Dans un entretien avec la chaîne américaine ABC News lundi 6 novembre, le premier ministre Benyamin Netanyahou a affirmé qu’Israël assurera la sécurité de Gaza après la guerre. Comment interpréter cette déclaration?
Dominique Moïsi: Netanyahou affirme ici une évidence, presque une banalité. Il est clair qu’Israël sera responsable de la sécurité à Gaza après la défaite du Hamas. Est-ce que cela signifie qu’Israël va reprendre Gaza sous sa coupe comme c’était le cas jusqu’en 2005? La question n’est pas tranchée et la réponse de Netanyahou ne fournit pas d’indication sur ce point.
Israël pourrait-il s’accommoder d’une administration ou supervision de la bande de Gaza par la communauté internationale, ayant ou non le tampon de l’ONU?
Il est question, effectivement, d’un mandat international qui «régnerait» sur Gaza après la fin de la guerre. Israël a toujours eu les plus grandes réticences à l’égard de ces mandats internationaux, persuadé que seul lui était capable d’assurer la sécurité des Israéliens – le massacre du 7 octobre montre qu’il a failli à cette occasion. Maintenant, est-ce qu’il faut éliminer d’office cette solution? Je ne le crois pas.
L’Autorité palestinienne pourrait-elle revenir dans le jeu à Gaza?
Cette Autorité palestinienne, pour le moment, est trop faible, trop divisée, trop peu représentative, pour jouer ce rôle. Alors, peut-on imaginer qu’une autorité mandataire pourrait servir d’intermédiaire, dans le temps, entre le Hamas, dans ce qu’il pourrait avoir de résiduel, et l’Autorité palestinienne? Pourquoi pas. Même si cela paraît une option hypothétique.
Le Hamas, comme groupe ayant porté l’attaque contre Israël, semble pour l’heure avoir la faveur des opinions arabes, non?
Il y a incontestablement une popularité du Hamas dans ce qu’on appelle communément la rue arabe. Avec cette confusion, pour le coup, entre le Hamas et la cause palestinienne. Mais, on peut penser à l’inverse que, lorsque l’opération militaire israélienne à Gaza sera terminée, l’ampleur des victimes, l’ampleur des dégâts, fera réfléchir l’ensemble des Palestiniens. En particulier des habitants de Gaza, qui, nombre d’entre eux, se désolidarisent du Hamas et accusent même le Hamas de les avoir «condamnés à mort». Ils peuvent se dire:
C’est donc une question très délicate, à laquelle on ne saurait apporter de réponse à l’heure actuelle, ces différents scénarios sont plausibles et ouverts l’un comme l’autre.
Des pays de la région auront sûrement leur mot à dire…
On peut penser que des pays comme l’Arabie Saoudite s’engageront fortement du côté de l’Autorité palestinienne. Ne serait-ce que pour s’opposer à l’Iran qui contrôle très largement le Hamas.
Est-ce que Netanyahou, aujourd’hui très contesté pour n’avoir pas empêché le massacre du 7 octobre, parie sur le fait qu’il pourrait sortir en père de la nation de la guerre qu’il mène contre le Hamas?
C’est incontestablement son pari. Je pense quand même que c’est un pari qu’il devrait perdre. La majorité des Israéliens a une vision très défavorable de Netanyahou aujourd’hui. Après le 7 octobre, sa popularité a été divisée par deux, et les Israéliens se sont mis d’accord sur le fait qu’on parlera de la question de la responsabilité après la fin de la guerre.
Les Israéliens disent peut-être en substance à Netanyahou: tu nous as mis dans le pétrin, le mot est faible, tu vas nous en sortir.
Oui, mais quand on regarde les sondages de près, on s’aperçoit que la majorité des Israéliens fait infiniment plus confiance à Benny Gantz, ex-ministre de la Défense, actuellement membre du cabinet de guerre, qu’à Netanyahou. D’abord parce que c’est un militaire, ensuite parce qu’il apparaît plus simplement comme plus sérieux.
Sur quelle situation institutionnelle pour les Palestiniens cette guerre peut-elle déboucher?
Très difficile à dire. De mon point de vue, il faut combattre le Hamas avec la plus grande rigueur et chercher à créer un Etat palestinien avec la plus grande volonté. Les deux politiques vont de pair. Il ne saurait y avoir un Etat palestinien aux côtés d’Israël tant que le Hamas continue d’exister, puisque le Hamas s’oppose au droit à l’existence de l’Etat d’Israël.
Ensuite, il faut que l’hypothétique futur Etat palestinien dispose d’un espace viable. Lequel serait-il, puisque l’espace palestinien de Cisjordanie est aujourd’hui complètement morcelé par la multiplication des colonies juives?
Si on revient à la solution des deux Etats, sérieusement, on peut envisager des transferts de territoires. Ces transferts permettraient aux Palestiniens de s’installer dans des terres qui compenseraient les colonies de peuplement réalisées par les Israéliens en Cisjordanie, dont on voit mal, aujourd’hui, comment elles pourraient être démantelées dans leur totalité sans créer une crise majeure au sein de la société israélienne.
Où trouver des terres pour les Palestiniens?
Il y a dans le nord et le sud d’Israël des territoires qui pourraient être cédés aux Palestiniens. Les plans existent. Ils ont été pensés, dessinés. Simplement, il y en a de multiples.
C’est épouvantablement difficile, mais ça suppose, en réalité, aussi, le départ de Netanyahou. Il est évident qu’on ne peut pas envisager une solution sincère à deux Etats, tant que Netanyahou est au pouvoir, tant que l’extrême droite ultra-nationaliste et ultra-religieuse contrôle une partie du pays. On peut espérer que la raison l’emportera. Il est évident, après ce qui s’est passé le 7 octobre, que la solution à deux Etats est plus nécessaire que jamais, mais aussi plus difficile que jamais.