Lundi, même Jill Biden est venu publiquement renforcer la santé mentale (et l'image) de son mari. Après que le procureur spécial Robert Hur ait posé une bombe dans le clan démocrate, en décrétant que le président est un «homme âgé, bien intentionné, avec une mauvaise mémoire», la première dame a juré que Joe Biden faisait «plus en une heure que la plupart des gens en une journée». Comme si la quantité suffisait à s'assurer de la qualité, à l'image du roi Charles, dont on dit qu'il bosse tellement que le passage au petit coin devient un luxe.
En colère contre le procureur spécial, «qui n'est pas médecin», le Dr Jill Biden a aussi voulu rappeler que l'âge est d'abord gage d'une «grande expérience».
La première dame a profité d'un appel aux dons, par e-mail, pour lâcher sa frustration et donner son sentiment sur cette affaire. Bonne pioche, puisque, selon CNN, la campagne de Biden n'aurait jamais récolté autant d'argent en si peu de temps. Sur le même ton, c'est ensuite sa colistière qui a tenu a louer la résistance mentale du candidat-président: «J'ai été avec Joe dans le bureau ovale quand les caméras étaient là et quand elles ne l’étaient pas. Je l'ai vu rassembler des gens à travers le pays et à travers le monde».
Enfin, après le poids des mots, le choc des photos. A quelques crampons du Super Bowl, c'est Joe Biden lui-même qui a voulu rappeler l'importance d'un leader bardé d'expérience, en postant un vieux cliché sur lequel il joue au ballon, en «1987 avec mes garçons». Il en profite ainsi pour rendre hommage à son fils Beau, décédé d'un cancer en 2015, et tacler le procureur spécial qui a sous-entendu que le président avait oublié l'année de son décès.
En d'autres termes, malgré les bévues, les confusions, les chutes, tout ce qui a été dit sur la santé mentale du président Joe Biden «est faux» et «clairement motivé par des considérations politiques». Pour la Maison-Blanche et l'équipe de campagne, pourtant, ça ne pourrait pas être pire. Ce qui aurait dû rester l'activité malveillante du clan MAGA à son encontre, est devenu le sujet politique le plus sensible des démocrates. Aux grands mots, les grands moyens, il s'agit désormais d'inverser la tendance. Pour cela, on sort l'artillerie lourde.
En quelques heures, une dizaine de missionnaires ont été envoyés sur tous les plateaux télé du pays pour dire que Biden gère, que c'est toujours le patron et qu'il assure. De retour aux manettes du Daily Show, depuis lundi, pour commenter l'année présidentielle, l'humoriste Jon Stewart a posé une question vacharde: «Quelqu'un a-t-il eu la présence d'esprit de filmer ces moments où il est bon? Au lieu de lui faire dire "J'aime les cookies!" sur TikTok?»
Jon Stewart kicks off The Daily Show's election coverage with a wellness check on America's two chronologically challenged candidates: Joe Biden and Donald Trump. pic.twitter.com/RPmFodvVAy
— The Daily Show (@TheDailyShow) February 13, 2024
En plus, la stratégie de réhabilitation mentale du président a démarré par un contretemps sans doute involontaire: l'interview à rallonge de Kamala Harris par le respectable (et plutôt conservateur) Wall Street Journal. Publié lundi, l'entretien a été réalisé deux jours avant la bombe lâchée par le procureur spécial Robert Hur. Alors, forcément, ça prête vite à la confusion. Pile quand tout le pays se demande si le président est capable de diriger la plus grande puissance mondiale, voilà qu'on catapulte la vice-présidente dans les médias pour rassurer et promettre que la relève est en bon état de marche.
Dès les premiers signes alarmants, l'entourage du président a déployé quelques astuces pour lui éviter le maximum d'humiliations publiques. «Un seul moment viral peut ruiner plusieurs jours de travail qui se sont très bien déroulés», chuchote un proche collaborateur de Biden à NBC News.
