Lors d'un acte de sabotage contre l'organisation terroriste islamiste radicale libanaise Hezbollah, des milliers de bipeurs ont explosé simultanément mardi à 15h30. Des membres du Hezbollah, ainsi que de très nombreux civils, ont été blessés. Plus de dix personnes sont mortes et plus de 200 sont dans un état critique. Mercredi, 20 personnes sont également décédées après l'explosion de leur talkie-walkie.
Nous nous sommes entretenus avec Christopher Nehring, spécialiste de l'espionnage et des services secrets, sur la manière dont une telle action coordonnée est menée. Il est l'auteur de diverses publications spécialisées ainsi que d'un livre, non traduit, paru en 2022: Geheimdienstmorde: Wenn Staaten töten – Hintergründe, Motive, Methoden (en français: «Les meurtres des services secrets: quand les Etats tuent – contexte, motifs, méthodes»).
Monsieur Nehring, comment prépare-t-on une telle action?
Christopher Nehring: Il y a deux possibilités:
On pense souvent que ce genre de coup est minutieusement et longuement planifié. Mais je pense que l'autre possibilité est plus probable.
Mais cela implique qu'un moyen de trafiquer les bipeurs a dû être trouvé de manière extrêmement rapide et précise.
Là aussi, il y a plusieurs possibilités. Les bipeurs commandés sont interceptés, manipulés à la douane ou sur un bateau, puis redéposés. Ou alors les bipeurs commandés sont échangés avec des appareils ou des parties d'appareils préparés au préalable: les bipeurs sont petits, ce ne sont que des boîtes. Le facteur décisif, c'est le temps. Si les bipeurs ont été stockés temporairement pendant deux ou trois jours, la pression du temps est moins grande que si cela ne dure que quelques heures.
Mais personnellement, je ne pense pas que le fabricant soit impliqué.
Pourquoi?
Plus le nombre de personnes au courant de l'opération est élevé, plus le risque qu'elle soit découverte est grand. On essaie donc généralement de réduire au maximum le cercle des personnes impliquées.
Quelle variante vous semble la plus probable? Que la marchandise commandée a été remplacée par des appareils préparés à l'avance ou que les bipeurs commandés ont été interceptés et préparés?
En l'état actuel des connaissances, les deux variantes sont possibles – et les deux ont leurs avantages et leurs inconvénients. Dans le cas d'appareils préparés à l'avance, il faut avoir connaissance de la commande en amont. Il faut de plus se procurer des appareils de même type ou visuellement similaires et les transformer ensuite. Sinon, il y a un risque que l'affaire soit découverte. L'avantage est qu'au final, il suffit de remplacer quelques caisses – ce qui est plus simple que si la marchandise doit d'abord être dérobée, modifiée et rapportée.
Donc quelque part, probablement en Israël, quelques agents auraient assemblé des composants mortels dans un garage?
Les appareils n'ont certainement pas été préparés en Israël. Les voies de transport vers le Liban sont limitées – et la pression du temps était probablement élevée.
Il faut un intermédiaire quelque part, non? Il y a dû y avoir un contact entre un agent et le Hezbollah.
Pas forcément. Dans le cas idéal – pour ceux qui réalisent l'opération –, personne dans l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement ne doit remarquer que des bipeurs trafiqués ont été livrés. Le cercle de personnes au courant doit être aussi restreint que possible.
Combien de personnes étaient au courant de l'action?
Nous ne savons pas qui est derrière tout cela. On peut toutefois supposer qu'il s'agit des services secrets israéliens. Si c'est le cas, le Premier ministre, le ministre de la Défense, la direction du Mossad ou du service de renseignement militaire exécutant ont certainement été informés. Et ensuite l'équipe d'exécution.
Mais l'explosif doit aussi être fabriqué. J'imagine que des composants électroniques ont été utilisés.
Il y a probablement aussi des bipeurs qui n'ont pas explosé. Ceux-ci vont sûrement être examinés par le Hezbollah. Cela leur permettra de déterminer si des détonateurs à retardement ou des détonateurs à distance ont été utilisés. Je penche pour les détonateurs à distance. Nous savons par expérience que les services secrets veulent garder le plus de contrôle possible sur ce genre d'opérations. Et cela plaide en faveur d'une détonation à distance. Un détonateur à retardement, une fois réglé, ne peut plus être contrôlé.
A-t-on déjà vu une opération de cette ampleur?
Je ne sais pas s'il y a déjà eu quelque chose de comparable: plus de 1000 explosions simultanées, la démonstration que l'on peut attaquer autant de cibles à différents endroits, que l'on connaît les voies de communication. Le signe que personne n'est à l'abri, que l'on est prêt à accepter des dommages collatéraux comme la mort d'enfants, que l'on est prêt à accepter une nouvelle étape d'escalade. Tout cela constitue une énorme démonstration de force, à un tout nouveau niveau.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder