Selon un dernier bilan provisoire, établi ce dimanche 18 juillet, plus de 183 personnes ont péri dans les violentes intempéries qui ont touché une partie de l'Europe centrale en ce début juillet.
L'Allemagne paie le plus lourd tribut avec plus de 156 morts; suivie par la Belgique, où l'on compte des dizaines de décès. Les recherches pour retrouver les disparus sont toujours en cours, laissant présager un bilan plus lourd.
Comment une catastrophe naturelle peut-elle faire autant de victimes quand elle a été prévue avec autant d'anticipation? Quel est le rôle du dérèglement climatique dans cette situation? Comment anticiper au mieux ce type d'événements? Autant de questions auxquelles nous allons tenter d'apporter des réponses.
Elles s'expliquent par les très fortes pluies qui se sont produites les 13 et 14 juillet sur ces régions. À titre d'exemple, le Deutsche Wetterdienst (DWD, le service météorologique allemand) a enregistré 154 mm de pluie à Cologne le 14 juillet, ce qui correspond à 154 litres d'eau tombée par mètre carré! Un véritable déluge qui, en raison de sa forte intensité, ne peut s'infiltrer, alimentant directement les cours d'eau par ruissellement.
Pour aggraver le tout, cette pluie succédait à une journée du 13 juillet particulièrement pluvieuse, avec des sols déjà humidifiés par les pluies des derniers jours. Quant à la situation météorologique qui a permis de telles pluies, elle est relativement classique pour l'Europe centrale, même si sa durée est exceptionnelle.
Il s'agit d'une poche d'air froid isolée – les météorologues l'appellent «goutte froide» – qui a une tendance naturelle à se bloquer au-dessus d'une large zone. Ce blocage favorise des cumuls pluviométriques très importants sur un espace restreint. Autour de la dépression froide, l'air chaud (avec un fort contenu en vapeur d'eau) vient se condenser et occasionne des chutes d'eau importantes.
Les grandes crues d'Europe centrale se produisent bien généralement en été: on peut citer récemment la grande crue de l'Elbe de juin 2013, les grandes crues du Danube de juin 1965 et de juin 2013, la grande crue de l'Oder de juillet 1997. Dans la vallée de la rivière Ahr, particulièrement touchée par les inondations de ces derniers jours, les grandes crues de référence datent de juillet 1804, juin 1910 et juin 2016.
L'hydrologue français Maurice Pardé avait créé pour ces événements une classe spéciale – «Les crues de type Europe centrale» – qu'il expliquait déjà par un phénomène de «goutte froide» semblable à celui observé ces derniers jours.
Le phénomène qui s'est produit ces derniers jours peut être dit «classique», aussi bien du point de vue météorologique qu'hydrologique. À première vue, pas besoin d'invoquer le rôle du changement climatique pour l'expliquer.
En revanche, ce qui peut et doit retenir notre attention, c'est que les intensités de pluies relevées (et les cumuls) sont à proprement parler «extraordinaires».
Cette évolution correspond à ce que les météorologues prévoient comme conséquence de l'élévation des températures, en vertu de la loi de Clausius Clapeyron qui relie la quantité maximale de vapeur d'eau que peut contenir l'atmosphère et la température de cette dernière; et qui laisse prévoir une augmentation de 7% de la quantité totale de vapeur d'eau dans l'atmosphère par degré Celsius supplémentaire: c'est cette augmentation que l'on peut redouter pour les fortes pluies.
D'autres travaux récents sur les crues peuvent également nous éclairer: dans un article publié en juillet 2020 dans la revue Nature, le professeur Günther Blöschl (Université technique de Vienne) a ainsi montré que si la période actuelle n'est pas unique dans l'histoire de l'Europe par l'abondance des phénomènes de crues et d'inondations, elle est unique par sa température.
En effet, si d'autres périodes relativement «riches» en crues ont existé en Europe dans le passé (1560-1580, 1760-1800 et 1840-1870), elles étaient toutes plus froides que la moyenne, alors que la période récente se démarque par une température nettement en hausse par rapport aux moyennes de long terme.
Ce qui frappera sans doute le plus les spécialistes dans cet événement de juillet 2021, c'est que le caractère exceptionnel des pluies qui se sont abattues sur l'Ouest de l'Allemagne et la Belgique avait été prévu dès le 12 juillet: le Centre européen de prévision du temps à moyenne échéance (ECMWF) avait, en effet, annoncé la très forte probabilité de pluies exceptionnelles et émis une alerte transmise au service météorologique allemand (DWD).
Ces prévisions paraissaient, d'autre part, particulièrement fiables, ce qui est assez inhabituel. Voici ce qui nous permet de l'affirmer:
Il n'existe aucun moyen de retenir les pluies diluviennes, et dès lors que ces pluies sont tombées, stocker l'eau pour écrêter les crues devient un problème technique et économique.
Il n'est clairement pas possible d'imaginer construire des barrages ou des digues pour écrêter les crues sur toutes les petites rivières, et il faut donc se résoudre à n'y avoir que des systèmes d'alerte, et à mettre en place des mesures de prévention:
Sur des rivières plus importantes, à l'amont de plus grandes agglomérations, il est possible de limiter les débordements grâce à des barrages-réservoirs et des digues. Ces solutions ont un coût, elles consomment de l'espace, et il faut donc raisonner leur construction en comparant coûts et bénéfices.
L'aménagement du territoire, notamment lorsqu'il s'agit d'interdire la construction en zone inondable, est la solution «de bon sens» qui se heurte cependant aux intérêts particuliers.
Quant aux solutions dites «d'hydraulique douce», prônées par les défenseurs de la nature (plantation de haies, bandes enherbées, etc.), elles n'ont aucun effet sur des crues de grande ampleur causées par les pluies exceptionnelles, comme celles que l'Allemagne a connues ces derniers jours.
Comme on l'a vu, parvenir à prévoir (même plusieurs jours à l'avance) des crues exceptionnelles ne suffit pas: étant donné l'incertitude qui accompagnera toujours les prévisions hydrologiques et météorologiques, le défi principal est celui de mettre en place une véritable culture du risque, afin de garantir une réaction rapide à des phénomènes auxquels la population n'a jamais été confrontée.
Garder une population mobilisée et prête à réagir est possible si le risque est fréquent (c'est le cas pour les tremblements de terre au Japon par exemple). Cela semble plus difficile à organiser pour des événements réellement exceptionnels de crue.
Il semble donc essentiel de poursuivre les efforts dans plusieurs directions: amélioration des systèmes de prévision, amélioration de l'usage de ces prévisions, de la communication de crise. Et en dehors des crises, il reste essentiel de poursuivre les efforts sur le bâti en zone inondable.
Cet article a été publié initialement sur The Conversation. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original