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«Le soutien à Israël diminue, c'est la grande victoire du Hamas»

Des etudiants pro-palestiniens participent a une assemblee generale dans le hall principal du batiement Uni Mail (UNIGE) lieu d'occupation des etudiants pro-palestiniens de l'universite de G ...
Des étudiants pro-palestiniens occupent le hall de l'université de Genève, le lundi 13 mai. Keystone

«Israël est de plus en plus isolé, c'est la plus grande victoire du Hamas»

Il fait partie des auteurs de polars les plus lus de Suisse, et donne des cours à l'université de Bâle. Alfred Bodenheimer est convaincu qu'une «israélophobie» sévit en Suisse.
27.05.2024, 18:4727.05.2024, 18:47
Julian Schütt / ch media
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Alfred Bodenheimer fait la navette entre Israël et Bâle, mais aussi entre science et littérature sur le plan professionnel. Il est professeur d'histoire de la littérature et des études juives à l'université de Bâle. Parallèlement, il vient de publier le roman In einem fremden Land, dont l'action se déroule à Jérusalem.

Ce nouveau livre a été écrit durant l'été 2023 et décrit une société israélienne divisée et désunie sous le gouvernement Netanyahou, peu avant le massacre du Hamas du 7 octobre. Il est frappant de voir avec quel soin et quelle complexité Alfred Bodenheimer dessine ses personnages, avec quelle nuance il parle d'Israël, mais aussi de ceux qui critiquent le pays.

Livre de Alfred Bodenheimer
«In einem fremden Land». (réd. Dans un pays étranger), n'a pas été traduit en français.

Alfred Bodenheimer, la lecture de votre roman In einem fremden Land montre clairement à quel point Israël est déchiré. Cela se ressent-il véritablement jusque dans les familles et au sein des cercles d'amis?
Oui, c'est le cas. Moi aussi, j'ai des connaissances proches qui ont exprimé des choses que je ne peux plus comprendre. Il faut souvent se demander si l'on peut sacrifier une relation à cause d'une position politique ou si l'on peut surmonter ce qui nous sépare. De nombreuses familles israéliennes vivent de tels déchirements. Mais aussi profonds que soient les conflits politiques, les gens doivent quand même s'entendre.

Dans votre livre, vous faites dire à une professeure d'histoire que dans la diaspora, les Juifs savent encore qu'ils sont un peuple et qu'ils s'imaginent que dans leur propre pays, le sentiment d'appartenance est encore plus intense. Mais au lieu de cela, les gens en Israël sont devenus de plus en plus étrangers les uns aux autres. Cela correspond à votre perception de la réalité?
Oui, on a souvent parlé de la communauté de destin juive. Et ce que l'on voit maintenant, ce ne sont que des champs de tensions internes en fonction de l'attitude religieuse ou nationale. La manière dont on se positionne par rapport aux autres peuples est également très différente. Et tout cela déchire ce peuple. Dans la diaspora, cela peut être absorbé, car chacun peut penser ce qu'il veut dans son propre lieu. En tant que minorité dans la diaspora, les Juifs ont ressenti cette unité.

«Mais en tant que majorité en Israël, cet élément de cohésion fonctionne de moins en moins»

Et le gouvernement de Benjamin Netanyahou travaille également à une politique de division. Abattre les autres est son principe.

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Vous avez écrit In einem fremden Land l'été dernier, donc avant le 7 octobre et la guerre qui s'en est suivie. Qu'est-ce qui vous a poussé à publier malgré tout le livre dans sa forme initiale?
Bien que je n'aie rien changé dans le roman, j'ai ajouté une note en préambule indiquant que le livre a été écrit dès l'été 2023. Je pense que ce n'est pas un défaut. Comprendre les antécédents d'événements inattendus est important. Je suis d'accord avec le proverbe hébreu «celui qui comprendra comprendra ». Ce qui est décrit dans le roman n'est pas simplement annulé par ce qui s'est passé après. J'essaie de capter l'atmosphère dans laquelle tout s'est déroulé. Cette atmosphère a probablement aussi influencé le Hamas. Lui aussi n'a pas manqué de voir comment Israël s'effondrait. Cela l'a certainement encouragé à mener l'action du 7 octobre.

«Après le massacre, il y a eu un rapprochement de courte durée en Israël, mais entre-temps, les processus de désintégration ont peut-être eu des effets encore plus dramatiques qu'auparavant.»

Les manifestations contre le gouvernement Netanyahou occupent une place importante dans votre livre. Ne sont-elles pas la preuve qu'il n'y a pas que de la désintégration en Israël, mais aussi des évolutions positives?
A ceux qui pensent que je dresse un portrait un peu sombre d'Israël dans mon roman, je réponds précisément ceci: lors de la crise de 2023, j'ai découvert qu'il y avait une société civile israélienne qui manifestait et disait «Pas avec nous!». Une société qui veut aussi et avant tout être une démocratie, quelle que soit l'opinion que l'on a par ailleurs. Mais avec le mouvement anti-israélien massif qui est apparu peu après le 7 octobre dans les milieux de gauche libéraux et post-coloniaux en Europe ou aux Etats-Unis, ce mouvement démocratique israélien a en partie perdu son âme.

