C'est une scène ordinaire dans les rave-party de par le monde: défier l'aube, après des heures de musique, de danse, d'émotions et de sueur. Accueillir le soleil et faire durer l'extase jusqu'au réveil des travailleurs. Le 7 octobre 2023, au pied du jour, ils étaient encore plusieurs centaines sur ce que l'organisateur décrit comme «un terrain de jeu pour adulte», lorsque les premiers parachutistes du Hamas ont déchiré le ciel, au loin, comme éjectés de la brume. Sous un bouddha géant, des lampions, des tentes et des bâches colorées, la nouvelle génération israélienne s'égosillait de bonheur.
Dans ce coin de désert, situé à environ cinq kilomètres du mur de fer qui sépare Israël de la bande de Gaza, l'heure était aux «amis, à l’amour et à la liberté infinie». Dans le kibboutz Réïm, au sud d'Israël, on célébrait la fête juive de Souccot. Et le festival techno Tribe of Nova était logiquement emballé dans une tempête de décibels, ceux qui empêcheront une bonne partie des clubbeurs de réaliser que le ciel, puis la mort, s'apprêtaient à leur tomber sur la tête.
Ces soirées techno, courantes dans la région, ne sont jamais totalement autorisées. Si bien que les premiers individus armés ont été, l'espace d'une seconde, confondus avec la police qui venait simplement «mettre un terme au rassemblement sauvage». D'autres, choisiront d'ignorer les premiers signes de danger, comme le raconte notamment le Washington Post, utilisant le peu d'énergie à disposition comme un bouclier de résistance. Les dizaines de vidéos de cette rave-party, apparues après l'horreur, dévoilent toutes une jeunesse moderne, apolitique, en shorts et t-shirts, qui s'amuse.
A new video compilation recorded by a young woman shows how quickly the music festival in Israel went from a good party to fight for survival.
— Visegrád 24 (@visegrad24) October 9, 2023
After a while, Israeli police officer and a tank show up to protect the young festival goers, but they come under heave fire from Hamas pic.twitter.com/ZgUv67ClF1
S'amuser. Ce verbe, les francophones auront très vite le réflexe de le conjuguer dans le souvenir, dans la plaie à jamais ouverte, des attentats terroristes du 13 novembre à Paris. S'attaquer au mode de vie occidental, à cette jeunesse considérée comme dépravée, indigne. Et les témoignages des survivants rappellent cruellement ceux des Parisiens, alors en plein concert du groupe Eagles of Death Metal. En Israël et dans le reste du monde, Daesh est sur toutes les lèvres. C'est comme s'il y avait eu «une dizaine de Bataclan», dira le célèbre dessinateur Yoann Sfar, en direct sur BFMTV, dimanche soir.
Millet Ben Haim, 27 ans, a participé à la rave-party. Quelques minutes avant l'attaque, elle s'offrait un selfie avec son amie, langue et sourire de sortie, heureuse, comme de jeunes femmes de leur âge. Millet, qui se décrit sur Instagram comme vegan, second hand lover et DJ à ses heures, est active sur les réseaux sociaux, voyage à Nice, New York, Mexico, Barcelone. Une vingtenaire moderne qui, soudain, a entendu «des sirènes et des roquettes, des tonnes de roquettes». Elle et ses amies se sont «mises à courir, sans savoir où aller, sans savoir ce qui se passait».
Les récits pleuvent sur la tactique des agresseurs du Hamas. Les premiers tirs désorganisés dans la foule. La volonté ferme d'empêcher quiconque de fuir, tendant des embuscades au moyen de leurs véhicules, «kidnappant un maximum de jeunes». Certaines images dévoient aussi la cruauté des meurtres, des corps démembrés qui jonchent le sable, des jeunes rassemblés dans des tentes pour y être exterminés.
La presse israélienne a très vite décrit des hordes de combattants surgissant de partout, créant un effet de panique instantané. Certains pourchasseront, à moto, les premiers fêtards visant les fourrés pour tenter de se protéger. «On voyait des gens se faire tuer à bout portant», témoignera une rescapée.
Cette jeune étudiante en informatique incarne aujourd'hui le visage de l'horreur qui s'est abattu, samedi à l'aube, sur le festival de techno. Dans une séquence vidéo insoutenable, cette femme aux longs cheveux foncés, terrorisée, en pleurs et assise de force à l'arrière de l'une des motos des terroristes du Hamas, se fait littéralement kidnapper sous les yeux de son compagnon, impuissant.
Son père, dévasté, a lancé plusieurs appels désespérés, sur les réseaux et dans les médias israéliens. Comme lui, beaucoup de familles sont sans nouvelle de leur progéniture. Comme Noa Argamani, une centaine de jeunes serait encore aux mains des ravisseurs. Selon le dernier bilan, près de 300 clubbeurs auraient perdu la vie dans l'attaque sanglante du Hamas.
Comme souvent lors d'une rave-party, les organisateurs avaient dévoilé au dernier moment le lieu de la fête, sur Telegram. Vendredi, en fin d'après-midi, les premiers jeunes avaient reçu quelques indices:
Une description ample et poétique, pour un festival qui restera dans l'Histoire, pour Israël et le reste du monde, le témoin d'une attaque terroriste sanglante.