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Guerre contre l'Ukraine

«L'Ukraine est face à un dilemme»

Les soldats ukrainiens sont à la veille d'un été décisif.
Les soldats ukrainiens sont à la veille d'un été décisif.

«L'Ukraine fait face à un dilemme»

La contre-offensive ukrainienne se fait attendre. L'expert en stratégie militaire Marcel Berni explique où elle pourrait avoir lieu et comment. Une reconquête de la Crimée est-elle possible? Interview.
07.05.2023, 08:0007.05.2023, 18:52
Corsin Manser
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Les Ukrainiens parlent depuis des semaines d'une contre-offensive, qui n'a pas encore eu lieu. Pourquoi tarde-t-elle?
Marcel Berni: Je ne sais pas. Nous observons en ce moment une sorte de répit. L'offensive hivernale russe a largement échoué. L'Ukraine a pu stabiliser le front sans subir de percée. A l'exception des attaques russes à Vouhledar, Avdiïvka et Bakhmout qui sont encore en cours, les troupes de Poutine s'enterrent et mettent en place des fortifications défensives statiques. Les annonces publiques d'une contre-offensive ukrainienne ont donc déjà eu un impact.

Qu'est-ce que l'Ukraine attend pour agir? La météo joue-t-elle un rôle?
Oui. Des sols solides et secs sont essentiels pour une avancée mécanisée rapide. Lors du début de l'invasion russe, en février et mars 2022, le terrain était boueux, ce qui a fait que l'attaque s'est essoufflée assez rapidement. Ces dernières semaines, il a plu en Ukraine, Kiev attend donc de meilleures conditions. En outre, l'Ukraine a réalisé que le déroulement futur de la guerre dépendrait de cette contre-offensive. Elle a donc pris le temps de se préparer pour former des recrues inexpérimentées au nouveau matériel, à la guerre de mouvement et à la logistique de guerre pour une ou plusieurs opérations d'envergure.

Sait-on où l'Ukraine tentera d'avancer?
Je vois trois possibilités. Premièrement, une ouverture du front de Zaporijia en direction de Melitopol et de la Crimée. Deuxièmement, une attaque à l'est, dans le Donbass. Et troisièmement, une attaque directe à partir de Kherson. Une combinaison de ces variantes est envisageable.

Pouvez-vous nous donner l'exemple d'un scénario possible?
On peut imaginer une première attaque au sud ou à l'ouest avec pour objectif opérationnel de provoquer une percée. Une telle offensive créerait de nouvelles possibilités au nord ou à l'ouest du front pour une deuxième étape.

«Mais je suppose que l'offensive ukrainienne durera plus longtemps qu'on ne le pense pour le moment»
Marcel berni
image: dr
Marcel Berni
Il a étudié l'histoire, les sciences politiques et l'écologie à l'Université de Berne (Unibe). En 2019, il obtient un doctorat à l'université de Hambourg et remporte le prix André Corvisier de la meilleure thèse d'histoire militaire.
Depuis 2014, il enseigne à la chaire d'études stratégiques de l'Académie militaire de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), d'abord comme assistant, puis reprend la chaire en 2023.

Se pourrait-il aussi que l'Ukraine ne mène finalement aucune contre-offensive?
On pourrait aussi argumenter que rien n'est prévu et que Kiev a brillamment dupé son adversaire. Mais la pression internationale est grande, je pense donc qu'une opération ukrainienne de grande envergure aura bel et bien lieu dans les prochains mois.

En octobre 2022, l'Ukraine en a surpris plus d'un en attaquant d'abord à l'est et non au sud, comme elle l'avait annoncé. Assisterons-nous à nouveau à une feinte?
Deux offensives ont eu lieu à l'automne dernier: la première, surprenante et rapide, a été lancée à Kharkiv, la seconde avait pour objectif de libérer Kherson. Il s'agissait alors d'une destruction plutôt lente des lignes d'approvisionnement russes. Kiev tente actuellement de déclencher une dynamique similaire. En mêlant annonces publiques et sabotages derrière les lignes ennemies, l'Ukraine tente de confondre les dirigeants russes et de les forcer à disposer leurs effectifs le long de toute la ligne de front. L'Ukraine pourrait alors attaquer une portion de front de manière concentrée, pour ensuite exploiter les possibilités ainsi créées ailleurs.

