Poutine, chouchou de la nation, soutenu par le peuple qui l'acclame et le célèbre. Depuis la brève rébellion de Wagner, le Kremlin fait tout pour transformer la faiblesse du président en force. C'est comme si un ouvrier russe recouvrait de peinture un banc rouillé au printemps. Plus l'ancienne couche s'effrite, plus la peinture fraîche est appliquée, et le banc a l'air neuf. Du moins de loin.
Depuis samedi dernier, lorsque Prigojine a occupé avec ses chars et ses milliers de combattants le centre de la ville de Rostov-sur-le-Don, Poutine est quotidiennement à l'antenne.
Il prononce des discours «décisifs», qui ne font toutefois que résumer ce qu'il a déjà dit alors que l'insurrection battait encore son plein. Il remercie les soldats et «tout le peuple uni» d'avoir mis fin à une «guerre civile de facto». Le fait que personne n'ait pris publiquement parti pour Poutine durant cette rébellion n'a bien sûr aucune importance.
Il se fait rapidement transporter ailleurs et se fait filmer dans un bain de foule, même si, d'habitude, il impose une semaine de quarantaine à tous les journalistes et personnes qui l'accompagnent afin de pouvoir s'approcher de lui.
Il se montre ensuite immédiatement sur un forum à Moscou, où il peint un bonhomme rouge et où tout le monde l'applaudit. Il rencontre le Conseil de sécurité, il parle, il donne des instructions, il tousse.
Les caméras de la télévision d'État sont toujours présentes lorsque Poutine s'agite. Le doute instillé par la mutinerie de Wagner doit s'évaporer. On cherche à instaurer la certitude que le président a tout sous contrôle, tout ira bien à nouveau. Cela n'a pas tardé à porter ses fruits. Dans les jours qui ont suivi, la vie dans la capitale a suivi son cours habituel, comme c'est le cas depuis le début de la guerre.
La plupart des gens prennent les nouvelles comme elles viennent et s'habituent peu à peu à tout, bien que certains se plaignent.
Ce qui reste souvent, c'est l'étonnement. «Mais pourquoi tout le monde nous déteste? Qu'avons-nous fait aux gens?»
Le calme règne en semaine dans le parc Gorki de Moscou. Des familles se promènent, la musique résonne, quelques jeunes s'élancent sur les larges allées avec leurs scooters électriques orange. Les manèges font des tours, les canards nagent dans les étangs. Et une brise estivale souffle depuis la Moskova. «Nous vivons simplement l'instant présent, nous profitons de la vie», dit Ekaterina sur un banc, un gobelet de café à la main.
Elle est photographe de mariage et travaillait le jour où Prigojine a retourné les armes contre son propre camp. Au même moment, à Rostov, sa tante essayait tant bien que mal de la rassurer.
Elle affirme que ce n'est pas à elle de «juger qui a raison».
A 25 ans, Ekaterina n'a connu que Poutine à la tête de l'Etat. Il est celui qui a promis la stabilité aux Russes. Mais en quelques heures seulement, Prigojine a démontré la fragilité de son système basé sur le principe «diviser pour mieux régner». «Nous ne sommes que des observateurs de la situation, nous ne sommes pas des acteurs», dit-elle assise sur son banc.
C'est une attitude courante chez de nombreuses personnes dans le pays. Le système Poutine a démobilisé le peuple à tel point que beaucoup de gens ne peuvent plus, ne veulent plus sortir de l'apathie. «Cela m'a vraiment agacé qu'on me demande de sortir du musée Pouchkine samedi. A quoi cela servait-il? Rostov est loin. Nous voulons qu'on nous laisse tranquilles», dit Tatiana, 48 ans.
Alors que la situation à Rostov devenait de plus en plus critique, le maire de Moscou Sergueï Sobianine avait fait fermer les musées et les parcs de la ville et instauré un jour chômé. «C'est une situation d'urgence», avait-il dit en demandant de la «compréhension» de la part de ses habitants. Pour Tatiana, le «caractère extraordinaire de tout cela» n'est toujours pas clair aujourd'hui.
«Pourquoi devrions-nous céder à la panique? La vie continue, même en temps de guerre», dit Viatcheslav, 66 ans, dans le parc Gorki. Sa femme Zinaïda ajoute:
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)