Alfred Bodenheimer
Alfred Bodenheimer a longtemps enseigné en Israël.Image: dr

Cela signifie-t-il que les manifestants anti-israéliens, ici en Europe, contribuent à affaiblir l'opposition en Israël qui, elle, veut changer les choses pour le mieux?
C'est ainsi que je le vois. Les manifestants israéliens voulaient être comme les cercles libéraux à l'étranger, et tout à coup, ils se sont retrouvés en première ligne, alors même qu'Israël luttait pour sa survie après le massacre. Les Israéliens ont longtemps été traumatisés, certains avaient des proches sur le terrain et ne voulaient pas continuer à manifester, ne serait-ce que pour cette raison.

«Aujourd'hui, beaucoup pensent que ce n'est pas le mouvement de protestation en Israël qui peut à lui seul balayer le gouvernement de Netanyahou.»

D'un autre côté, beaucoup en Israël sont convaincus que ce gouvernement ne fera pas long feu, car ils ne savent tout simplement plus ce que veut Netanyahou. Certains pensent qu'il s'avance vers Rafah, non pas tant parce qu'il pense que c'est utile, mais pour que sa coalition ne se désagrège pas.

Cela semble terriblement cynique de dire que Netanyahou ne cherche qu'à prolonger son gouvernement en étendant la guerre à Rafah.
C'est ce que pense désormais la majorité des gens en Israël. Même selon les sondages, la plupart sont convaincus que Netanyahou poursuit avant tout ses propres objectifs et non ceux du pays. A cela s'ajoute le conflit avec les Etats-Unis. Au début, il y avait beaucoup de solidarité de la part de nombreuses parties. Mais le gouvernement de Netanyahou a tout gâché. Le soutien international diminue massivement.

«C'est en fait la plus grande victoire du Hamas qu'Israël soit de plus en plus isolé»

Dans votre livre, vous racontez aussi comment, au sein de la jeune génération, beaucoup sont indifférents à la politique. A quel point cette attitude est-elle répandue?
Il y a un stress quotidien chez les jeunes. Les gens deviennent parents plus jeunes que chez nous. A cela s'ajoutent les soucis économiques, car le pays est immensément cher par rapport aux revenus. En Israël, beaucoup ont le sentiment que ceux qui ont des qualités vont dans le secteur privé, alors que seuls les corrompus et les idiots sont attirés par la politique. Et c'est pourquoi les jeunes préfèrent faire bouger les choses dans leur environnement privé plutôt que par la politique.

Ici, en Suisse, de nombreux jeunes sont soudain redevenus activistes et très pro-palestiniens. Comment expliquez-vous ce mouvement de protestation unilatéral contre Israël ait pu naître chez nous en si peu de temps?
Les réseaux sociaux jouent certainement un rôle très important. Il y a une immense ignorance. Ce semestre, j'ai donné un cours sur l'histoire religieuse du judaïsme dans une petite université ecclésiastique.

«C'étaient des gens ouverts d'esprit, mais certainement pas des révolutionnaires»

L'un des cours portait sur le sionisme. Soudain, un étudiant a dit qu'à sa connaissance, Theodor Herzl était à l'origine de l'expulsion des Arabes. Et deuxièmement, que les Arabes auraient accueilli les Juifs à bras ouverts, et que les Juifs auraient expulsé les Arabes. L'étudiant m'a remercié parce que je lui ai expliqué ce qu'il en était réellement de la culture d'accueil des Arabes à l'époque. Mais ce que je veux dire, c'est que si un étudiant en théologie sans préjugés a déjà des lacunes aussi grossières, qu'en est-il du reste de la société?

Au moins, l'étudiant en théologie était encore sensible aux faits historiques. Faut-il craindre que les manifestations estudiantines propalestiniennes ne basculent dans l'agressivité?
J'étais à Hambourg et j'ai donné une conférence publique sur l'antisémitisme à l'université. Avant même la conférence, un tract a été distribué, dans lequel j'étais diffamé en tant qu'incitateur à la haine. La conférence s'est certes déroulée dans le calme, mais des violences physiques ont ensuite eu lieu, une auditrice a été blessée et a dû être transportée à l'hôpital. Nous sommes déjà dans une situation qui n'est plus sous contrôle. On peut et on doit débattre de manière controversée, mais on observe désormais une «israélophobie», comme l'a décrit le journaliste britannique Jake Wallis Simons.

«Israël est devenu un objet de haine, et tout ce que nous connaissons de l'antisémitisme d'antan est déversé sur lui»

Que vous inspirent les manifestations anti-israéliennes dans les universités?
C'est une restriction de la liberté de parole et de mouvement et du bien-être des professeurs et des étudiants juifs dans nos universités. Je ne sais pas quand arrivera le moment de basculement où les gens diront: «Antisémite? Oui, je suis antisémite, si vous voulez m'appeler comme ça. Pas de problème». Si cette attitude se manifeste avec une certaine régularité, les dés seront jetés. Les universités suisses deviendraient alors un «no place» pour des gens comme moi.

(Traduit de l'allemand par Barnabé Fournier)

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Il a bloqué le Gothard.
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