La guerre en Ukraine est aussi une guerre de mercenaires. Ce samedi, le chef du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, a décidé de se retourner contre Poutine et de marcher sur Moscou, avant d'arrêter son opération dans la soirée. Mais il y a une chose que l'on a tendance à oublier: dans son ombre, une multitude d'autres milices privées sévissent en Ukraine.
Il y a dix jours, le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a proclamé un décret selon lequel toutes les unités mercenaires devaient signer un nouveau contrat les plaçant sous l'autorité du ministère de la Défense. Une tentative désespérée de maîtriser leur prolifération et de retrouver une structure de commandement unifiée.
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Selon les médias ukrainiens, sur les 37 entreprises militaires privées actives dans le pays, 25 à 30 combattent du côté russe dans les territoires occupés. Le nombre total de mercenaires qui y sont engagés devrait graviter autour des 50 000 hommes. Des effectifs en constante augmentation. Trois raisons expliquent le phénomène.
Tout d'abord, c'est un business lucratif. L'année précédant l'invasion russe, les bénéfices annuels de Prigojine étaient déjà estimés à 250 millions de dollars. Les énormes pertes humaines en Ukraine et le besoin désespéré de soldats supplémentaires ont multiplié la valeur de chaque mercenaire. Un soldat expérimenté de Wagner peut espérer gagner 3500 dollars par mois, plus des indemnités de combat.
Deuxièmement, les fournisseurs de mercenaires peuvent s'attendre à obtenir les faveurs de Vladimir Poutine, puisqu'ils lui permettent de poursuivre sa guerre sans proclamer une mobilisation générale impopulaire. Les nombreuses provocations et insultes de Prigojine à l'égard des dirigeants russes témoignent du statut particulier du chef de Wagner. Il a longtemps semblé intouchable.
Troisièmement, la position politique et sociale dans la Russie d'après-guerre est un facteur déterminant. Selon la professeure et auteure américaine Margarita Balmaceda, les unités de mercenaires doivent être comprises dans le contexte de la lutte interne pour le pouvoir en Russie.
En dehors des troupes Wagner, sous quels noms se regroupent les mercenaires? Les principales milices se battant du côté russe sont les suivantes:
Le géant énergétique public russe est l'un des derniers acteurs sur le marché national des mercenaires. Début février, un communiqué de presse des services secrets ukrainiens rapportait que le gouvernement russe avait autorisé la filiale Gazpromneft à mettre sur pied des forces de sécurité privées.
La loi russe autorise la création de sociétés de sécurité privées pour protéger les infrastructures énergétiques. L'entreprise Gazprom souligne pour sa part qu'elle ne mobilise ses hommes que pour des missions de surveillance «légales».
Les recherches de la BBC indiquent le contraire. En Ukraine, il y aurait au moins deux unités de mercenaires directement liées au groupe Gazprom. Elles portent le nom de bataillon «Potok» (électricité) et «Fakel» (torche). Dans une interview sur Telegram, Evgueni Prigojine, a été le premier à confirmer le lien de ses «concurrents» avec Gazprom.
Début avril, des mercenaires de Potok se sont plaints dans une vidéo d'un ravitaillement insuffisant. En mai, Prigojine les avait accusés d'avoir rendu aux Ukrainiens des positions conquises par Wagner près de Bakhmout et de s'être tout simplement enfuis.
Le bataillon Fakel, fort d'une centaine de mercenaires, aurait quant à lui combattu à Vouhledar.
Certains analystes considèrent que «Redut» (forteresse) fait également partie du groupe Gazprom. Leurs antécédents disent le contraire, bien qu'ils soient sans aucun doute issus du secteur énergétique russe et qu'ils aient des liens avec Gazprom. Cette milice aurait été reprise il y a plus de dix ans par l'oligarque Guennadi Timochtchenko et la société Stroytransgaz, appartenant à son groupe Volga.
Après des missions en Syrie à partir de 2014 pour surveiller les installations de Stroytransgaz, Redut a fait partie des premières unités de mercenaires russes combattant en Ukraine après l'invasion de février 2022.
En Russie, Redut s'est fait remarquer ces derniers mois par des campagnes publicitaires intensives sur les réseaux sociaux. A la clé, des conditions alléchantes pour tous les hommes avec une expérience militaire et âgés de 25 à 45 ans et un minimum de 2540 francs par mois.
Parmi les nombreuses unités de mercenaires, «Patriot» occupe une place à part. Elle est directement attribuée au ministère russe de la Défense et à Sergueï Choïgou. Selon les informations du think tank américain «Jamestown Foundation», ses rangs sont principalement composés d'anciens militaires bien formés et d'agents des services secrets du GRU. Cela expliquerait également les salaires mensuels princiers allant jusqu'à 15 000 dollars, pour lesquels elle est enviée et contestée par Wagner.
Le Kyiv Post a récemment fait état de sept pays dans lesquels Patriot est actif, dont la République centrafricaine et, depuis 2018, la Syrie. Bien qu'à première vue, il soit paradoxal que le ministère de la Défense contribue lui-même à la prolifération des mercenaires, cela a finalement du sens. Choïgou a ainsi sous la main une troupe privée pour les sales besognes, dont les pertes n'apparaissent pas encore dans les statistiques officielles.
Une réputation particulièrement mauvaise précède la troupe de mercenaires E.N.O.T., fondée par le nationaliste Igor Mangouchev. L'abréviation signifie «Coopérative populaire nationale unifiée», tandis que le mot «enot» désigne le raton laveur en russe. On retrouve cet animal sur le logo de la milice.
L'année dernière, dans une vidéo, Mangouchev a montré de quel genre de crime il était capable en dansant avec, à la main, ce qu'il affirmait être un crâne d'un combattant ukrainien.
Début février, la mort de Mangouchev a été confirmée à l'hôpital. Cause du décès: une balle dans la tête. Sa femme a affirmé qu'il avait été exécuté par l'armée russe à proximité du front. Au cours des années précédentes, le groupe E.N.O.T. aurait déjà été expulsé de Serbie en raison de ses activités radicales, et la justice russe a mené plusieurs procédures pénales contre certains de ses membres.
Le Donbass, la Syrie et le Haut-Karabakh faisaient également partie des zones d'intervention de ce groupe avant la guerre en Ukraine.
Bien que la brigade «Akhmat» du leader tchétchène Ramzan Kadyrov, soi-disant forte de 10 000 hommes, fasse officiellement partie de la garde nationale russe, ses commandants ont été les premiers à signer le décret de subordination de Choïgou au ministère de la Défense.
Kadyrov a récemment semé la confusion en déclarant qu'il souhaitait, à l'instar de Prigojine, fonder sa propre milice. Il affirme lutter dans le monde entier pour la libération des peuples opprimés.
Pour le chef de Wagner, les Tchétchènes de Kadyrov ne servent qu'à se pavaner sur les réseaux sociaux. Il y a quelques jours, des combattants de l'Akhmat ont été transférés dans la région de Belgorod pour sécuriser la frontière contre les incursions des milices russes anti-Poutine.
D'autres unités de combat russes sont régulièrement mentionnées dans les médias ukrainiens et sur Telegram. La «Brigade du Don» et le «Corps des volontaires du Donbass» seraient issus des rangs des organisations cosaques.
Le «Corps slave» et le «Groupe de sécurité Moran» sont deux unités établies depuis un certain temps et disposant d'une grande expérience à l'étranger. L'extrémiste de droite et ex-agent du renseignement militaire Dmitri Outkine aurait servi dans les deux avant de fonder plus tard le groupe Wagner.