Dès la fin de l'été passé, les Russes ont commencé à bâtir des fortifications dans les zones occupées. Un énorme dispositif défensif s'étirant de la région de Kharkiv (nord-est) à Kherson et à la Crimée annexée, dans le sud du pays. En tout, plus de 800 kilomètres de tranchées, fossés et bunkers qui coupent l'Ukraine en deux.
👉 Suivez l'actualité de la guerre en Ukraine en direct 👈
Rien de tel n'a été observé en Europe depuis 1945, assure le journal espagnol El Pais dans un article sur le sujet. L'imposant édifice russe impressionne les analystes et a déjà été comparé aux grands ouvrages défensifs des deux Guerres mondiales, comme la ligne Maginot, la ligne Gothique ou la ligne Siegfried. Un point de vue partagé par le renseignement britannique, qui écrivait, ce lundi:
A l'ère des drones, des missiles guidés et des jets, ne s'agit-il pas d'un anachronisme militaire? Les comparaisons évoquées plus haut peuvent le laisser penser. «On était de l'avis que bâtir des fortifications ne faisait plus vraiment sens aujourd'hui. Un conflit moderne était censé être rapide et mécanisé», réagit Julien Grand, rédacteur en chef adjoint de la Revue militaire suisse. «La guerre en Ukraine nous montre toutefois que cela peut être utile».
En se barricadant dans les territoires occupés, les forces russes préparent le terrain face à la nouvelle contre-offensive ukrainienne, annoncée à plusieurs reprises et qui devrait être déclenchée prochainement, peut-être dans les jours à venir. Après la pause hivernale, la météo et les conditions du terrain sont désormais favorables aux grandes manœuvres mécanisées. De plus, Kiev peut à présent compter sur plusieurs chars d'assaut modernes livrés par l'Occident.
Pour le renseignement britannique, les fortifications dressées par les occupants montrent «la profonde inquiétude des dirigeants russes face à une potentielle percée de l'Ukraine». Julien Grand y voit en revanche un «choix rationnel»: «Quand la guerre atteint un statu quo, les attaquants défendent le territoire conquis pour pouvoir le conserver, dans l'espoir de pouvoir reprendre l'initiative dans un deuxième temps», développe-t-il.
Au-delà des motivations de Moscou, les analystes occidentaux s'accordent sur un point: les fortifications russes vont donner du fil à retordre aux attaquants. «La ligne de défense va passablement compliquer la vie des Ukrainiens, qui vont devoir déployer beaucoup plus de forces pour pouvoir avancer», confirme Julien Grand. «Ils devront doubler, voire tripler leurs effectifs, pour s'emparer d'une zone fortifiée».
Selon les photos satellites, seules images existantes de la ligne, celle-ci se compose de plusieurs éléments concentriques: une première zone minée, suivie de dents de dragons disposés en rangées de deux ou trois, censés ralentir l'avancée des tanks. Il y a ensuite des tranchées où est placée l'artillerie, et enfin une dernière ligne où sont aménagés des abris supplémentaires.
«L'objectif des fortifications est de canaliser les adversaires, les forcer à utiliser certaines parties du terrain où les défenseurs peuvent concentrer leur feu», détaille Julien Grand, qui formule la comparaison suivante:
Les fortifications souffrent pourtant d'un gros défaut, poursuit le spécialiste: «Elles sont statiques et, par conséquent, c'est facile de les bombarder avec l'artillerie et l'aviation. De plus, du moment qu'elles sont dépassées, elles n'ont plus aucune utilité».
Malgré ces désavantages, les fortifications russes vont jouer un rôle majeur dans l'imminente contre-attaque ukrainienne, estime Julien Grand:
Pour le spécialiste, ce n'est pas gagné. Deux scénarios se dessinent: «Si les forces ukrainiennes n'arrivent pas à percer la ligne russe, on reste sur une situation de statu quo», analyse-t-il. «Ce n'est pas invraisemblable, malgré la multitude d'armes que l'Occident a fournies à Kiev».
«Par contre, si les Ukrainiens parviennent à percer les défenses russes, cela pourrait générer un mouvement de repli de la part des adversaires», poursuit-il. La tâche s'annonce pour le moins ardue, car franchir la ligne «n'est que la moitié du travail». L'expert détaille:
Les prochaines semaines nous diront lequel des deux scénarios va se produire. «La situation idéale serait bien sûr de parvenir à franchir la ligne, à plusieurs endroits si possible», commente Julien Grand. Et de conclure: «Kiev devrait par contre éviter les échecs à la Première Guerre mondiale, c'est-à-dire de grandes offensives qui se soldent par beaucoup de pertes et presque aucune avancée territoriale. Cela serait délétère pour le moral des troupes».