Des civils israéliens se font massacrer par centaines, mais ce sont des propalestiniens qui aussitôt manifestent à travers le monde leur soutien à la «résistance palestinienne» incarnée par le Hamas, l’exécuteur des massacres. Paradoxal. A première vue, comme le fait remarquer Rémi Baudouï, professeur de science politique à l’Université de Genève:
De l’Israélien au juif, le pas est cependant vite franchi. «Il y a l’héroïsation de la lutte ancestrale contre les juifs», poursuit Rémi Baudouï. On touche ici à l’antisémitisme musulman, alimenté par un récit religieux puisant dans la tradition prophétique: les juifs ont trahi le prophète, Dieu les a maudits, etc. A ce propos et sous l’impulsion du prince héritier Mohamed Ben Salmane dans son rapprochement (mis en veilleuse?) avec Israël, l’Arabie Saoudite a entrepris de modifier l’image de singes associée aux juifs dans l’enseignement religieux du royaume.
Mais on est loin du retour en grâce. Les propos du chef du Hamas, Ismaël Haniyeh, qui auraient été enregistrés le 7 octobre, le jour de l’attaque terroriste, désignent les sionistes, autrement dit les juifs d'Israël, comme l’ennemi. Les atroces massacres perpétrés samedi dans les kibboutz de Beeri et Kfar Aza, faisant des dizaines de morts, dont de nombreux enfants, participent manifestement de ce nettoyage de la présence des juifs. Exhortant à mots couverts au djihad, Ismaël Haniyeh appelle:
Bataille qui doit aboutir au départ des juifs de «cette terre» (la Palestine), celle des lieux saints de l’islam, avec Jérusalem pour capitale et la mosquée al-Aqsa pour emblème.
Le chef du Hamas appelle tous les "enfants de l'Umma" "où qu'ils soient" et "chacun à sa manière" à combattre à ses côtés. https://t.co/bJwyU2m0e7
— Florence Bergeaud-Blackler (@FBBlackler) October 9, 2023
C’est à dessein que le chef du Hamas – dont la charte prône la destruction d’Israël – a nommé l’offensive du groupe armé islamiste «Déluge d’al-Aqsa», lui conférant une dimension religieuse censée galvaniser les musulmans du monde entier.
Galvanisée, la petite foule propalestinienne rassemblée lundi soir devant l’opéra de Sydney l’était. Des «gazez les juifs!» ont retenti, déclenchant une enquête de la police australienne. D’autres mots entendus à cette occasion – «Allah Akbar», «Takbir» – se rapportent eux aussi à la tradition prophétique dans un contexte de combat.👇
Video: A crowd at the steps of the Sydney Opera House chants "gas the Jews" and "f*ck the Jews" on October 9. pic.twitter.com/uPNLuaIgcv
— Gabriel Noronha (@GLNoronha) October 9, 2023
A Brighton, en Angleterre, une militante propalestinienne a déclaré lors d’un rassemblement que ce qu’a fait le Hamas dans le sud d’Israël était «beau» et «inspirant». A Duisbourg, à Berlin, à Manchester, à Malmö, à Toronto, à Barcelone, avant même toute riposte israélienne d’envergure, parfois dès le 7 octobre, jour des massacres, se sont tenus des rassemblements propalestiniens.
«Takbir», «Allah Akbar» étaient les mots entonnés par des islamistes lors des manifestations propalestiniennes de juillet 2014 à Paris, certaines étant émaillées de violences et d’actes antisémites. C’était en réponse à l’opération militaire israélienne «Bordure protectrice», qui avait fait plus de 2000 morts parmi les Gazaouis, dont 300 femmes et 500 enfants, suite à des tirs de roquettes sur Israël.
A Paris, les manifestants islamistes se réclamaient justement du Hamas. A leur tête, chauffant la foule à coups de «Allah Akbar», un certain Abdelhakim Sefrioui. Il est aujourd’hui renvoyé devant les assises pour association de malfaiteurs terroriste criminelle dans l’assassinat du professeur Samuel Paty, le 16 octobre 2020 à Conflans-Sainte-Honorine, en France, par un jeune Tchétchène.
«Cette fois-ci, ça peut être explosif», redoute un Français d’origine algérienne, averti des tourments identitaires traversant les descendants de l’immigration maghrébine et subsaharienne. «Enfin, tout dépend du degré de violence de la réponse militaire israélienne à Gaza», nuance-t-il.
Notre interlocuteur, qui préfère garder l’anonymat, notamment par crainte de possibles répercussions sur un plan professionnel, estime que «les médias mainstream, télés, radios, journaux, ont verrouillé l’information, adoptant le récit israélien». Il ne nie pas le caractère terroriste de l’attaque du Hamas sur des civils israéliens, mais il pense que:
«Un black-out, un déni, reprend-il, pourrait entraîner une forte réaction parmi les Français musulmans, d’autant que toute manifestation propalestinienne est pour l’heure interdite par le gouvernement, alors que les rassemblements en faveur d’Israël sont autorisés. Un sentiment d’injustice, le fameux deux poids, deux mesures réapparaîtrait», prédit-il.
Alors que les attentats islamistes commis en France à compter de 2015 avaient en quelque sorte calmé les ardeurs des groupes propalestiniens, qui se gardèrent de démonstrations de force dans un pays «à cran» après le Bataclan et l'attentat antisémite de l'hypercacher, la tragédie du week-end dernier dans le sud d’Israël et la répression qui s’annonce terrible côté israélien, pourraient remettre les compteurs de la paix civile à zéro, pour le pire. «Une cinquantaine d’actes antisémites» – tags ou menaces verbales – ont été recensés par le ministère de l’Intérieur, qui a placé les synagogues et écoles juives sous protection. Certains tweets de La France insoumise, le parti de la gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon, renvoyant dos à dos Israël et le Hamas, pas même qualifié de terroriste, sont jugés inflammables dans le contexte français.
Le professeur de science politique à l’Université de Genève, Rémi Baudouï, ne s’attend pas nécessairement à des accès des violences en France et encore moins en Suisse.
Des impondérables qui ont pour nom les buts de guerre israéliens, le degré de violence dans la répression, l'entrée en guerre ou non du Hezbollah au nord d'Israël, le traitement réservé aux otages aux mains du Hamas, etc.
Dans une série de tweets sonnant comme une réponse à l'appel masqué au djihad du chef du Hamas, l'islamologue français Rachid Benzine appelle à la paix. A la paix ici: «Si nous, qui vivons en paix, n’arrivons pas à débattre de nos désaccords en mettant la dignité humaine avant toute chose, comment les Israéliens et les Palestiniens le pourraient-ils un jour?», écrit-il.
1/ 3 L’inhumanité frappe encore la terre sainte. Dans l’horreur de ces cycles mortifères, on est tenté de choisir sa douleur et ses morts, de choisir son camp. Sauf qu’on ne défend pas la cause palestinienne avec une culture de mort comme celle du Hamas. On ne défend pas Israël
— Rachid Benzine (@BenzineRachid) October 10, 2023