Depuis qu'il a durement trébuché sur un sac de sable durant une cérémonie militaire, en juin 2023, Joe Biden est tenu à carreau et plusieurs astuces ont déjà été déployées: un escalier avec des marches plus petites pour rejoindre Air Force One, moins de conférences de presse (et aussi moins longues), éviter les grands entretiens assis et en direct. Son prompteur accueille depuis quelques mois des caractères plus grands et il ne quitterait plus un carnet de note, «sous la forme de résumés courts et efficaces», que son entourage rédige, pour qu'il n'oublie jamais les points importants.
Mais tant qu'il montera sur scène, fera quelques pas, prononcera quelques mots, le risque zéro n'existera pas. Comme pour assumer ou conjurer le sort, Joe Biden a décidé d'en rire en public, alignant les allusions à son âge et à sa mémoire.
A la Maison-Blanche, on fait bloc. Quitte à paraître parfois un peu de mauvaise foi. Karine Jean-Pierre, la très sollicitée porte-parole du président, refuse de s'étendre sur les récents petits moments difficiles de son patron, se reposant toujours sur son dernier bilan médical réalisé par le Dr Kevin O’Connor. Hasard vache du calendrier, ce dernier date d'une année, quasiment jour pour jour. Le 16 février 2023, Joe Biden, 183 centimètres pour 81 kg, avait été annoncé «en bonne santé», «vigoureux» et «apte», après plusieurs tests physiques, mais aussi un «examen neurologique extrêmement détaillé». A l'époque, Biden n'avait pas encore annoncé sa candidature.
Karine Jean-Pierre when asked about Biden taking a mental competency test: "I'm not a medical doctor"pic.twitter.com/FuzDrymEqd
— RNC Research (@RNCResearch) February 9, 2024
Si on ignore la date de son prochain check-up, les journalistes ne se sont pas fait prier pour demander si les tests cognitifs seront au programme. Tournant passablement autour du pot, rappelant que Biden n'est pas juste son «boss», mais «d'abord un mentor», Karine Jean-Pierre a paraphrasé son médecin en rappelant que le «président démontre tous les jours, dans le cadre de son travail, ses capacités cognitives». En d'autres termes, on dirait bien que la Maison-Blanche ne veut pas se risquer à envoyer le président-candidat au casse-pipe, en le soumettant à un test qui pourrait se retourner contre lui.
D'une manière ou d'une autre, il s'agit de détourner l'attention. Et la récente arrivée de la campagne Biden-Harris sur TikTok a fait l'affaire dimanche soir. Profitant du Super Bowl pour déployer une nouvelle stratégie de communication en direction des jeunes, le président a donc parlé football et cookies sur une plateforme que le gouvernement considère toujours comme un «danger pour la sécurité nationale». Election présidentielle oblige, le chef d'Etat semble donc s'accorder une petite dérogation.
Il s'offre ainsi une petite cure de jouvence, en utilisant les codes un peu cool d'une application chinoise que le Pentagone regarde de travers, mais que les jeunes électeurs regardent tout court. Enfin, cette semaine toujours, Joe Biden a fortement intensifié sa campagne électorale en tapant de plus en plus directement sur son adversaire, Donald Trump. D'ailleurs, sur les quatre vidéos TikTok publiées à ce jour, la moitié concerne les déclarations publiques du gourou MAGA.
Pour les stratèges démocrates, l'idée est de prouver que les gaffes du candidat républicain «sont beaucoup plus dangereuses et révélatrices d'un problème cognitif» que celles de Biden, qui en a toujours fait.
Un poil taquin, Politico a réquisitionné une poignée de stratèges politiques de tous bords pour leur demander comment le président peut rapidement inverser la tendance. Dans le bac à idées? «Un entretien d'une heure, en direct, pour en parler franchement avec les Américains», «l'envoyer une bonne fois pour toutes sur la route», le faire assumer que les bourdes «ça a toujours été Joe Biden» ou encore le faire «défier Poutine à Call of Duty».
Tous sont d'accord sur une chose: Joe Biden a intérêt à reprendre la main sur ce récit. Et le plus rapidement possible. Même si, comme le dit très bien dans The Atlantic, la présidentielle américaine n'a jamais été qu'un «simple test de mathématiques» et «aucun des vieillards en lice ne montrent le moindre signe de sénescence catastrophique».