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Pape François

Eglise: elle milite face au Vatican pour l'égalité des sexes

La théologienne Jacqueline Straub ne pense pas que le prochain pape ne sera probablement pas prêt à officialiser le sacerdoce féminin. Elle déclare cependant être prête si tel devait être le cas.
La théologienne Jacqueline Straub est prête à devenir prêtre.dr

Cette Suissesse a «mis mal à l'aise le pape»

Depuis des années, la théologienne Jacqueline Straub milite pour l’égalité des femmes au sein l’Eglise catholique. Elle a écrit plusieurs ouvrages sur le sujet et a remis ces derniers en mains propres au pape François. Selon elle, le choix du prochain pape sera déterminant pour la place des femmes.
07.05.2025, 11:5507.05.2025, 15:35
Annika Bangerter / ch media
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Dès son plus jeune âge, Jacqueline Straub a su quelle serait sa vocation: devenir prêtresse catholique. Mais cette fonction lui est pour l'heure interdite parce que c'est une femme. C’est précisément contre cette exclusion que la théologienne catholique se révolte. Agée de 34 ans, elle est aujourd’hui l’une des figures les plus en vue du combat pour l’égalité des sexes au sein de l’Eglise.

Une battante qui lutte contre les inégalités

Elle donne des conférences, interpelle cardinaux et évêques sur ses revendications, et a publié plusieurs ouvrages sur le pouvoir masculin et l’absence d’égalité dans l’Eglise catholique. En 2018, la BBC l’a désignée comme l’une des cent femmes les plus influentes au monde. Dans un entretien, elle explique ce que le pape François a accompli pour les femmes, en quoi il les a déçues, et ce que son successeur pourrait faire de mieux.

Le conclave commence ce mercredi. Quel est votre ressenti à l'égard de Rome?
Jacqueline Straub: J’espère qu’un candidat courageux sera élu. Quelqu’un qui poursuivra les processus lancés par le pape François.

«Concernant les femmes, François a fait quelques pas dans la bonne direction. Mais sur certains points, il s’est arrêté à mi-chemin ou n’a pas eu le courage d’apporter des changements concrets, notamment en ce qui concerne l’accès aux ministères.»

Voyez-vous parmi les favoris quelqu'un qui s'engage pour l'égalité des droits?
Oui, le cardinal Jean-Claude Hollerich du Luxembourg s’est exprimé à plusieurs reprises en faveur de femmes diacres. Il ne s’est pas non plus montré opposé à l’idée de femmes prêtres. C’est mon candidat favori. Je l’ai rencontré personnellement: c’est un homme aimable, ouvert et humble, loin de l’image d’un cardinal pompeux. Mais étant Européen, ses chances d’être élu sont hélas plutôt faibles.

Pourquoi?
Parce que le pape François a transformé l’Eglise catholique en une Eglise véritablement mondiale. Pendant des décennies, nous avons eu des papes italiens, puis un Polonais et un Allemand.

«Or, la croissance de l’Eglise catholique se fait aujourd’hui principalement en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud, beaucoup moins en Europe»

Il serait donc logique de choisir un candidat issu de l’un de ces continents.

Jacqueline Straub, militante au sein de l'Eglise catholique pour l'égalité des sexes.
Jacqueline Straub.imago

L'attitude des candidats vis-à-vis du sacerdoce féminin joue-t-elle réellement un rôle dans l'élection?
Si un cardinal se prononçait en faveur de l'ordination de femmes comme prêtres, il ne serait tout simplement pas choisi.

«Il en irait de même pour quelqu’un qui soutiendrait le mariage sacramentel pour les couples homosexuels»

Il est donc probable qu’un candidat marchant dans les pas de François l'emporte. C'est-à-dire quelqu’un qui est accepté par les Eglises locales conservatrices, tout en évitant une approche rétrograde.

Vous vous engagez depuis des années pour le sacerdoce féminin. Combien de lettres avez-vous envoyées au pape François?
Il y a eu au moins quinze lettres, probablement plus. Il y a eu une période où je lui ai écrit presque tous les mois. Le cardinal Hollerich a en outre remis personnellement une lettre de moi au pape François et lui a suggéré de me rencontrer lors d'une entrevue. Mais ça ne s'est jamais fait.

Qu'avez-vous écrit au pape François?
Chaque lettre portait sur ma vocation à devenir prêtresse. J’y soulignais que je ne suis pas un cas isolé, mais que de nombreuses autres femmes ressentent le même appel. Le contenu variait parfois: je mettais l’accent tantôt sur des arguments bibliques, tantôt sur la spiritualité.

«Au cœur de chaque lettre, il était toujours question de ma vocation et de mon amour pour l’Eglise»

Avez-vous eu une réponse?
Le Vatican répond généralement à chaque lettre. Les réponses variaient. Parfois, je recevais trois lignes du type: «Merci pour votre lettre, nous prions pour vous.» D’autres fois, le message disait en substance:

«Acceptez que les femmes ne puissent pas devenir prêtres»

Les réponses étaient le plus souvent formulées de manière diplomatique, mais un certain ton condescendant transparaissait.

