Le kiosque d'Elsi Tuamas est l'un des rares points de rendez-vous à Shlomi au nord d'Israël. Les ouvriers agricoles, les réservistes et les durs à cuire qui sont restés malgré la guerre s'approvisionnent ici en tabac, en alcool et en billets de loterie. La tenancière, Elsi, 30 ans, et son mari viennent tous les jours de Nahariya pour travailler dans leur kiosque.
Depuis le balcon de cette chrétienne née au Liban, on aperçoit la frontière à quelques centaines de mètres à vol d'oiseau. «Un coup de feu et c'est fini».
Un cessez-le-feu a mis fin aux combats pour soixante jours mercredi dernier. Cela n'empêche pas Israël de le violer quasiment tous les jours. Durant cette période, l'armée israélienne et le Hezbollah doivent se retirer du Sud-Liban. De l'autre côté, derrière la chaîne de montagnes, l'armée libanaise doit contrôler que la milice chiite soutenue par l'Iran ne revienne pas. Le calme qui règne à Shlomi n'inspire rien de bon à Elsi, qui a encore de la famille de l'autre côté de la frontière.
Mais elle reconnaît que le cessez-le-feu est une bonne nouvelle pour ses enfants. Elle est aussi contente que son mari, Joseph, ne soit plus dans l'armée. Celui-ci, justement, distribue du café à la clientèle. Il nous confie:
En fait, il s'appelle autrement. Chrétien libanais comme sa femme, il a fui en Israël en 2000 avec le départ des troupes d'occupation israéliennes. Par égard pour ses proches, il ne veut donc pas voir son nom dans le journal.
La famille Tuamas fait face à un dilemme. La grand-mère d'Elsi a fui les bombes israéliennes à Beyrouth et son oncle aurait été blessé aux jambes par des soldats israéliens. Pour autant, elle et son mari sont aujourd'hui eux-mêmes israéliens. Joseph, de son côté, a été légèrement blessé deux fois en tant que soldat à Gaza. Il est même revenu dans son ancien village natal au Liban pendant la guerre.
Ainsi, à leurs yeux, le Hezbollah est tout aussi menaçant que leurs voisins juifs. Pour le prouver, Joseph sort de sous le comptoir des morceaux de roquettes gros comme le poing qui sont tombés devant le kiosque.
Avec sa clientèle, Elsi parle aussi couramment l'hébreu que l'arabe. Une cliente juive aux cheveux blancs tient à lui faire savoir son admiration:
Le Hezbollah a tiré environ 8000 roquettes depuis le 8 octobre 2023. L'armée de l'air israélienne a répondu en multipliant les frappes aériennes. Conséquence: environ un million de Libanais et quelque 60 000 Israéliens ont été déplacés.
Israël a massivement affaibli la milice: celle-ci aurait perdu entre 3000 et 4000 combattants, selon l'agence de presse Reuters. D'après les données israéliennes, 80% de l'arsenal de roquettes du Hezbollah aurait été détruit. Presque tous les dirigeants ont été tués. Mais pour beaucoup à Shlomi, ce n'est pas encore suffisant:
Beaucoup dans le nord d'Israël pensent comme lui: plusieurs communautés ont critiqué l'accord. Selon un récent sondage, 54% des Israéliens juifs du pays soutiennent la poursuite de la guerre.
Pour comprendre cela, il faut revenir au traumatisme du 7 octobre 2023, lorsque le Hamas a attaqué le sud d'Israël, tuant 1200 personnes et en enlevant 251. «Si le Hezbollah avait attaqué de cette manière il y a un an, je ne serais pas ici aujourd'hui», lance Ascher Yakuti, un agriculteur qui a rejoint la conversation.
Ce producteur d'avocats de 56 ans arrive du village voisin d'Avdon avec de la terre collée à ses bottes. Il clame haut et fort:
Sur ses doigts rugueux, il énumère les décennies passées: la guerre du Liban en 1982, plusieurs cycles de combats dans les années 1990. La guerre du Liban de 2006.
Une semaine seulement après son entrée en vigueur, le cessez-le-feu est déjà dangereusement ébranlé. L'armée israélienne a en effet mené plusieurs raids aériens au Liban dès le surlendemain de l'accord, les justifiant par de prétendues violations de la trêve par le Hezbollah, alors que celui-ci a tiré seulement ce lundi soir ses deux premiers obus de mortier par-dessus de la frontière. L'armée y a répondu par une nouvelle série de raids dévastateurs. L'espoir de paix s'amenuise ainsi un peu plus.
Adaptation française: Valentine Zenker