Des centaines de personnes vêtues de noir, rassemblées en pleine rue, lèvent trois fois le bras en criant «présent». La scène, filmée dimanche soir à Rome, a fait le tour du monde et plongé l'Italie dans une âpre polémique.
Pourtant, il ne s'agit pas d'une nouveauté. Chaque 7 janvier, des centaines de militants d'extrême droite se rassemblent dans ce même lieu, l'ancien siège romain du Mouvement social italien (MSI) - une formation néofasciste fondée par des partisans de Mussolini au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale. Cet événement commémore le meurtre de trois jeunes membres du parti, tués en 1978.
L'extrême gauche a été tenue pour responsable de la mort de deux d'entre eux, mais l'enquête n'a abouti à aucune condamnation. Le troisième militant est décédé après avoir été touché par une balle perdue lors des émeutes qui ont suivi.
Absolutely abhorrent.
— European Jewish Congress (@eurojewcong) January 8, 2024
Hundreds of black-shirted Fascists gathered at a rally in Rome, where they performed the "saluto al Duce", the Fascist salute.
That gesture is from the darkest chapter of our history and must be left there. pic.twitter.com/ShkCKt0dLP
Au fil des ans, la célébration du 7 janvier est devenue «le principal événement de rue de l'extrême droite italienne», explique le média en ligne Fanpage. Le défilé martial, les cris et les bras levés, tout est prévu et planifié dans les moindres détails.
Pourquoi donc on n'en parle que maintenant? Plusieurs éléments de contexte expliquent l'explosion de la polémique, analyse Hervé Rayner, maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne et spécialiste de l'Italie.
En effet, Fratelli d'Italia (FdI) est indirectement issu du Mouvement social italien, qui s'est transformé à coups de scissions et changements de nom dans le parti que Giorgia Meloni préside aujourd'hui. Ce dernier conserve le symbole de la flamme tricolore sur son logo, historiquement utilisé par le MSI.
A cela s'ajoutent également des considérations juridiques, poursuit Hervé Rayner: «Le 18 janvier, la Cour de cassation va décider une fois pour toutes si le salut romain est un délit, ce qui n'échappe pas aux élus de la gauche». Ce geste est, théoriquement, déjà interdit par la loi, mais elle reste difficile à appliquer en raison de sa formulation.
La publication des images a provoqué une pluie de condamnations, provenant de tous les partis de l'opposition, mais pas uniquement. Rien de tel du côté de Giorgia Meloni, qui n'a pas encore pris position sur le sujet.
«Giorgia Meloni doit jouer de prudence», estime Hervé Rayner. «Si son silence se poursuit, il pourrait contribuer à désamorcer la polémique. Mais, si cette dernière ne désenfle pas, cette posture va devenir plus difficile à tenir». Et le spécialiste d'ajouter:
Le défilé de dimanche soir a été organisé par Casa Pound, une autre formation néofasciste italienne. Mais plusieurs manifestations se sont tenues pendant toute la journée pour commémorer la mort des trois militants. Et des membres de FdI y ont participé.
C'est le cas du député Fabio Rampelli, qui a pris part à une cérémonie pendant la matinée - au cours de laquelle une poignée de personnes ont fait le salut fasciste. Des gens qui n'ont «rien à voir» avec le parti, s'est-il défendu par la suite.
Même son de cloche chez Ignazio La Russa. Le président du Sénat a déclaré qu'aucun membre de son parti a participé au défilé du soir. Avant d'ajouter que, d'après lui, le salut fasciste pourrait «ne pas être considéré comme un délit». Le sénateur y voit plutôt un geste pour «commémorer les défunts».
«Les propos d'Ignazio La Russa parlent à différents publics», analyse Hervé Rayner.
Fils d'un dirigeant fasciste et lui-même ancien membre du MSI, La Russa tient régulièrement des propos polémiques sur le fascisme. Il est également connu pour exhiber un buste de Mussolini dans son domicile milanais, un cadeau de son père dont il ne veut pas se débarrasser.
Les réactions ambiguës des membres de FdI ayant pris la parole sont surtout révélatrices d'une «ambivalence qui est constitutive de l'identité politique du parti», poursuit le chercheur. «Plusieurs membres de FdI, à commencer par Giorgia Meloni, ont grandi dans les jeunesses du MSI», ajoute-t-il.
«Cet héritage est à la fois revendiqué et euphémisé», ajoute-t-il. «Il y a une autocensure permanente, mais qui se laisse aller dans l'entre-soi militant».
Le spécialiste rappelle finalement que la position de la cheffe du gouvernement et de son parti «dépendra également de stratégies et de rapports de force plus globaux, tels que l'issue des élections européennes. Si FdI voudra s'allier avec le PPE, par exemple, il devra peut-être arrondir les angles».