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Interview

Drame nucléaire à Zaporijia? «Zelensky ne devrait pas jouer avec ça»

L'ancien directeur de l'AIEA, Bruno Pellaud, nous a expliqué le fonctionnement des six centrales du site nucléaire de Zaporijia.
L'ancien directeur de l'AIEA, Bruno Pellaud, nous a expliqué le fonctionnement des six centrales du site nucléaire de Zaporijia.image:afp
Interview

Une catastrophe nucléaire à Zaporijia? «Zelensky ne devrait pas jouer avec ça»

Les experts de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) tirent un bilan inquiet et inquiétant de leur inspection de Zaporijia, occupée par les Russes et régulièrement bombardée. La plus grande centrale nucléaire d'Europe risque-t-elle de nous exploser au visage? On a posé la question à l'ancien directeur de l'AIEA, Bruno Pellaud, physicien et vice-président du Forum nucléaire suisse.
10.09.2022, 08:0110.09.2022, 11:55
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L'actuel directeur de l'AIEA, Rafael Grossi, semble très inquiet concernant la centrale nucléaire de Zaporijia. Vous partagez son avis?
Bruno Pellaud: En tant que directeur général de l'AIEA, Rafael Grossi doit faire tout ce qui est possible pour combler un vide juridique, c'est-à-dire la question des centrales nucléaires en situation de guerre. Il faut impérativement que toutes les parties belligérantes s'engagent auprès de l'Agence internationale à ne pas utiliser de centrale comme cible ou comme refuge. Si j'étais à la place de Rafael Grossi, j'exigerais qu'un rayon de protection soit mis en place autour de Zaporijia. Il semble que Monsieur Grossi ait effectivement mentionné un rayon de neutralisation de 20 kilomètres. Même s'il n'a pas formellement d'autorité dérivant d'un traité ou d'un accord formel entre Etats pour dire «Il est interdit de faire ci ou ça» avec une centrale, Rafael Grossi a l'autorité morale pour le faire.

«Le rapport qu'il a publié sur la situation a provoqué un fort mécontentement chez les Russes»

Pourquoi cela?
Lors de sa visite, Rafael Grossi a pointé deux choses: d'abord, les soldats russes tiennent le personnel ukrainien en otage, le privant de son libre-arbitre pour travailler correctement. Ensuite, il a constaté que les Russes utilisent désormais les six centrales de Zaporijia comme dépôts de munitions traditionnelles et pour y caser des troupes.

Drôle d'endroit, pour caser des missiles!
C'est malin, car les Ukrainiens ne veulent surtout pas tirer sur la centrale.

«Tirer sur la centrale, c'est une décision qui va à l'encontre des intérêts des deux parties»

Un général russe l'a expliqué de manière très explicite en interview: l'objectif russe consiste notamment à détourner le courant électrique produit dans le centrale vers la Crimée, qui manque d'électricité. Les Russes n'ont aucun intérêt à détruire la centrale, puisqu'ils en ont besoin. Il en va également de l'intérêt économique de l'Ukraine, car les six centrales de Zaporijia produisent une grande partie de l'électricité du pays, soit une quantité plus importante que toutes les centrales de Suisse réunies. En principe, personne ne compte la détruire.

«Faire exploser six centrales en même temps n'est pas dans l'intérêt des belligérants»

Tout de même, Grossi a employé le terme très inquiétant d'«intenable» pour décrire la situation sur place. Qu'est-ce que ça signifie, exactement?
A priori, cette déclaration me semble assez ambiguë, car elle peut désigner différents aspects. C'est la porte ouverte à de nombreuses interprétations. Toutefois, je ne pense pas que Monsieur Grossi utiliserait un terme aussi explicite si la situation n'est pas «intenable» d'un point de vue du risque nucléaire. Contrairement à ce qui a été retenu dans le débat public.

«Le risque nucléaire, Volodymyr Zelensky lui-même en fait un drame de propagande»

Zelensky a fréquemment évoqué tous les dangers qui pourraient affecter le monde entier en cas d'accident sur le site. C'est de la foutaise.

La menace nucléaire autour de Zaporijia, c'est donc «juste» de la propagande?
Je confirme, c'est de la propagande. De la part des Russes, comme des Ukrainiens. Je regrette que Monsieur Zelensky, malgré tous ses mérites et ses talents de fin psychologue, joue sur cette corde-là. Il ne devrait pas jouer sur ce genre de peur, cela lui fait perdre en crédibilité.

Si je comprends bien, la centrale nucléaire de Zaporijia ne risque pas de disparaître sous forme d'un gros champignon? On ne va pas tous mourir?
Non. Bien heureusement, ce n'est pas possible. Pour faire une bombe, il faut de l'uranium hautement enrichi avec du plutonium de haute pureté.

«Dans sa physique même, une centrale nucléaire n'a aucun rapport avec une bombe nucléaire»

On ne verra pas de gros champignon ni de gros relâchement de réactivité des six centrales à la fois. En revanche, s'il devait y avoir des dégâts, notamment au niveau du bâtiment du combustible, dans lequel se trouve du combustible usager radioactif, il pourrait y avoir une contamination des environs. Non seulement en Ukraine, mais aussi en Russie, à quelques dizaines de kilomètres, vers Kherson et Odessa. Là encore, ce n'est dans l'intérêt d'aucune des parties.

FILE - A Russian serviceman guards an area of the Zaporizhzhia Nuclear Power Station in territory under Russian military control, southeastern Ukraine, May 1, 2022. Ukrainians are once again anxious a ...
Troupes russes surveillent la centrale.Image: sda

Il ne faut donc pas s'attendre non plus à de catastrophe nucléaire de type Tchernobyl?
Les centrales nucléaires occidentales ne sont pas du même type que celle de Tchernobyl: il s'agit de centrales légères, conçues sur des normes occidentales. Une centrale suisse, par exemple, est équipée pour résister à la chute d'un avion à réaction lancé à 1000 km/heure. Il faut aussi se rappeler que le site de Zaporijia compte six centrales, et non une seule. Ce détail a son importance, étant donné qu'on parle de «la plus grande centrale d'Europe». On peut avoir l'impression qu'une seule machine relie l'entier des six bâtiments et que si l'un d'eux est endommagé, tous vont lâcher. Ce n'est pas le cas.

«Une des six centrales peut être endommagée sans que cela n'affecte les autres»

Ce n'est pas pour autant que cette situation peut se prolonger. Il y a eu des tirs. Nous avons vu des photos de fusées tombées pas très loin du site de Zaporijia. Même si elles n'ont pas causé de dommages sérieux dans la partie nucléaire de la centrale, des câbles ont été coupés sur la partie électrique. Désormais, il faut absolument des engagements de la part des belligérants. Et arrêter cette propagande mutuelle. Accuser l'autre de vouloir causer une catastrophe mondiale: c'est ça qui est intenable.

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