Raïssa Oustimenko lève à peine les yeux vers le ciel lorsqu'un avion de chasse passe dans un vacarme assourdissant au-dessus des rives du lac de Sloviansk, à 20 km du front dans l'est de l'Ukraine.
Cette femme de 67 ans fouille dans un sac en plastique rose contenant les prunes qu'elle a emportées pour son pique-nique au bord de cette étendue d'eau, tandis que le Su-27 ukrainien traverse le ciel.
A côté d'elle, certains baigneurs haussent les épaules, quand d'autres se protègent les yeux du soleil pour observer l'avion fendre l'air à toute vitesse. Les jours d'été, de nombreux habitants de la région viennent se rafraîchir au bord du lac et y trouver un peu de répit, la guerre faisant rage à quelques kilomètres.
La plupart des baigneurs sont des personnes âgées, restées à Sloviansk car elles ne voulaient pas quitter leur maison, alors que la moitié de ses 110 000 habitants ont fui les combats.
Les troupes russes continuent d'avancer vers cette ville industrielle, désormais à portée des bombes planantes dévastatrices larguées par des avions et des attaques de drones qui ont réduit en ruines ses bâtiments.
Face à l'incertitude, Raïssa Oustimenko confie avoir besoin de se raccrocher à des choses positives. Elle explique:
De telles scènes sont courantes dans les zones touchées par des conflits, relève Omar Salih Rasheed, le coordinateur du programme de soutien en matière de santé mentale du Comité International de la Croix-Rouge:
Les besoins concernant la santé mentale vont fortement augmenter après l'arrêt des affrontements, quand les gens vont prendre conscience de ce qui leur est arrivé, note-t-il. Tant que la guerre n'est pas terminée, il est important que les «communautés puissent profiter autant qu'elles le peuvent des petits moments de joie».
Sur les rives du lac de Sloviansk, Viatcheslav Chatalov, qui tient un bar à la décoration marine, raconte que les gens peuvent tous partir quand des explosions se font entendre, pour revenir un peu plus tard dans la journée, afin de «se détendre».
Dans son établissement orné d'une roue de bateau géante, les enceintes crachent un morceau de Coldplay. Ce barman de 61 ans à la peau tannée par des décennies de travail sous le soleil déclare, en distribuant des matelas de plage:
Sur le sable s'alignent des cabanes en bois blanches, ainsi qu'un abri en béton en cas de bombardements. Mais Mariana Rebets, 37 ans, n'a jamais vu personne se ruer dedans.
Portant une robe rose et d'imposantes lunettes de soleil, Rebets fait régulièrement le voyage à partir de l'ouest de l'Ukraine, relativement plus sûr, pour rendre visite à son mari posté non loin du front.
Il lui a d'ailleurs conseillé de plonger sans hésitation si elle entendait «quelque chose voler au-dessus du lac». Les plus jeunes habitants de Sloviansk, qui ne compte plus désormais que 53 000 âmes, sont partis trouver refuge dans des régions plus sûres.
Comme la famille de Raïssa Oustimenko. De la rive sauvage du lac où elle vient désormais seule, elle contemple l'étendue d'eau dans laquelle ses petits-enfants ont appris à nager. Elle raconte, le cœur lourd et en voulant tout de même se souvenir des jours heureux passés au lac, avant la guerre: