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Iran: les manifestations pourraient mener à un réel changement

Le passé a montré que le régime iranien n'hésite pas à réprimer les protestations par un usage massif de la force.
Le passé a montré que le régime iranien n'hésite pas à réprimer les protestations par un usage massif de la force.Image: sda

En Iran, les protestations pourraient cette fois-ci faire changer les choses

Ce n'est pas la première fois que les Iraniens descendent dans la rue. Mais cette fois, les protestations ont pris une nouvelle dimension et il y a de fortes chances qu'un changement ait réellement lieu.
22.10.2022, 16:0122.10.2022, 18:43
Yasmin Müller
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En Iran, les gens manifestent depuis un mois contre le gouvernement de la République islamique et une question est en suspens: l'Iran est-elle à l'aube d'une nouvelle révolution?

Tareq Sydiq, chercheur en protestation à l'université Philipps de Marbourg, déclare:

«Ce n'est qu'à posteriori qu'on pourra dire s'il s'agit d'une révolution. Je trouve la caractérisation "d'épisode révolutionnaire" plus convaincante pour le moment»

Il ajoute:

«Les protestations reviendront s'il n'y a pas de réel changement. Tant que les problèmes politiques fondamentaux persistent, il n'y a aucune raison pour que les revendications cessent.»
Tareq Sydiq est chercheur au Centre de recherche sur les conflits de l'Université Philipps de Marbourg.
Tareq Sydiq est chercheur au Centre de recherche sur les conflits de l'Université Philipps de Marbourg. image: zvg

Les protestations en Iran sont effectivement récurrentes depuis des années. Et cette fois-ci, elles ont pris une nouvelle dimension. On observe notamment trois différences par rapport aux précédentes révoltes. Une mise en perspective:

Actuellement, les Iraniennes et les Iraniens luttent pour un changement – et ce au péril de leur vie. Ils expriment leur désespoir face à la situation économique déplorable du pays et réclament plus de liberté politique et personnelle.

La République islamique d'Iran a été fondée en 1979. Et avec sa création, des lois et des valeurs sociales inspirées de l'islam ont été installées dans le pays et ont profondément modifié la vie privée et publique. Au cours des années suivantes, l'Iran a été marqué par une révolution culturelle rigoureuse, une guerre et une reconstruction, des efforts de réforme et plusieurs vagues de protestation.

Une différence cette fois-ci: la violence

Le passé a montré que le régime iranien n'hésite pas à réprimer les protestations par un usage massif de la force, au risque d'y perdre des vies humaines. On ne sait pour l'instant pas si le régime parviendra cette fois encore à réprimer les protestations. Car les manifestations d'aujourd'hui sont incomparablement plus importantes que celles de 2017 et 2019, selon Tariq Sydiq.

Pourtant, le mois dernier, de nombreuses personnes ont déjà été tuées en Iran, dont plus de 20 enfants, selon Amnesty International. D'autres ont été blessées, ont disparu dans des circonstances douteuses ou ont été emprisonnées.

Le fait que les protestations soient ainsi stoppées par la force suit une stratégie régulièrement observée dans les régimes du monde entier. Il s'agit d'évaluer le degré de violence à utiliser pour que les manifestants ne reviennent pas et ne provoquent pas de nouvelles manifestations, explique Tariq Sydiq.

C'est aussi la raison pour laquelle les régimes n'augmentent généralement pas les représailles lors de soulèvements, mais exercent une violence précoce, concentrée et ponctuelle. Cela permet d'étouffer efficacement les protestations dans l'œuf, comme cela a été le cas lors des précédentes vagues de protestation en Iran.

«Mais à la différence des manifestations précédentes, les Iraniens ont appris et se préparent de manière ciblée à la violence du régime»
Tariq Sydiq

Les Iraniens ont par exemple développé des stratégies pour éviter d'être séparés les uns des autres par la police. Et des vidéos sur les médias sociaux montrent comment les manifestants parviennent encore et encore à repousser les forces de sécurité.

«Lorsque l'objectif devient très grand, la peur devient insignifiante»: c'est ainsi qu'Awin Tavakoli, juriste et spécialiste de l'Iran, décrit l'état d'esprit face à la violence arbitraire dans le pays, dans l'émission Club de la SRF du 19 octobre dernier.