Lors d'une audience générale, vous avez tendu vos livres au pape François. Comment a-t-il réagi?
Il a fait une drôle de tête. Mes livres ont été publiés dans plusieurs langues. J'avais spécialement mis une traduction italienne tout en haut de la pile. Lorsqu'il a lu le titre «Jeune, catholique, féminine», il a légèrement froncé les sourcils et remis les livres à son collaborateur.

Mon accompagnateur pensait avoir compris que François avait dit qu'il garderait les livres pour plus tard. Je ne sais pas si c'était vraiment le cas.

«Notre brève rencontre a clairement semblé le mettre mal à l'aise»

Quand je lui ai demandé quand les femmes seraient ordonnées dans l'Eglise catholique, il s'est éloigné de moi et a dit: «Fai una brava donna.» Ce qui signifie: «Sois une bonne femme.»

Jacqueline Straub traf Papst Franziskus bei einer Generalaudienz in Rom.
Jacqueline Straub a rencontré le pape François lors d'une audience générale à Rome.dr

Qu'est-ce que François a réalisé concrètement pour les femmes?
Il a encouragé et promu les femmes au sein des autorités du Vatican. Il a été le tout premier à nommer une femme à la tête du dicastère. Une autre religieuse est devenue secrétaire générale du Vatican. Auparavant, ces postes étaient toujours réservés aux hommes ordonnés prêtres. Non pas parce qu'ils agissaient sacramentellement dans ces positions, mais juste parce que c'est le Vatican.

«Le pape François a certes réussi à rendre visibles les femmes dans des fonctions dirigeantes. Mais en ce qui concerne l'ordination, il est resté bien en deçà des attentes de toutes les associations féministes. Il lui a manqué le courage d'y réfléchir à haute voix ou de lancer une discussion sur ce sujet au-delà du diaconat féminin.»

Certains craignent que le débat sur le sacerdoce féminin ne divise l'Eglise catholique. Cette crainte est-elle fondée?
Non, c'est simplement le dernier argument qui soit encore tangible. Tous les autres ne fonctionnent plus, car ils ne tiennent pas la route sur le plan théologique. C'est pour cela que le Vatican place la protection de l'unité de l'Eglise universelle au centre de ses priorités. Ce faisant, il occulte le fait que de nombreux pays européens ont déjà connu une rupture.

«Les gens quittent l'Eglise catholique parce que celle-ci s'occupe trop peu ou trop tard des abus et parce qu'elle ne traite pas les gens sur un pied d'égalité.»

Il s'agit donc d'un argument hypocrite pour se fermer aux droits de l'homme et de la femme.

Pourquoi l'Eglise catholique a-t-elle tant de mal avec l'égalité?
Parce que, pendant 1800 ans, ce sont des hommes qui ont façonné l'Eglise. C'est un patriarcat unique en son genre. De plus, l'Eglise catholique bénéficie d'un statut particulier. Aucun président ni aucune dirigeante n'a le cran de se lever pour rappeler à l'Eglise catholique qu'elle enfreint les droits de l'homme.

«L'influence de l'Eglise est trop grande»

Le pape, en tant que figure isolée, pourrait-il introduire du jour au lendemain le sacerdoce féminin?
Théoriquement, cela serait possible, puisqu'il est considéré comme infaillible. Mais en pratique, il doit s'inscrire dans les décisions doctrinales de ses prédécesseurs.

«Le pape Jean-Paul II et son successeur Benoît XVI ont façonné l'Eglise de manière conservatrice, et sur certains sujets même réactionnaire, pendant plus de trente ans avant François.»

Il a donc été extrêmement difficile pour François d'opérer un changement de cap en quelques années. Il a tenté de le faire en saisissant chaque occasion pour rénover le collège des cardinaux. De cette manière, il a cherché à créer une Eglise plus ouverte, prête à soutenir les réformes à l'avenir.

Comment le prochain pape peut-il faire progresser l'égalité?
Il est essentiel de poursuivre la voie tracée par le pape François en renforçant l'orientation décentralisée de l'Eglise. Cela permettrait aux Eglises locales de jouer un rôle plus important et d'acquérir certaines facultés décisionnelles. En Suisse, cela pourrait signifier que des femmes seraient ordonnées diaconesses. Et je suis convaincue qu'une femme prêtre ne choquerait presque personne ici.

«En Suisse, les femmes sont déjà largement impliquées dans la pastorale et participent à la conception des liturgies, notamment en prêchant. Dans des pays comme la Pologne, cela semble impensable. Là-bas, on ne connaît même pas de pasteures ou de diacres mariés.»

Le prochain pape recevra donc à nouveau des lettres de votre part?
Oui, à moins qu'un pape ultraconservateur ne soit élu. Avec une telle attitude, il serait difficile de faire bouger les choses. Mais si le prochain pape adopte une orientation modérée, je lui écrirai certainement.

«Toutefois, je ne crois pas que le prochain pape introduira l'ordination des femmes. Il faudra probablement encore au moins un pape pour cela.»

Mais l'élection actuelle est cruciale, car elle déterminera la direction que l'Eglise prendra à l'avenir, ce qui est essentiel pour la question des femmes.

Traduit et adapté par Noëline Flippe

La vie du pape François
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Le pape François a été le chef de l'Église catholique pendant 12 ans, 1 mois et 8 jours.
source: sda / frustaci
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Des hommes CEO répondent aux questions qu'on pose aux femmes
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