine. Au total, quelque 22 000 combattants y auraient trouvé la mort.
La mutinerie de Wagner a été stoppée, un jour après avoir été lancée, par la signature d'un accord entre Prigojine, Poutine et Loukachenko. Ce dernier avait, peu après, annoncé que les combattants se trouvaient en Biélorussie, sans en préciser le nombre. Dans une ancienne base militaire située à une centaine de kilomètres de Minsk, 300 tentes avaient été dressées en toute urgence. Jusqu'à 5000 mercenaires y avaient pris leurs quartiers, selon plusieurs estimations.
Loukachenko avait affirmé sa volonté de faire appel à Wagner pour «défendre la nation» en cas de nécessité. Des vidéos de propagande montrant des mercenaires en train de former les soldats biélorusses avaient été diffusées par la télévision d'Etat.
Cela aussi semble, désormais, appartenir au passé. Des images satellites obtenues par l'antenne biélorusse de Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL) montrent que le camp de Wagner est en train d'être démantelé. Le jour où l'avion de Prigojine s'est écrasé, plus d'un tiers des tentes avaient déjà disparu.
Si l'on considère que chaque tente peut accueillir jusqu'à 20 soldats, on peut supposer qu'environ 2000 soldats ont quitté la base, chiffre le média biélorusse. Les images satellites dont il dispose ne montrent pas la formation de camps similaires sur le territoire national.
1/3 The Wagner field camp in Belarus has been actively dismantled since the beginning of August, as shown by @planet satellite images published by @svaboda. pic.twitter.com/cXTVmEjAaK
— Mark Krutov (@kromark) August 24, 2023
Mark Krutov, journaliste chez RFE/RL, fait remarquer sur X que le démantèlement du camp de Wagner a commencé début août: il n'est donc pas «directement lié» à la mort de Prigojine. Après la mutinerie, ce dernier avait décidé de concentrer ses activités sur le Mali, le Centrafrique, la Syrie et la Libye, rapportait fin juillet l'antenne russe de RFE/RL. Les nouveaux candidats étaient soumis à des règles très strictes, ce qui excluait de facto la plupart des anciens détenus qui s'étaient battus en Ukraine. Selon Krutov, cela pourrait expliquer pourquoi le camp a été désaffecté.
Toutes les pistes semblent donc mener vers l'Afrique. Ici, la situation pourrait être bien différente qu'en Biélorussie. Wagner a opéré ou est soupçonné de l'avoir fait dans 12 Etats du continent. Dans certains d'entre eux, le groupe a gagné une influence considérable. Interrogé par l'AFP, le chercheur indépendant John Lechner fournit l'exemple suivant:
«Pour remplacer le personnel de Wagner en Afrique, il faudrait trouver de nouvelles personnes disposant des réseaux et de l'expérience nécessaires à la poursuite des opérations», a-t-il ajouté. «C'est peu probable». A l'instar de John Lechner, d'autres spécialistes interviewés par l'agence de presse française affirment tous la même chose: malgré la mort de Prigojine, Moscou a tout intérêt à poursuivre les activités de la milice en Afrique.
Le Kremlin sous-traite ses activités en Afrique à Wagner depuis des années. Le groupe y mène plusieurs missions: ses combattants sont déployés aux côtés des armées nationales de la Libye, de la République centrafricaine et du Mali; ils mènent des campagnes de désinformation et de déstabilisation et, dernièrement, ils exploitent des ressources minérales dans plusieurs Etats du continent.
Les experts s'accordent sur un autre point: le continent africain se trouve au centre d'une âpre bataille stratégique entre les puissances mondiales, et la Russie n'a aucune intention de céder sa place, gagnée grâce aux activités de Wagner.
De plus, les mercenaires sur place ne seraient que légèrement affectés par la mort de leurs chefs. «Les commandants locaux opèrent de manière décentralisée. Pour ce faire, ils disposent de ressources différentes», explique à la BBC Ruslan Trad, analyste auprès du think tank «Atlantic Council».
Le spécialiste ajoute que la relation entre le groupe et les services de renseignement russes reste un outil précieux pour le Kremlin, qui pourra continuer d'opérer dans la «zone grise», où il pourrait poursuivre les intérêts de la Russie tout en niant toute implication directe.
A moyen terme, il semble donc peu probable que le décès de Prigojine change de manière significative les opérations de Wagner, résume Emily Ferris, analyste chez le centre de réflexion britannique «Rusi». A plus long terme, le groupe va probablement se transformer. Elle prédit le scénario suivant:
Dépourvus de chefs, les groupes restant en Biélorussie seront totalement démantelés, développe-t-elle. Quant à l'autre faction active à l'étranger, elle sera transformée en quelque chose d'autre que Moscou pourra continuer à utiliser comme un outil de sa politique étrangère.