Quelles sont les forces en présence dans cette rébellion?
Dans la Fédération de Russie, il y a quatre types de forces. Il y a d’abord les forces régulières, qui dépendent du ministère de la Défense, dirigé par Sergueï Choïgou, et du chef de l’état-major général, Valéri Guerassimov. On trouve ensuite la Garde nationale, appelée Rosvargdia, qui est aussi armée et qui est rattachée au ministère de l’Intérieur, plus directement au président de la Fédération de Russie, en l'occurrence Vladimir Poutine. La Garde nationale est partie prenante dans la crise actuelle, mais on ignore encore de quel côté de la barrière. La troisième force, ce sont les troupes du FSB, les services secrets. Là non plus, on ne sait pas encore de quel côté elles se trouvent. A ce propos, tout a commencé vendredi soir avec le prétendu bombardement d’un campement du groupe Wagner par l’armée régulière.
Quelle est la quatrième force?
Ce sont les milices, nombreuses, et celle de Wagner en est une. Choïgou, le ministre de la Défense en possède une aussi, de même que des industriels. C'est large.
Vous évoquez un possible conseil des chefs. Dans quel but?
D’après les dernières déclarations de Prigojine, l’objectif de Wagner ne semble pas être un coup d’Etat destiné à couper la tête de Vladimir Poutine, mais c’est d’avoir la peau de Choïgou et Guerassimov. Prigojine présente la donne de la manière suivante: Poutine a été berné par les élites corrompues, c’est-à-dire Choïgou et Guerassimov, plus certains oligarques qui lui auraient menti de façon à déclencher le conflit avec l’Ukraine, le tout pour de mauvaises raisons. Prigojine se décrit dans l’affaire comme le partisan numéro 1 et le plus fidèle des fidèles de Poutine, qu’il veut, dit-il, libérer de l’emprise maléfique de ces gens-là. Voilà pour la communication.
Quelle est la situation sur le terrain?
L’un des points importants est la prise de Rostov-sur-le-Don par les troupes de Wagner. Rostov, c’est là que se trouve ou se trouvait le quartier général des opérations russes sur le front Sud en Ukraine. Apparemment, il n’y a pas eu d’affrontements. Des chars et l’infanterie de Wagner se sont déployés, semble-t-il, sans coups de feu. La police de Rostov se serait montrée impuissante et passive.
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Et à part Rostov?
Il y a des combats à Voronej, plus au nord, mais on n’a pas connaissance pour l’instant de confrontations engagées ailleurs. Des informations font état de plusieurs colonnes se dirigeant, sur différents axes, vers Moscou. Par ailleurs, une colonne de Wagner se dirigerait vers Krasnodar, une ville située au sud de Rostov. C’est important, car c’est à Krasnodar que se trouvent les principales réserves de munitions de l’armée russe. Si Wagner devait s’emparer de ces réserves, Prigojine aurait alors en main toute la logistique sur le front sud en Ukraine.
Les colonnes qui progresseraient vers Moscou, de quel côté sont-elles?
Elles seraient du côté de Prigojine.
Le coup de Prigojine vous paraît-il préparé?
Oui, c’est mon sentiment. Ce n’est pas une décision qu’on prend dans la nuit ou au petit matin. Transporter des chars sur des camions, les faire progresser sur différents axes, c’est une opération qui se prépare et qui me fait dire qu’elle a peut-être été coordonnée avec d’autres acteurs que ceux appartenant à Wagner.
Prigojine a-t-il des soutiens à Moscou même?
Prenons les choses dans l’ordre. Le ton agressif de Prigojine et son retournement contre la hiérarchie militaire russe remontent aux jours suivant la prise de Soledar, une localité au nord de Bakhmout, en janvier, par Wagner. Prigojine a revendiqué cette victoire. Après quoi, l’armée russe a fait savoir que cette conquête était la sienne, non celle de Prigojine. De là date la radicalisation de Prigojine. Elle s’est accentuée à partir de la prise de Bakhmout par Wagner en mai et la polémique sur les munitions qui ne seraient pas livrées aux hommes de Prigojine. Prigojine est devenu de plus en plus virulent. On s’est dit qu’il avait l’aval de Poutine, que c’est ce dernier qui essaie de diviser pour mieux régner.
On s'est trompé?
Manifestement, aujourd’hui on se réveille avec un Poutine qui a la gueule de bois et qui, dans ses propos, fait référence à 1917, c’est-à-dire à la guerre civile et son lot de massacres. Selon l’historien militaire Cédric Mas, que je cite:
En 1917, les bolcheviks tirent les marrons du feu. Prigojine va-t-il, comme eux, s’imposer?
C’est extrêmement difficile à dire. Les prochaines 24-48 heures seront à coup sûr décisives. Ou bien Prigojine obtient ce qu’il veut, et selon moi, ce qu’il veut, c’est le renversement de Choïgou et Guerassimov. Ou bien Poutine parvient, comme il l’a déclaré, à mater cette rébellion, cette mutinerie, qu’on ne peut pas encore qualifier de guerre civile. Poutine a donc choisi son camp, qui n’est pas celui de Prigojine. Il promet l’amnistie à ceux des troupes de Wagner qui voudraient rejoindre le giron du Kremlin.
L’armée régulière ne peut-elle pas engager son aviation pour bombarder les colonnes de Prigojine?
Elle est déjà engagée.
Alors c’est fichu pour Prigojine?
On ne sait pas. D’après la messagerie Telegram, Wagner se serait emparé d’une base aérienne à Millerovo, située au nord de Rostov, non loin de la frontière ukrainienne. C’est un imbroglio. Il y a quantité de clans. Comment vont-ils se positionner? Pour Poutine? En faveur de Prigojine?
Prigojine dit avoir 25 000 hommes. Les a-t-il?
On ne le sait pas. On disait que Wagner, c’était environ 50 000 hommes. Sachant qu’il en a peut-être perdu 30 000, voire plus, il en aurait moins de 25 000. Mais il faut savoir que Prigojine n’a pas que des hommes sur le front à Bakhmout. Il en a ailleurs, en Afrique, équipés de matériels.
Prigojine pourrait-il avoir un problème de trésorerie le poussant à jouer son va-tout?
Je ne le crois pas. Wagner, c’est une grosse mafia, qui tire son argent, notamment du commerce de métaux précieux en Afrique. Le système Prigojine, c’est une espèce de pieuvre tentaculaire en Russie, liée à quantité de business. N’oublions pas qu’à l’origine, Prigojine est un proche de Poutine.
Joue-t-il sa peau?
Oui, clairement. Tout retour en arrière semble impossible pour Prigojine.
Et Poutine?
Nous verrons. Des informations font état d’un possible déménagement du gouvernement russe de Moscou vers Saint-Pétersbourg.
Des avions officiels du gouvernement russe quittent Moscou en direction de Saint-Pétersbourg. pic.twitter.com/HqPfsWPMul
— Christophe Tymowski (@Christophe_Tymo) June 24, 2023
Vous vous trouvez actuellement en Pologne. Que s'y passe-t-il depuis le déclenchement du coup de force de Prigojine?
Les forces armées polonaises ont été mises en état d'alerte.