Tariq Sydiq explique toutefois:

«Cela ne signifie pas que le régime ne décidera pas, dans les prochains jours ou semaines, de réprimer les protestations par des interventions violentes encore plus massives et très ciblées. Mais à l'heure actuelle, il semble plutôt que le régime tente de laisser s'éteindre les protestations dans certaines régions – de peur de se tromper et de susciter encore plus de colère par une répression infructueuse»
epa10197704 People clash with police during a protest following the death of Mahsa Amini, in Tehran, Iran, 21 September 2022. Mahsa Amini, a 22-year-old Iranian woman, was arrested in Tehran on 13 Sep ...
Téhéran, le 21 septembre 2022.image: keystone

Une autre différence: la génération

Une autre chose est différente dans les protestations d'aujourd'hui: la génération des contestataires, une génération de gens désespérés.

La génération qui a connu les années 1990 a été marquée par un certain espoir de réforme. Pour les Iraniens du «mouvement vert» de 2009, cet espoir a certes encore résonné, «mais la déception s'exprimait déjà à l'époque», estime Tariq Sydiq. Et actuellement, c'est la toute jeune génération qui manifeste son mécontentement. L'historien Kijan Espahangizi remarque, sur le plateau de Club:

«Nous avons des écolières qui descendent dans la rue et enlèvent leur foulard»

Dans l'émission de la SRF Sternstunde Religion du 16 octobre, la journaliste et spécialiste de l'Iran Natalie Amiri affirme qu'il faut imaginer que de nombreux protestataires ont une quinzaine d'années.

Et leur principale expérience politique est que le système politique et l'élite politique – dont la plupart sont au pouvoir depuis la révolution de 1979 – ne permettent pas de réformes. Et donc pas de changement graduel, selon Tariq Sydiq.

«Cette génération n'a par conséquent pas d'espoir, ce qui conduit à des revendications plus radicales. Cela exacerbe les images et les représentations de la façon dont la politique se déroule»
Tariq Sydiq

L'objectif est lui aussi différent

Lors des précédents soulèvements en Iran, les dysfonctionnements liés au système étaient au cœur des protestations. Mais aujourd'hui, les manifestants n'ont pas de revendication spécifiquement à l'égard de certains hommes politiques. Leur slogan est:

«Femme, vie, liberté!»

Il n'est pas question d'une quelconque revendication politique, comme ce fut le cas lors des manifestations passées. «Il s'agit ici de retrouver la vie et la liberté», explique l'islamologue Reinhard Schulze, invité sur le plateau de Club.

On ne proteste pas contre la censure comme en 1999, ni contre une fraude électorale présumée comme en 2009, et on ne descend pas non plus dans la rue pour réclamer des subventions pour l'essence comme en 2019.

«Aujourd'hui, les Iraniens remettent en question le système dans son entier»
Tariq Sydiq
TEHRAN, IRAN - OCTOBER 01: (EDITORS NOTE: Image taken with mobile phone camera.) A protester holds up a note reading "Woman, Life, Freedom, #MahsaAmini" while marching down a street  ...
«Femme, vie, liberté» – une manifestante en Iran le 1er octobre 2022.image: Getty

Ces nouveaux objectifs sont sans doute aussi à l'origine d'un phénomène inédit en Iran: les gens qui protestent sont hétérogènes. Solmaz Khorsand, journaliste et spécialiste de l'Iran, déclare dans l'émission Club:

«Cette protestation a fait descendre dans la rue toutes les couches de la population, toutes les ethnies, toutes les religions. Les hommes comme les femmes. Les hétérosexuels comme les queer.»

A cela s'ajoute le fait que la protestation féministe, visible dans l'opinion publique depuis au moins 2014, résonne à haute voix et de manière centrale. En effet, l'oppression des femmes et le foulard en tant qu'instrument politique représentent des problèmes sociaux profonds en Iran, qui contredisent le slogan «Femme, vie, liberté» en tous points.

Grâce à ce mouvement complexe et coloré, «les protestataires sont beaucoup moins enclins au compromis», explique Tariq Sydiq. C'est aussi la raison pour laquelle on peut dire que «les protestataires ont là des objectifs révolutionnaires et suivent des tactiques révolutionnaires».