Les Ukrainiens ont reçu de nouveaux véhicules armés de l'Occident, notamment des chars Leopard 2 allemands. Quelle sera l'influence de ces nouvelles armes sur le déroulement de la guerre?
Jusqu'à présent, l'Ukraine n'a reçu aucun des avions de combat occidentaux qu'elle a demandés. Mais les véhicules et armes occidentaux devraient être supérieurs aux systèmes russes à bien des égards. Je pense notamment aux chars de combat Bradley, Leopard 2 et Challenger 2, aux pièces d'artillerie et aux lance-missiles.

«L'avenir nous dira si l'Ukraine est capable d'utiliser ces armes de manière coordonnée»
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Soldats ukrainiens devant un char de combat Leopard 2 en Allemagne. image: keystone

Les Ukrainiens n'ont eu que peu de temps pour se préparer et apprendre à connaître le nouveau matériel. N'est-il pas trop tôt pour lancer une contre-offensive?
L'Ukraine fait face à un dilemme: d'un côté, elle a besoin de temps pour former ses soldats aux nouvelles armes et pour réclamer de l'aide supplémentaire. D'un autre côté, l'Occident fait pression pour qu'elle reprenne l'offensive et enregistre des succès. C'est la seule façon d'assurer l'approvisionnement et de contrer la lassitude occidentale face à la guerre. Le défi stratégique de Kiev consiste actuellement à concilier ces deux exigences.

Les Ukrainiens ont certes du nouveau matériel, mais qu'en est-il du personnel? Ne commencent-ils pas à manquer de combattants?
Nous n'avons que peu d'informations à ce sujet. Ce qui est sûr, c'est que l'Ukraine a payé un lourd tribut humain. Le potentiel de mobilisation s'épuise de plus en plus et les ressources humaines doivent être préservées. Quelle que soit l'issue d'une contre-offensive ukrainienne, elle entraînera de nouvelles pertes humaines et matérielles. A l'automne dernier, après avoir sécurisé Kharkiv et récupéré Kherson, l'Ukraine n'a pas eu le luxe de profiter de ses succès: au lieu de continuer à avancer, elle a dû régénérer ses forces.

De l'autre côté, la Russie largue depuis des mois des milliers de soldats mal équipés dans la bataille. Selon les données américaines, 100 000 personnes ont été tuées ou blessées depuis décembre. Combien de temps la Russie peut-elle continuer avec cette tactique?
Qui aurait pensé au début de la guerre que la Russie serait prête à accepter des pertes aussi élevées? Comparée à l'Ukraine, la Russie est un empire en déclin. Mais le pays dispose encore de nombreuses réserves. Je peux imaginer que, faute d'alternatives, Moscou poursuivra cette approche tolérant de lourdes pertes pour espérer l'emporter à l'usure face à Kiev.

Qu'en est-il du matériel dont dispose Moscou? Ont-ils encore des chars en état de combattre? Il y a également des problèmes de ravitaillement en munitions d'artillerie, comme s'en est plaint récemment Evguéni Prigojine...
Nous entendons parler depuis longtemps de pénuries de matériel en Russie. Les sanctions imposées par l'Occident n'ont pas stoppé la machine de guerre russe. Des litiges concernant le matériel ont néanmoins éclaté entre le groupe Wagner et l'armée russe. Je ne sais pas de combien de chars en état de combattre dispose la Russie.

«Ce qui est sûr, c'est qu'une grande partie d'entre eux ont été détruits en Ukraine»
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Et la Russie, est-elle en mesure de mener une contre-offensive?
Je ne vois pas de potentiel pour une offensive du côté russe pour le moment. Pour cela, il faudrait sans doute une nouvelle vague de mobilisation.

Quel potentiel ont les Ukrainiens, d'après vous? Reprendront-ils la Crimée cet été?
Je crois aux chances de succès d'une offensive ukrainienne. La question est de savoir à l'aune de quels objectifs elle sera jugée. Reprendre la Crimée serait un très grand triomphe pour l'Ukraine. Mais je ne peux pas imaginer pour le moment qu'il soit possible.

Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci

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