Elle est la première femme à se retrouver à la tête du Mexique, oui. Mais derrière ce titre que les médias du monde entier martèlent, c'est tout d'abord une femme brillante, titulaire d'un doctorat en ingénierie énergétique. Politiquement, son CV n'est pas mal non plus: Claudia Sheinbaum a occupé le rôle de cheffe du gouvernement de la ville de Mexico durant plus de 5 ans.
Née à Mexico en 1962, elle est une descendante de grands-parents juifs émigrés d'Europe, fille d'un ingénieur chimiste et d'une mère biologiste. Claudia Sheinbaum a grandi dans une famille bourgeoise au sud de la capitale. Elle s'intéresse durant l'adolescence à la politique tout en pratiquant plusieurs sports (ballet et aviron, notamment).
La politicienne de gauche de 61 ans est la digne héritière d'Andrés Manuel López Obrador (surnommé AMLO), le président sortant. Après six ans de règne, l'homme ne peut plus se représenter. Pour Sheinbaum, cette ombre populiste nourrie par son prédécesseur pourrait lui causer du tort, selon les observateurs. Car le président a placé les billes du pays dans une affaire qui croule sous les dettes: une compagnie pétrolière nationale.
Et Sheinbaum, climatologue avertie, a promis aux électeurs, comme socle de sa victoire, de perpétuer l'héritage d'Obrador. Ces paroles sont matérialisées par la poursuite du soutien à la compagnie pétrolière nationale et en proposant des changements constitutionnels que les critiques qualifient d'antidémocratiques.
Les conservateurs voient en elle la plus «obéissante» et «perverse» des enfants du président sortant, clamait un chroniqueur du quotidien El Universal. C'est bien le même parti (Morena) qui reste au pouvoir et par conséquent Obrador, malgré son départ, qui serait là, dans un coin de la pièce, pour téléguider les opérations du pays.
Sheinbaum ne serait donc qu'un vulgaire pion de l'échiquier d'Obrador? Les conservateurs en sont persuadés.
Le premier défi de la nouvelle cheffe d'Etat sera donc de se départir de ce poids, de s'affirmer et de faire valoir sa personnalité. El Pais Mexico s'est d'ailleurs entretenu avec plusieurs de ses collaborateurs, qui parlent d'une femme animée par un réel professionnalisme, travailleuse infatigable et patronne exigeante.
Son esprit analytique est par ailleurs souvent souligné:
Une leader qui n'use pas de son autorité, loin d'être une petite cheffe et acceptant volontiers de débattre, de modifier son point de vue s'il le faut. «Elle faisait partie de celles qui mettaient de l'ordre dans les débats interminables, surtout lorsqu'il fallait prendre des décisions importantes», détaille Arturo Chávez.
«Son langage corporel inspire l'autorité, car elle est très sérieuse, très réfléchie», complète une collaboratrice de la nouvelle présidente. Une posture qui en impose, alors que Sheinbaum elle-même se qualifie d'«obsessionnelle» et «disciplinée».
Des qualités pour certains, alors que pour d'autres l'attitude robotique de la nouvelle présidente n'est pas très engageante. Sa rivale lors de la présidentielle, Xóchitl Gálvez, lâchait en plein débat qu'elle était sans sentiment, froide, se permettant même de la surnommer «Dame de glace». Son obsession du contrôle fait d'elle une femme qui peut se montrer distante, selon les mots du New York Times. Toujours selon le quotidien new-yorkais, elle semble plus à l'aise pour faire avancer les choses en silence que pour se vendre ou vendre ses réalisations.
Mais les détracteurs ne sont jamais loin. Letras Libres s'inquiète des dérives autoritaires que pourrait engendrer Claudia Sheinbaum sur son trône fraîchement conquis.
Le parti politique actuel dont fait partie Claudia Sheinbaum, Morena (Mouvement de régénération nationale, fondé en 2014), pousse le pays vers de probables objectifs autoritaires que Andrés Manuel López Obrador a instauré. Les critiques du pouvoir sont persuadés que l'héritage sera endossé par Sheinbaum. Une vision qu'elle ne nie pas, comme elle l'avait expliqué à un animateur radio qui lui reprochait d'être trop calquée sur les idées de son mentor:
Si elle doit se défaire de cette image de double d'Obrador, voire de relai, la nouvelle leader du pays a du pain sur la planche. En témoigne le brûlant sujet de la sécurité nationale, égratignée depuis longtemps par des cartels qui continuent de tourmenter le pays. Un dossier qui assurément lui causera quelques cheveux blancs, tant le pays est gangréné par la guerre des cartels.
Autre point important de son mandat: le féminisme. Lors de sa campagne, Sheinbaum n'a que très peu fait mention des questions d'égalité. Si El Pais Mexico écrivait que l'heure des femmes a sonné, le journal déplorait:
Obrador ne s'est guère attardé concernant le sujet du féminisme durant son sexennat. Claudia Sheinbaum semble prendre le même chemin, comme le soulignait Helena Varela, une chercheuse de l'Université ibéro-américaine de Mexico dans Animal Politico: le sujet du féminisme n'est pas prioritaire.
Un paradoxe dans un pays comme le Mexique, alors que la thématique a pris de l'ampleur et conquis une place non-négligeable au sein de la population. Selon un sondage, El Pais Mexico rapporte que 75% des sondés considèrent que leur pays est «un peu» ou «très» machiste. Avant l'élection, 61% préféreraient voir une femme à la tête du pays. Un voeu exaucé.
Claudia Sheinbaum va devoir montrer les crocs dès son investiture le 1er octobre, car son mandat ne sera pas un jeu d'enfant, pour celle qui a déclaré que si elle ne s'était pas lancée en politique, elle aurait été institutrice de maternelle.