Toujours dans l'émission Club, Kijan Espahangizi décrit la diversité des tactiques de lutte ainsi:

«Les protestations sont décentralisées. Nous avons de l'activisme sur Internet, nous avons des combats de rue. Nous avons aussi des grèves dans l'industrie»

Awin Tavakoli ajoute: «Ce ne sont pas seulement des couches différentes, mais aussi des expertises différentes qui travaillent ensemble.» Reinard Schulze parle quant à lui d'une «nouvelle culture de la révolution» qui est en train de se développer en Iran.

Il est encore trop tôt pour se prononcer sur l'issue de cette protestation.

«Mais on constate que les manifestations ont été récurrentes ces dernières années – même si elles ont été réprimées auparavant»
Tariq Sydiq

Un changement fondamental, voire la prochaine révolution en Iran, ne semble plus être qu'une question de temps, car «la révolution a déjà eu lieu dans les esprits, c'est irréversible», comme le formule Kijan Espahangizi.

Le crescendo des protestations

L'espoir de voir une politique iranienne tolérer les réformes des lois et des valeurs religieuses était présent dans les années 1990. A l'époque, les deux présidents Ali Akbar Rafsandjani (1989-1997) et Mohamed Khatami (1997-2005) avaient assoupli la répression, jusqu'alors très sévère.

Former Iranian President Mohammad Khatami called for a referendum to settle the country s disputed presidential election, according to Iranian websites in Tehran, Iran on July 20, 2009. File picture s ...
Seyyed Mohammad Khatami, cinquième président de l'Iran de 1997 à 2005. Afin de préserver le système étatique islamique, il a cédé dans la lutte pour le pouvoir avec Ali Khamenei.image: imago
Président et «Guide suprême»: ce n'est pas la même chose en Iran
«Guide suprême» est la plus haute fonction de la République islamique d'Iran. Le titulaire de cette fonction est également le guide spirituel. L'ayatollah Rouhollah Khomeini a occupé cette fonction de 1979 à 1998 et l'ayatollah Ali Khamenei depuis 1989. Le Guide suprême n'est pas élu par le peuple, mais par un conseil d'experts. Une destitution est considérée comme pratiquement impossible. Le président, quant à lui, dirige le gouvernement. Il est élu tous les quatre ans par le peuple et peut rester au maximum deux mandats. Depuis 2021, Ebrahim Raïssi est le président de l'Iran.

Mais dans le même temps, les forces conservatrices se sont organisées autour du «Guide suprême» Ali Khamenei, au pouvoir depuis 1989, et ont saboté les efforts de réforme des présidents. Ainsi, sous Mohamed Khatami, une loi sur trois votée par le Parlement échouait en raison du veto de la Cour constitutionnelle iranienne (le fameux «Conseil des gardiens»), dont la moitié des membres sont nommés par le Guide suprême.

Bildnummer: 51307727 Datum: 31.07.2005 Copyright: imago/UPI Photo
Iranerin mit einem Foto von Mohammad Khatami (IRI/Scheidender Präsident) anlässlich einer Zeremonie zu seinen Ehren in Teheran PUBLICA ...
Une Iranienne montrant une photo du président de l'époque, en 2005.image: imago

1999: les manifestations étudiantes

Cette lutte à couteaux tirés entre les forces progressistes et conservatrices du pays s'est terminée en 1999: les forces de l'ordre ont violemment réprimé des étudiants qui manifestaient pour la liberté de la presse. Des émeutes ont alors éclaté dans tout le pays, au cours desquelles les forces de sécurité, placées sous l'autorité du Guide suprême Mohamed Khatami, ont fait preuve d'une grande brutalité envers la population: au moins quatre personnes ont perdu la vie – à ce moment-là, le bilan le plus sanglant de toutes les manifestations iraniennes depuis la révolution.

Après une brève hésitation, le président de l'époque, Mohamed Khatami, s'est rangé derrière Ali Khamenei et ses sbires violents qui matraquaient le peuple. Ainsi, malgré toutes les promesses de réformes, Mohamed Khatami – en tant que président élu par le peuple – a manqué une confrontation directe avec Khamenei.

