Dès son plus jeune âge, Jacqueline Straub a su quelle serait sa vocation: devenir prêtresse catholique. Mais cette fonction lui est pour l'heure interdite parce que c'est une femme. C’est précisément contre cette exclusion que la théologienne catholique se révolte. Agée de 34 ans, elle est aujourd’hui l’une des figures les plus en vue du combat pour l’égalité des sexes au sein de l’Eglise.
Elle donne des conférences, interpelle cardinaux et évêques sur ses revendications, et a publié plusieurs ouvrages sur le pouvoir masculin et l’absence d’égalité dans l’Eglise catholique. En 2018, la BBC l’a désignée comme l’une des cent femmes les plus influentes au monde. Dans un entretien, elle explique ce que le pape François a accompli pour les femmes, en quoi il les a déçues, et ce que son successeur pourrait faire de mieux.
Le conclave commence ce mercredi. Quel est votre ressenti à l'égard de Rome?
Jacqueline Straub: J’espère qu’un candidat courageux sera élu. Quelqu’un qui poursuivra les processus lancés par le pape François.
Voyez-vous parmi les favoris quelqu'un qui s'engage pour l'égalité des droits?
Oui, le cardinal Jean-Claude Hollerich du Luxembourg s’est exprimé à plusieurs reprises en faveur de femmes diacres. Il ne s’est pas non plus montré opposé à l’idée de femmes prêtres. C’est mon candidat favori. Je l’ai rencontré personnellement: c’est un homme aimable, ouvert et humble, loin de l’image d’un cardinal pompeux. Mais étant Européen, ses chances d’être élu sont hélas plutôt faibles.
Pourquoi?
Parce que le pape François a transformé l’Eglise catholique en une Eglise véritablement mondiale. Pendant des décennies, nous avons eu des papes italiens, puis un Polonais et un Allemand.
Il serait donc logique de choisir un candidat issu de l’un de ces continents.
L'attitude des candidats vis-à-vis du sacerdoce féminin joue-t-elle réellement un rôle dans l'élection?
Si un cardinal se prononçait en faveur de l'ordination de femmes comme prêtres, il ne serait tout simplement pas choisi.
Il est donc probable qu’un candidat marchant dans les pas de François l'emporte. C'est-à-dire quelqu’un qui est accepté par les Eglises locales conservatrices, tout en évitant une approche rétrograde.
Vous vous engagez depuis des années pour le sacerdoce féminin. Combien de lettres avez-vous envoyées au pape François?
Il y a eu au moins quinze lettres, probablement plus. Il y a eu une période où je lui ai écrit presque tous les mois. Le cardinal Hollerich a en outre remis personnellement une lettre de moi au pape François et lui a suggéré de me rencontrer lors d'une entrevue. Mais ça ne s'est jamais fait.
Qu'avez-vous écrit au pape François?
Chaque lettre portait sur ma vocation à devenir prêtresse. J’y soulignais que je ne suis pas un cas isolé, mais que de nombreuses autres femmes ressentent le même appel. Le contenu variait parfois: je mettais l’accent tantôt sur des arguments bibliques, tantôt sur la spiritualité.
Avez-vous eu une réponse?
Le Vatican répond généralement à chaque lettre. Les réponses variaient. Parfois, je recevais trois lignes du type: «Merci pour votre lettre, nous prions pour vous.» D’autres fois, le message disait en substance:
Les réponses étaient le plus souvent formulées de manière diplomatique, mais un certain ton condescendant transparaissait.
Lors d'une audience générale, vous avez tendu vos livres au pape François. Comment a-t-il réagi?
Il a fait une drôle de tête. Mes livres ont été publiés dans plusieurs langues. J'avais spécialement mis une traduction italienne tout en haut de la pile. Lorsqu'il a lu le titre «Jeune, catholique, féminine», il a légèrement froncé les sourcils et remis les livres à son collaborateur.
Mon accompagnateur pensait avoir compris que François avait dit qu'il garderait les livres pour plus tard. Je ne sais pas si c'était vraiment le cas.
Quand je lui ai demandé quand les femmes seraient ordonnées dans l'Eglise catholique, il s'est éloigné de moi et a dit: «Fai una brava donna.» Ce qui signifie: «Sois une bonne femme.»
Qu'est-ce que François a réalisé concrètement pour les femmes?
Il a encouragé et promu les femmes au sein des autorités du Vatican. Il a été le tout premier à nommer une femme à la tête du dicastère. Une autre religieuse est devenue secrétaire générale du Vatican. Auparavant, ces postes étaient toujours réservés aux hommes ordonnés prêtres. Non pas parce qu'ils agissaient sacramentellement dans ces positions, mais juste parce que c'est le Vatican.
Certains craignent que le débat sur le sacerdoce féminin ne divise l'Eglise catholique. Cette crainte est-elle fondée?
Non, c'est simplement le dernier argument qui soit encore tangible. Tous les autres ne fonctionnent plus, car ils ne tiennent pas la route sur le plan théologique. C'est pour cela que le Vatican place la protection de l'unité de l'Eglise universelle au centre de ses priorités. Ce faisant, il occulte le fait que de nombreux pays européens ont déjà connu une rupture.
Il s'agit donc d'un argument hypocrite pour se fermer aux droits de l'homme et de la femme.
Pourquoi l'Eglise catholique a-t-elle tant de mal avec l'égalité?
Parce que, pendant 1800 ans, ce sont des hommes qui ont façonné l'Eglise. C'est un patriarcat unique en son genre. De plus, l'Eglise catholique bénéficie d'un statut particulier. Aucun président ni aucune dirigeante n'a le cran de se lever pour rappeler à l'Eglise catholique qu'elle enfreint les droits de l'homme.
Le pape, en tant que figure isolée, pourrait-il introduire du jour au lendemain le sacerdoce féminin?
Théoriquement, cela serait possible, puisqu'il est considéré comme infaillible. Mais en pratique, il doit s'inscrire dans les décisions doctrinales de ses prédécesseurs.
Il a donc été extrêmement difficile pour François d'opérer un changement de cap en quelques années. Il a tenté de le faire en saisissant chaque occasion pour rénover le collège des cardinaux. De cette manière, il a cherché à créer une Eglise plus ouverte, prête à soutenir les réformes à l'avenir.
Comment le prochain pape peut-il faire progresser l'égalité?
Il est essentiel de poursuivre la voie tracée par le pape François en renforçant l'orientation décentralisée de l'Eglise. Cela permettrait aux Eglises locales de jouer un rôle plus important et d'acquérir certaines facultés décisionnelles. En Suisse, cela pourrait signifier que des femmes seraient ordonnées diaconesses. Et je suis convaincue qu'une femme prêtre ne choquerait presque personne ici.
Le prochain pape recevra donc à nouveau des lettres de votre part?
Oui, à moins qu'un pape ultraconservateur ne soit élu. Avec une telle attitude, il serait difficile de faire bouger les choses. Mais si le prochain pape adopte une orientation modérée, je lui écrirai certainement.
Mais l'élection actuelle est cruciale, car elle déterminera la direction que l'Eglise prendra à l'avenir, ce qui est essentiel pour la question des femmes.
Traduit et adapté par Noëline Flippe