Né en France de parents iraniens, le terroriste islamiste Armand R., 26 ans, qui a tué samedi soir à Paris, non loin de la tour Eiffel, un touriste germano-philippin et blessé deux autres personnes, se présentait comme un «repenti» depuis sa sortie de prison en 2020. Il avait été condamné en 2018 à cinq ans de prison, dont un avec sursis pour un projet d’action violente datant de 2016 en lien avec l’islamisme radical. Il avait tenté cette année-là de rejoindre la zone irako-syrienne. Samedi soir, avant de passer à l’acte, il a posté une vidéo dans laquelle il fait allégeance à l’Etat islamique, aujourd’hui présent en Afghanistan.
Peu après son arrestation, il aurait dit aux policiers qu'il ne pouvait plus supporter que des musulmans meurent, citant l'Afghanistan ou la situation actuelle à Gaza, a indiqué le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin. Il aurait aussi déclaré que la France est «complice de ce que faisait Israël» dans l'enclave palestinienne.
Entre 2015 et 2020, Armand R. était entré en relation avec trois futurs terroristes islamistes, deux d’entre eux ayant commis des attentats en 2016 dans les Yvelines et en Seine-Maritime, le troisième étant l’assassin du professeur Samuel Paty en 2020. Les médecins lui avaient diagnostiqué un problème psychiatrique, qui n’exigeait pas, selon eux, une hospitalisation.
Spécialiste de l’islamisme et du djihadisme, Gilles Kepel, dont le dernier ouvrage, Prophète en son pays (éditions de L’Observatoire), est paru en septembre, appréhende le cas d’Armand R. à partir des informations disponibles. Il se montre pessimiste pour la suite.
Comment définiriez-vous le profil du terroriste qui a tué, samedi soir à Paris, un jeune homme de 24 ans d’origine germano-philippine au moyen d’un couteau et d’un marteau?
Gilles Kepel: C’est un profil et une histoire malheureusement assez banals. Le tueur fait partie de ces gens qui sont sortis soi-disant déradicalisés de prison, mais qui ont réussi à berner ceux qui avaient la tâche de les suivre. Que ces derniers aient été bernés ne m’étonne pas, dans la mesure où la plupart d’entre eux ont été formés par les équipes de l’anthropologue et auteur d’ouvrages sur l’islam Olivier Roy, pour qui le djihadisme procède d’une islamisation de la radicalité. Pour qui, autrement dit, l’islam est secondaire par rapport à la radicalité, qui serait première.
Quel est votre point de vue?
Je soutiens l’inverse: le rapport à l’islam est déterminant dans le cheminement de la radicalité.
A ce point?
Oui, on a là une méconnaissance complète des ressorts idéologiques du processus qui a amené à la radicalisation et on en paie aujourd’hui le prix très cher. Chez l'assassin Armand R., converti à l’islam à 18 ans, en 2015, en pleine période d'attentats islamistes, candidat au djihad l’année suivante, il y a visiblement eu un rejet de sa propre famille, qui était venue d’Iran en France pour avoir la liberté et qui n’avait semble-t-il aucun lien religieux. A ce qu’on sait de la mère, elle avait signalé fin octobre son inquiétude au sujet du comportement de son fils qui se «repliait sur lui-même», selon ses mots recueillis à l’époque par les autorités.
Est-ce que l’Etat, en France, est capable d’affronter le défi du suivi des condamnés pour islamisme radical, qui seront bientôt 400 à être sortis de prison, le nombre d'individus fichés pour islamisme radical s'élevant par ailleurs à 20 000?
La plupart de ceux dont on parle ici ont été condamnés à des peines légères dans les années 2015, 2016. On peut d’ailleurs penser que les peines à l’avenir pour un profil tel que celui d’Armand R. au moment où il a été condamné la première fois seront plus lourdes. Ce qui est important de dire, c’est que le contexte, aujourd’hui, a changé. Depuis le massacre du 7 octobre dans le sud d'Israël, on n’est plus dans le même monde. L'auteur de l'attaque au couteau de samedi à Paris a d’ailleurs évoqué le 7 octobre et la guerre en cours à Gaza parmi ses motivations de passage à l’acte. On se prépare des lendemains difficiles. On a en France un excellent parquet national antiterroriste, mais force est de constater que le système pénitentiaire ne parvient pas à suivre, la radicalisation se poursuit en prison.
Le meurtrier avait été diagnostiqué porteur d’un problème psychiatrique. L’enquête va s’intéresser aux «ratés» de son parcours de soins. Face à l’immensité de la tâche qu’est le suivi des personnes condamnées pour islamisme radical, le ministère de l’Intérieur pourrait être tenté de refiler la «patate chaude» des radicalisés à la médecine, non?
Aux psychiatres, qui disent qu’ils ne peuvent rien faire à part prescrire des médicaments? Oui, il y a sans doute de cela. Mais ce n’est pas ça qui est important.
Quelle est l’idéologie de cet homme?
C’est quelque chose de complètement nébuleux. C’est ce que j’ai appelé le djihadisme d’atmosphère. Ceux qui sont là-dedans adhèrent à une vision du monde binaire, faits de mécréants et de fidèles. Parmi les fidèles, il y a ceux qui ont trahi, ce sont des apostats, verser leur sang est licite. Tout cela fonctionne assez bien, si je puis dire. Aujourd’hui, on voit, dans la jeunesse européenne estudiantine, que les massacres du 7 octobre perpétrés par le Hamas ont été passés par pertes et profits, en disant qu’il n’y a que les milliers de Palestiniens tués par les bombardements israéliens qui comptent. C’est à partir du moment où on fait ce type de hiérarchie que tout devient licite, permis.