C'est l'histoire de la semaine en Italie. Mercredi 18 janvier, le journal Quotidiano nazionale publie le témoignage d'une certaine Giuseppina Giugliano, concierge dans une école de Milan, qui affirme parcourir 1600 km par jour pour se rendre au travail depuis son domicile de Naples, à l'autre bout de la péninsule.
La raison? Les loyers dans la métropole lombarde sont trop élevés et, avec un salaire de 1165 euros par mois (la même somme en francs suisses), elle ne peut pas se le permettre. En achetant ses billets à l'avance, Giuseppina dépense nettement moins d'argent, ce qui lui permet en plus de continuer à habiter avec sa famille et ses «petits chiens». Pour ce faire, elle doit se réveiller à 4 heures et n'est de retour à la maison qu'après 23 heures. La jeune concierge passerait donc neuf heures par jour dans le train.
Cette histoire a rapidement fait le tour du pays. La presse nationale s'est emballée. Du Corriere della Sera à Fanpage, en passant par Open, l'histoire a été reprise par beaucoup de gros journaux italiens. De nombreux médias étrangers, y compris en Suisse, sont également sur le coup.
Le problème, c'est que l'authenticité du témoignage de la «concierge héroïque» est de plus en plus remise en cause. Voici les principaux doutes.
Le coût de la vie varie énormément entre le Sud et le Nord de l'Italie. Les habitants des régions méridionales, historiquement rurales, dénoncent les prix élevés des métropoles du Nord, où se concentre le développement économique du pays. C'est par ailleurs le message central du témoignage de Giuseppina Giugliano:
Ce n'est pas qu'une façon de parler. Selon les chiffres du comparateur en ligne Numbeo, les prix des loyers à Milan sont supérieurs de 120,4% par rapport à Naples. Les prix à la consommation grimpent de 48,1%.
Un détail a retenu l'attention du site de fact-checking italien Butac, le premier à avoir essayé de vérifier les déclarations de la jeune pendulaire (contrairement à la plupart des médias italiens): le prix du ticket de train. Giuseppina Giugliano affirme:
Or selon Butac, il est techniquement impossible de dépenser aussi peu. Les billets achetés à l'avance sur cette ligne coûtent au minimum 30,90 euros, ce qui, multiplié par le trajet aller-retour, donne 61,8 euros. Multiplié par 6 jours par semaine (elle affirme travailler également le samedi) et 4 semaines par mois, cela donne 1483,2 euros.
Pour Butac, cela ne fait aucun doute, étant donné que le prix minimum évoqué plus haut comprend déjà tous les rabais possibles et imaginables:
Autre détail problématique. Les loyers. Si personne ne conteste les prix faramineux du centre de Milan, beaucoup d'internautes font remarquer qu'il ne faut pas aller jusqu'à Naples pour trouver des logements abordables.
Suite à une rapide recherche sur internet, Butac montre l'exemple d'un appartement situé à Pavie (57 minutes de train depuis Milan) coûtant 450 euros par mois.
Et l'école où elle travaille, dans tout cela? Comme le fait remarquer la Gazzetta dello sport, l'histoire risque de mettre à mal l'image de l'établissement, étant donné qu'un tel rythme de vie est tout sauf sain. Le Code civil italien stipule par ailleurs que «l'employeur est tenu de prendre les mesures qui sont nécessaires pour protéger l'intégrité physique et la personnalité morale des travailleurs».
Or à ce sujet, la position de l'école est ambiguë. Si l'établissement n'a pas voulu répondre aux questions de la Gazzetta dello sport, d'autres voix semblent confirmer le récit de la concierge napolitaine.
Dans une interview accordée au journal à l'origine de l'info, une professeure travaillant dans la même école, affirme:
A cela s'ajoute un tweet d'un certain Davide Andriolo, qui déclare: «Il a suffi d'un coup de fil pour découvrir qu'elle l'avait fait deux fois et qu'elle avait ensuite pris un congé spécial payé. Malgré l'offre d'un logement non loin de l'école». Des déclarations impossibles à vérifier, mais qui contribuent à semer le doute.
«Tout est vrai», affirme la professeure dans un troisième article du même journal, publié après l'explosion de la polémique. Quotidiano nazionale dénonce une vague de «haine» qui a déferlé sur les réseaux sociaux, des milliers d'internautes mettant en cause la crédibilité de l'histoire. Face à cette tempête, la jeune femme aurait demandé un jour de congé, ce vendredi: «Je ne me sens pas de quitter la maison».
Il n'est finalement pas encore possible de déterminer si et à quel point le récit de la «concierge pendulaire» est vrai. Si rien ne justifie des messages de haine, certains affirment tout de même qu'utiliser cette histoire à des fins morales, ce qui a été fait en filigrane par la presse italienne, est malsain. Pour l'opinion publique en général, ce n'est pas la bonne manière de dénoncer les prix élevés de la métropole lombarde.
Considérer une personne qui est prête à sacrifier sa vie quotidienne comme un exemple vertueux est faux et potentiellement dangereux, écrit Rolling stone Italia.