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Guerre contre l'Ukraine

La dissuasion nucléaire française, crédible face à Poutine?

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Le sous-marin nucléaire Le Terrible est doté de missiles balistiques mer-sol M51, ici à Cherbourg-Octeville (Manche), le 20 mars 2008Image: www.imago-images.de

Poutine a 1600 têtes nucléaires et la France 290, ça suffit?

Face à une Russie surarmée et une Amérique incertaine, la France peut-elle vraiment devenir le bouclier nucléaire de l’Europe? Décryptage avec un expert.
04.03.2025, 19:1004.03.2025, 19:10
Benoît Grémare / the conversation
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Un article de The Conversation
The Conversation

L'arsenal nucléaire français (290 têtes déployées) est sous-dimensionné pour répondre à la menace russe (1600 têtes déployées). A quelles conditions la France pourrait-elle assurer une dissuasion à l'échelle européenne, alors que la protection des Etats-Unis ne semble plus garantie?

Dès 2020, Emmanuel Macron a proposé une réflexion sur la dimension européenne de la dissuasion nucléaire française. En ce sens, il a proposé un dialogue stratégique ainsi que des exercices nucléaires conjoints entre les partenaires européens. Cinq ans plus tard, en février 2025, Friedrich Merz, futur chancelier fédéral, a répondu à cet appel, préconisant une extension du parapluie nucléaire français à l'Allemagne alors que les Etats-Unis de Donald Trump n'apparaissent plus comme un partenaire fiable pour protéger l'Europe.

Mais la France a-t-elle les capacités de défendre l'Europe? L'hypothétique déploiement du parapluie nucléaire français en Europe de l'Est permettrait-il de concrétiser l'autonomie stratégique de l'Europe, lui donnant les moyens de se défendre en toute indépendance?

La dissuasion nucléaire française face à la menace russe

A l'origine, la France a développé son armement atomique pour répondre à la menace de l'invasion soviétique et pour éviter toute dépendance vis-à-vis des Etats-Unis. Selon une doctrine stable et régulièrement réaffirmée par le pouvoir politique, Paris utiliserait son arsenal stratégique par voie aérienne et sous-marine en cas d'attaque contre ses intérêts vitaux.

Reste que, sans le soutien états-unien, le rapport de force apparaît largement défavorable à la France, laquelle dispose de 290 têtes nucléaires contre 1600 têtes déployées (4380 têtes avec les stocks) côté russe.

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Certes, la puissance explosive des ogives thermonucléaires, alliée à la portée balistique du missile mer-sol balistique stratégique français M51, permettrait de vitrifier les principales villes russes, dont Moscou. Mais à l'inverse, il suffirait aux Russes de «200 secondes pour atomiser Paris», selon une estimation donnée à la télévision russe au sujet des missiles thermonucléaires Satan.

Cette opération classique de communication renvoie à la perspective dite du «goutte à goutte» consistant à détruire les villes ennemies dans un échange atomique au coup par coup, dans lequel la Russie peut compter sur son immensité pour gagner à l'usure. C'est cette potentielle vitrification réciproque qu'il faut garder à l'esprit dans le pari mutuel de la dissuasion nucléaire.

Afin de doper l'impact de la dissuasion nucléaire français, un partenariat pourrait être envisagé avec le Royaume-Uni. Puissance nucléaire depuis 1952, Londres ne possède plus que des missiles balistiques lancés par sous-marin et a décidé, depuis le Brexit, de renforcer son arsenal à 260 têtes nucléaires. Mais, bien que partageant des intérêts communs, ces deux puissances nucléaires européennes ne sont pas équivalentes.

Australia Riles France With Sudden US-UK Nuclear Submarine Pact File photo dated July 4, 2017 of French president Emmanuel Macron looks on as he stands with crew of the submarine Le Terrible and Chief ...
Emmanuel Macron à bord du sous-marin Le Terrible, en 2017.Image: www.imago-images.de
A propos de l'auteur
Ancien officier à l’escadrille des sous-marins nucléaires d’attaque, Benoît Grémare a effectué une thèse de droit public sur l'arme nucléaire française en proposant sa constitutionnalisation. Chercheur associé à l’Institut d’Études de Stratégie et de Défense (IESD - Lyon III), il s'est spécialisé sur le nucléaire de défense et a publié l’ouvrage De l’arme nucléaire française - Essai sur la constitutionnalisation de la force de frappe (2021) dont le sujet a fait l’objet d’une proposition de loi constitutionnelle en février 2023 à l’Assemblée nationale.

