Le 20e congrès du Parti communiste chinois a débuté dimanche 16 octobre, à Pékin. Xi Jiping s'est exprimé devant les 2300 délégués du parti réunis au Palais du peuple, place Tian'anmen à Pékin. Le président, au pouvoir depuis 2012, compte bien obtenir un troisième mandat de cinq ans à la tête du parti, et donc du pays.
Et s'il le souhaite, c'est qu'il s'est donné les moyens d'y parvenir, en refondant certaines conventions restreignantes du parti. Début 2018, Xi Jinping a notamment réussi à faire adopter l’abolition de la limite des deux mandats présidentiels par l’Assemblée nationale populaire. Cette règle avait servi dès 1982 de garde-fou contre les dérives autocratiques de Mao Tsé-toung.
Autre convention que le politicien pourrait bien piétiner: les dirigeants qui atteignent la barre des 68 ans au moment du prochain congrès sont censés prendre leur retraite. Mais Xi Jinping, du haut de ses 69 ans, ne semble vouloir raccrocher ni la cravate, ni la marche vers la mise sur orbite de son pays.
Face à un appareil politique aussi opaque et vertical que le PCC, Xi Jinping est-il vraiment ce ténor politique qui, dans nos mirettes d'Occidentaux, a le pouvoir de faire et défaire le destin de la Chine à l'envi? Basile Zimmermann, directeur de l'Institut Confucius à l'Université de Genève, nous aide à déconstruire quelques clichés.
Watson: Quels sont les enjeux de ce congrès pour le Parti communiste chinois (PCC)?
Basile Zimmermann: Les enjeux sont immenses pour le parti. Il s'agit de stabiliser les relations avec les acteurs extérieurs comme les Etats-Unis, tout en maintenant le cap de la politique intérieure. Le PCC a principalement le souci de la stabilité sociale, et observe de près la réaction de la population.
Comment va voter le Congrès?
En quelque sorte, il a déjà voté. C'est la vingtaine de membres du bureau politique du comité central qui en a discuté, et communiqué son préavis aux 2000 membres du congrès. Cette décision a été prise la semaine passée, mais je ne la connais pas. Rien ne filtre hors des murs des comités restreints.
Pour les médias occidentaux, les jeux sont faits, Xi Jinping va obtenir un troisième mandat. Pour vous aussi?
Je n'en suis pas certain. Il y a des luttes de factions féroces au sein du parti, on aura le résultat le 23 octobre. Mais celles-ci sont tues dans les médias. Il y a trois factions majoritaires, et Xi Jinping a créé la sienne. Elle est montée en flèche à une époque où son profil était considéré comme nécessaire par le parti communiste.
Et quel était ce profil si particulier?
Dans un pays qui ne fonctionne pas par vote populaire, la légitimité du président est très importante, et repose sur d'autres éléments: Il faut soit que la situation socio-économique soit favorable, soit un dirigeant très charismatique qui génère de la confiance.
Alors, pour vous, Xi Jinping l'homme passe après le système?
Il faut bien comprendre que le système du PCC fonctionne de façon très rationnelle; il choisit un corps de métier adéquat pour gérer la conjoncture du moment. A la mort de Mao, les dirigeants ont étudié les systèmes politiques existant dans le monde. De façon pragmatique, ils ont choisi l'économie de marché, mais ils ont estimé que le multipartisme serait inefficace pour une population aussi importante que la Chine.
Mais si Xi Jinping est réélu malgré la convention du parti qui prévoit un maximum de 68 ans pour des fonctions dirigeantes, et au mépris d'un nombre limité de mandats, n'est-ce pas une image d'autocrate qu'il projettera?
Cela dépend du point de vue. S'il est choisi par le parti, c'est que ce dernier a considéré que son profil, tout comme son bilan, sont ce dont la Chine a besoin à présent. Par contre, à l'extérieur, en effet, il sera vu comme un dictateur qui fait ses propres règles.
Pour quelle raison en particulier serait-il sanctionné?
Si le congrès le met de côté, ce qu'il faut observer, c'est le profil qui va être choisi pour le remplacer; s'agit-il de quelqu'un de moins idéologue? De plus ouvert aux Etats-Unis? Le choix du PCC sera une indication de ce que le pays choisit comme ligne. La Chine ne peut pas vivre en autarcie, elle est dépendante des autres pays du monde pour son approvisionnement en nourriture, en énergie.
Par contre, si Xi Jinping est reconduit comme secrétaire général, il y a bien des chances qu'à ses côtés, comme premier ministre, trône un profil qui va rassurer l'opinion publique, tourné vers l'économie et le monde, un peu comme Li Keqiang, son rival le plus sérieux.
En dix ans, Xi Jinping a su consolider son pouvoir comme peu de dirigeants après Mao. Comment expliquer que sa ligne dure ait abouti à un certain succès au sein du parti?
Il faut bien comprendre que le PCC, c’est une petite entité qui a très peur de son immense population.
Au départ, les slogans martelés en continu ont trouvé leur public, notamment en ce qui concerne la lutte contre la corruption, sa signature politique.
Qu'est-ce qui a changé avec l'épidémie?
Il s'est démarqué positivement lors de la première vague: alors que ça partait en vrille dans le reste du monde, il était flagrant que la Chine arrivait à garder le cap. Mais, ensuite, l'Occident a bénéficié de vaccins somme toute efficaces, contrairement à celui des Chinois.
La réponse du gouvernement a été de confiner et cadenasser la population, générant un énorme mécontentement. Autre point d'accroche: la relation avec les Etats-Unis, et la cascade de sanctions sous l'ère Trump, qui ont coûté cher à la population.
Et pour Taïwan? Il a explicitement déclaré que la Chine cherchera à réunifier Taïwan pacifiquement, mais ne «renoncera jamais à l'usage de la force» si besoin. Risque-t-on l'escalade?
Cela dépendra des Etats-Unis. Taïwan est un dossier extrêmement sensible pour la Chine. En 1992, les parties s'étaient mises d'accord sur le concept de «Une Seule Chine», mais la distribution des pouvoirs a généré des tensions.
Il n'en reste pas moins qu'une majorité de la population chinoise souhaite une réunification du même type que Hong Kong. Si l'occident obtient des consensus de tout bord sur des dossiers comme l'environnement, pour la Chine, c'est Taïwan.
Et sur la guerre en Ukraine?
Ces trente dernières années, la Chine a tout fait pour se rapprocher de la Russie. En outre, le pays n'est pas en accord avec la façon qu'ont les Etats-Unis de gérer la géopolitique, ce qui explique qu'il ne s'est pas aligné avec les sanctions occidentales.
Certains, en Occident, en ont l'image d'un homme fou dangereux...
Il a dirigé toute sa vie. Pas à la façon de Trump; il a dirigé des villes, puis des provinces, un pays... C'est un professionnel de la politique qui sait prendre des décisions très fines.
L'Occident a tendance à penser que la Chine n'y arrivera pas, et c'est vrai qu'elle revient de loin. Mais ses nombreuses réussites au cours des quatre dernières décennies ont démontré que la Chine peut encore nous surprendre.