Christian Tomuschat est l'un des meilleurs spécialistes du droit international en Europe. Professeur émérite de droit public, de droit international et de droit européen à l'Université Humboldt de Berlin, il a été membre du Comité des droits de l'homme et de la Commission du droit international de l'ONU.
Israël bombarde massivement la bande de Gaza depuis des semaines et semble désormais avoir lancé son offensive terrestre en entrant par le nord. Selon les Nations unies, des milliers de civils sont déjà morts dans les raids aériens. Israël va-t-il trop loin?
Christian Tomuschat: avec ses bombardements, Israël flirte avec les limites. Même lors d'une offensive telle que celle qu'Israël mène actuellement contre le Hamas, les règles élémentaires du droit de la guerre doivent être respectées. Les principes d'humanité et de proportionnalité s'appliquent par exemple.
Les extrémistes du Hamas se cachent toutefois dans des habitations et d'autres bâtiments civils. Le groupe terroriste utilise les civils comme boucliers et ne se soucie pas de leur souffrance. Comment Israël peut-il, dans ces conditions, mener un conflit armé selon les règles du droit international de la guerre?
Il est extrêmement difficile pour l'armée israélienne de mener une guerre contre cet adversaire et dans ces circonstances selon les normes du droit international.
En fait, les forces armées devraient se tenir et opérer à bonne distance de la population. Tous les efforts des belligérants devraient viser à séparer largement les combattants et les civils. Mais cela n'est guère réalisable dans la situation actuelle. Nous n'avons pas affaire à deux Etats dont les armées s'affrontent loin des régions habitées.
Quelles sont les conséquences pour l'armée israélienne?
L'armée israélienne est confrontée à un véritable dilemme: si Israël veut éliminer complètement le Hamas, qui a commis le pire massacre de juifs depuis l'Holocauste, il doit presque inévitablement accepter la mort de civils.
L'organisation terroriste Hamas a sciemment déclenché la guerre actuelle au Proche-Orient en lançant le 7 octobre une attaque barbare contre Israël qui a fait 1400 morts. De quelles possibilités Israël disposait-il immédiatement après l'attaque du Hamas pour réagir dans le cadre du droit à l'autodéfense?
Israël n'avait pas seulement le droit, en vertu de l'article 51 de la Charte des Nations unies, de se défendre contre l'organisation terroriste Hamas. En tant qu'Etat, Israël a également le devoir de protéger sa population contre les attaques terroristes par des mesures appropriées. L'utilisation de la force armée fait partie de ces mesures.
Le fait qu'Israël se batte contre un groupe terroriste et non contre un Etat souverain fait-il une différence en termes de droit international?
Non. Israël mène clairement une guerre d'autodéfense contre cette organisation terroriste. De plus, en tant que maître de la bande de Gaza, le Hamas a une forme de gouvernement.
L'armée israélienne assure qu'en éliminant le Hamas, elle agit en accord avec le droit international et respecte les directives. Qu'en dites-vous?
Les conventions de Genève et leurs protocoles additionnels ainsi que le règlement de la Haye sur la guerre terrestre s'appliquent également dans ce conflit armé.
Le point central est que la population civile, les personnes civiles individuelles et les installations civiles telles que les hôpitaux bénéficient d'une protection générale et ne peuvent donc pas être attaquées.
Les forces armées israéliennes ont-elles le droit de boucler la bande de Gaza et d'empêcher l'acheminement de l'aide via ses points de passage?
Selon les règles du droit international, les belligérants ne doivent pas affamer la population civile. Les belligérants n'ont pas le droit de couper les vivres aux civils pour obtenir des avantages militaires. Peu de temps après le début des hostilités, une commission de l'ONU a évoqué de fortes présomptions de crimes de guerre.
Ces actes seront-ils un jour sanctionnés?
Je pars du principe que des enquêtes seront menées. L'ONU ou d'autres institutions, éventuellement la Cour pénale internationale, peuvent mener ces enquêtes. L'objectif doit être d'obtenir des preuves fiables en vue d'éventuelles procédures pénales.
Pour conclure, une question fondamentale: que vaut le droit international s'il n'est pas appliqué?
La situation actuelle fait malheureusement planer de gros doutes sur l'efficacité du droit international.
Traduit et adapté par Noëline Flippe