Contrairement au Royaume-Uni, qui est membre du groupe des plans nucléaires de l'Otan et dont les ogives sont conçues aux Etats-Unis, la France produit ses armes sur son propre territoire et n'est soumise à aucune obligation de l'Otan, ce qui donne à Paris une grande marge de manœuvre pour définir sa doctrine. Enfin, la France reste légitime pour parler au nom de l'Union européenne, dont elle fait politiquement partie depuis sa création.

La France, une alternative à la dissuasion élargie des Etats-Unis

La France est devenue officiellement une puissance atomique dès 1960 en s'appuyant sur ses propres ressources, le soutien extérieur des Etats-Unis oscillant au gré des événements. Car l'apparition d'une force stratégique française indépendante a longuement contrarié Washington qui a cherché à la restreindre par des traités internationaux – comme le traité de 1963 limitant les essais nucléaires atmosphériques ou encore le Traité de non-prolifération (TNP) en 1968. Depuis 1974, officiellement, la force nucléaire française a un rôle dissuasif propre au sein de l'Otan, contribuant à la sécurité globale de l'Alliance en compliquant les calculs des adversaires potentiels.

Il y a près de soixante ans, la mise en place de la riposte graduée par le président Lyndon Johnson avait renforcé les doutes sur la détermination de la Maison Blanche à s'engager pleinement dans la défense de l'Europe. Aujourd'hui, la volonté du président Trump de mettre fin au soutien de son pays à l'Ukraine confirme ces soupçons. Dès lors, des voix de plus en plus manifestes et insistantes plaident pour l'acceptation d'une force nucléaire française qui ne serait plus chimiquement pure, mais qui s'étendrait à l'échelle européenne.

Le problème de la masse d'armes à disposition

La demande du futur chancelier allemand Friedrich Merz rejoint la proposition française d'établir un dialogue engageant les Européens dans une démarche commune. Comme l'a rappelé le ministre des armées, la définition précise de l'intérêt vital relève de la seule responsabilité du président de la République française en fonction des circonstances. Pour autant, l'emploi de l'arme nucléaire pour protéger l'Europe implique une discussion stratégique pour définir la puissance à acquérir, les intérêts à défendre et le mode de commandement du feu nucléaire.

Avancer vers le cadre d'une européanisation de la force nucléaire signifie augmenter les capacités de dissuasion et, donc, accroître l'arsenal français pour lui permettre de répondre aux menaces qui concernent l'ensemble des 27 Etats membres de l'Union européenne. Cela nécessite de constituer des stocks supplémentaires de matières fissiles et donc de réactiver les usines de production de Pierrelatte (Drôme) et Marcoule (Gard) démantelées en 1998, sacrifiées sur l'autel du désarmement unilatéral.

Le dogme de la stricte suffisance doit également être questionné. Si aujourd'hui, 290 têtes nucléaires représentent la valeur que la France accorde à la défense de son existence, ce prix paraît négliger l'échelle du continent européen, et la logique le confirme: les puissances nucléaires de taille continentale telles que les Etats-Unis, la Russie et bientôt la Chine déploient un arsenal à hauteur d'un millier de têtes thermonucléaires.

La remontée en puissance prendra du temps et nécessitera un effort budgétaire pour son extension européenne au travers de l'augmentation du nombre de missiles et d'avions porteurs. Outre la construction de nouvelles infrastructures dans les pays européens partenaires, le coût pourrait dépasser 10 milliards d'euros annuels, sans compter les coûts indirects liés à la maintenance et à la logistique. Un temps long à prendre en compte d'autant que l'offre politique et stratégique d'une protection nucléaire élargie évolue au gré des circonstances.

Pré-positionner des armes en Europe de l'Est?

Alors que Berlin préférait jusqu'à présent que la France assume un rôle simplement complémentaire à la dissuasion élargie des Etats-Unis, l'abandon de l'Ukraine par ces derniers donne une prime à l'agresseur russe. Comme l'indique Emmanuel Macron, la France pourrait en réaction proposer un prépositionnement de ses forces nucléaires dans les pays d'Europe de l'Est avec l'idée de se substituer à terme aux Etats-Unis.

Ce parapluie nucléaire français concrétiserait l'autonomie stratégique européenne à travers le déploiement d'avions de combat à capacité nucléaire, signe de la solidarité politique européenne et rendant plus difficiles les calculs de Moscou.

La présence visible de ces avions en Europe de l'Est pourrait empêcher la Russie d'attaquer les pays en question avec des moyens conventionnels, une telle attaque risquant de provoquer une riposte nucléaire française au nom de l'Europe.

Cet article a été publié initialement sur The Conversation. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original

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