Il était accusé de «prise illégale d'intérêt», le voilà libre. C'est la première fois de l'histoire qu'un ministre de la Justice en exercice se retrouvait face à la Cour de justice de la République. Mais, jeudi, la relaxe d'Eric Dupond-Moretti a très vite laissé sa place à un débat vieux comme la cour qui l'acquitté.
Toujours très réactive lorsqu'il s'agit de dégainer un communiqué, La France insoumise a «dénoncé cette décision», quelques secondes à peine après le verdict. Il faut dire que sa condamnation aurait été considérée comme une surprise et que, même si ce verdict n'a été communiqué que mercredi, les quinze juges avaient déjà délibéré le 16 novembre. Certains soupçonnaient d’ailleurs qu’il avait fuité dans la matinée.
«Le maintien du ministre de la Justice montre que la prise illégale d'intérêt est un mode de Gouvernement en macronie», dira encore LFI en fin de communiqué. Or, la CJR (pour les intimes) est une instance qu'Emmanuel Macron, et François Hollande avant lui ont voulu, eux aussi, dézinguer. En 2014, le président socialiste considérait qu'il était temps de faire des ministres des Messieurs-tout-le-monde face à la justice.
Macron, c'est l'enquête menée par la CJR, sur la gestion de la pandémie par le gouvernement, qui l'avait fait sortir de ses gonds: «Quand des responsables – ministres, fonctionnaires, élus – se trouvent cités dans une procédure pour une crise qui est encore en cours, nous sommes loin de l’apaisement et de l’équilibre», assénait celui qui, à l'époque, grognait contre des magistrats particulièrement prompts à «judiciariser la vie politique».
Rien qu'en 2021, précisait notamment Le Monde, «20 199 plaintes ont été envoyées, dont la quasi-totalité concernait le Covid-19 et le passe sanitaire».
La Cour de justice de la République fut créée en 1993, dans une France alors gouvernée par François Mitterrand et embourbée dans le scandale du sang contaminé. Face aux accusations d'impunité des membres du gouvernement, cette instance s'était glissée sans trop d'encombres dans la Constitution, afin que magistrats et parlementaires, un peu comme au pays de Disney, s'unissent pour mieux juger les crimes dont le pouvoir est accusé, dans le cadre de ses fonctions.
Un échec cuisant. Un peu à la manière de la police des polices, la CJR n'a jamais réussi à éteindre les doutes et les critiques. Au contraire. Il faut dire que ses rouages sont particulièrement perméables aux interrogations. Si une commission gorgée de magistrats (et pensée comme un rempart à la récupération politique) est chargée de trier les plaintes, c'est la composition du jury qui fait s'étrangler à tous les étages.
Parmi les quinze juges, on trouve d'abord trois magistrats de la Cour de cassation. Le reste? Des élus. Six proviennent de l’Assemblée nationale, six autres du Sénat. C'est là que ça se gâte, puisque la majorité l'emporte. Un joyeux bordel politisé par essence, même si les juges «promettent de bien et fidèlement remplir leurs fonctions», et logiquement sous le feu de la polémique au moindre verdict.
Pour rappel, à la naissance de ce «tribunal du pouvoir», Laurent Fabius, alors premier ministre, avait été déclaré non coupable d'«atteintes involontaires à la vie et atteintes involontaires à l’intégrité physique des personnes», dans l'affaire du sang contaminé.
En sursis depuis de longues années, cette instance est pourtant noyée de plaintes. Mais pour imaginer un jour en finir avec la CJR, le chemin est jalonné de chicanes. Comme le racontait Le Monde en 2014, sa suppression devra passer par «une révision constitutionnelle et donc la tenue d'un Congrès».
Vous l'aurez compris: c'est chaud.
Dans l'affaire Dupond-Moretti, si le délit a été matériellement constitué, il n'y a «pas eu l'intention de le commettre». Ceux qui s'insurgent aujourd'hui contre la relaxe du garde des Sceaux ne se posent finalement qu'une seule question: comment croire que le ministre de la Justice, cet avocat talentueux et expérimenté qu'on surnomme «Acquittator», n'ait pas eu conscience du caractère délictueux de ses actions?
Evidemment, la composition et le fonctionnement de cette Cour de justice de la République n'aideront en rien à évacuer ce doute. Mais sa suppression pure et simple ne réglerait pas non plus le problème. Dans l'esprit de la population française, l'impunité des membres du gouvernement est d'abord une impression. Un sentiment tenace. Qui est (très) loin d'avoir trouvé son remède judiciaire.