Peu avant la fin de sa deuxième législature, Mohamed Khatami a reconnu en 2004 l'échec de sa politique de réforme. Il avait dû céder dans la lutte pour le pouvoir avec Khamenei et ses alliés conservateurs afin de préserver le système étatique islamique, comme il l'a reconnu lors d'un discours à l'université de Téhéran. Aux élections législatives de 2004, les conservateurs ont regagné la majorité au Parlement.

Néanmoins, même s'il n'y a pas eu de réformes en profondeur dans les années 1990, ces années ont apporté des assouplissements. Soudain, des mèches de cheveux sont apparues sous les hijabs, et les manteaux des femmes se sont colorés. L'ambiance était à l'espoir modéré.

2009: le mouvement vert

Dix ans plus tard, le système politique de la République islamique iranienne a connu sa plus grave crise de légitimité à ce jour: le président Mahmoud Ahmadinejad a été réélu de manière fracassante à la présidence pour un second mandat – et Khamenei a été ouvertement accusé d'avoir falsifié les résultats des élections.

Iranian President Mahmoud Ahmadinejad, right, looks on during a meeting with Swiss Foreign Minister Micheline Calmy-Rey, left, in Tehran, Iran, Monday March 17, 2008. Swiss energy trading company EGL  ...
La ministre suisse des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey en visite chez le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, à Téhéran en 2008. image: AP

Les dizaines de milliers de personnes qui se sont senties trahies par la démocratie après les résultats suspects des élections ont crié:

«Où est mon vote?»
Undated image from a video being widely circulated on the internet via YouTube and Twitter Sunday June 21 2009 reportedly showing a badly injured girl identified as Neda. Like most of the information  ...
Une capture d'écran non datée d'une vidéo qui circulait alors sur Twitter. On y voit une manifestante nommée Neda, grièvement blessée, allongée sur le sol. image: AP

En l'espace de six mois, les forces de sécurité ont violemment réprimé les protestations: entre juin 2009 et février 2010, plus de 30 manifestants ont été tués et les opposants ont été systématiquement réduits au silence. Le gouvernement a dénoncé les protestations comme étant dirigées par l'étranger – fidèle à l'un des piliers de la République islamique, selon lequel Israël et les Etats-Unis sont les ennemis de l'Iran.

2017 à 2019

Le 27 décembre 2017, Vida Movahed s'est postée, non voilée, sur un boîtier de distribution électrique de la très fréquentée rue Enghelab, à Téhéran. Pendant une heure, elle a tenu silencieusement son foulard en l'air. Son image s'est répandue à une vitesse fulgurante sur la toile et marque le début d'une vague féministe qui ne s'est plus arrêtée depuis et qui trouve pour l'instant son point culminant dans les protestations actuelles.

Iran Proteste 2017
L'image emblématique de Vida Movahed, le 27 décembre 2017. Aujourd'hui, le boîtier électrique a une structure pyramidale.

Le 28 décembre 2017, des manifestants sont descendus dans la rue pour s'opposer à la politique économique du président de l'époque, Hassan Rohani. Ils ont crié:

«Le peuple mendie, les membres du clergé se comportent comme des dieux»

Il n'y avait pas eu de manifestations aussi intenses depuis 2009. Au moins 22 manifestants ont été tués pendant deux semaines d'intervention brutale de la part du gouvernement.

FILE - In this Saturday, Dec. 30, 2017 photo made by an individual not employed by the Associated Press and obtained by the AP outside Iran, a university student attends a protest inside Tehran Univer ...
Une femme lors des manifestations à Téhéran, le 30 décembre 2017.image: AP/AP

En novembre 2019, les protestations se sont à nouveau enflammées en raison de la hausse des prix de l'essence. Le régime avait alors utilisé des gaz lacrymogènes, des canons à eau et des balles réelles pour disperser les manifestants. Internet a été presque entièrement coupé pendant cinq jours afin d'éviter que les images des protestations et de la répression ne se répandent dans les médias sociaux. En l'espace de quelques semaines, au moins 208 manifestants ont été tués, selon Amnesty International.

Et aujourd'hui, en 2022, les protestations en Iran ont pris une nouvelle dimension: les gens veulent retrouver leur vie.

Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder

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