Plus de deux semaines après la mort de Jorge Bergoglio, les 133 cardinaux électeurs venant de 70 pays – un record – lanceront ce cérémonial extrêmement codifié et suivi avec attention par quelque 1,4 milliard de catholiques, via les médias du monde entier.
Prélude à ce rituel ancestral, les cardinaux participeront à 10 heures à une messe solennelle dans la basilique Saint-Pierre, présidée par le doyen du collège cardinalice, l'Italien Giovanni Battista Re. S'ensuivra l'après-midi une prière dans la chapelle Pauline, qui jouxte la Sixtine, à 16h30.
Le compte à rebours s'enclenchera vraiment vers 17 heures, avec l'entrée en procession des cardinaux dans une chapelle Sixtine à l'isolement drastique: aucun téléphone portable ne sera autorisé, et les réseaux de télécommunications seront coupés entre les murs de la Cité du Vatican.
Ayant prêté serment de ne rien révéler des échanges – sous peine d'excommunication – ils s'enfermeront alors face à la fresque majestueuse mais aussi intimidante du Jugement dernier de Michel-Ange.
Une vidéo diffusée mardi par le Vatican permet de mesurer la solennité du cadre: double rangée de tables recouvertes de lourd tissu, aiguille pour percer les bulletins, places nominatives indiquées par un chevalet et sous-mains à rabats rouge frappé des armes du Saint-Siège.
Mercredi soir aura lieu un premier vote, dont le résultat ne sera sans doute pas connu avant 19H00. Ce premier tour permettant de jauger les forces en présence, il est peu probable que la majorité des deux tiers, c'est-à-dire 89 voix, soit déjà atteinte.
L'élection devrait ainsi se poursuivre jeudi, avec deux tours prévus lors de la session du matin et deux autres l'après-midi. Le monde aura les yeux rivés sur la mince cheminée métallique fixée sur le toit de la chapelle Sixtine qui libérera, à la fin de chaque session, sa fumée annonciatrice: noire en l'absence de choix, et blanche si le pape est élu.
Couvert par quelque 5000 journalistes, ce conclave suscite un intérêt massif dans le monde, bien au-delà des sphères religieuses, à l'image des millions d'euros de paris sur l'identité du prochain pape, du succès des jeux en ligne ou des records du film «Conclave», sorti en 2024.
Qui, parmi les 133 cardinaux, se présentera habillé de blanc au balcon de la basilique Saint-Pierre ? Des Italiens Pietro Parolin et Pierbattista Pizzaballa au Maltais Mario Grech en passant par l'archevêque de Marseille, le Français Jean-Marc Aveline, ou le Philippin Luis Antonio Tagle, plusieurs noms ont émergé parmi les «papabili», considérés comme favoris.
«Je pense qu'il doit représenter tous les continents où le catholicisme est présent», a confié mardi Enzo Orsingher, retraité romain de 78 ans. «Un pape qui est en faveur de l'avortement est impensable», mais «je trouve très positif que le pape aille visiter les détenus en prison (...). Il faut rester proche de ceux qui souffrent».
Mais ce conclave s'annonce particulièrement ouvert avec une représentation inédite des «périphéries» chères au pape François, qui a nommé 81% des cardinaux électeurs. Quinze pays sont ainsi représentés pour la première fois, dont Haïti, le Cap-Vert et le Soudan du Sud.
«Il y a sans doute une opposition à la fois culturelle, et presque de ressentiment politique, de certaines Eglises du Sud à l'égard des Occidentaux et notamment des Européens», affirme François Mabille, directeur de l'Observatoire géopolitique du religieux.
Il existe aussi, selon lui, «un clivage qu'on a bien vu pendant tout le pontificat de François» entre «ceux qui estiment qu'il faut rappeler en permanence la doctrine et les profils plus pastoraux, dans une logique d'accompagnement» des fidèles.
Pour apprendre à se connaître et confronter leurs points de vue sur les défis de l'Eglise, les cardinaux ont tenu ces derniers jours 12 «congrégations générales» permettant de dessiner le profil du prochain pape.
Mais dans cette élection très ouverte, le contexte géopolitique pourrait également peser, entre montée des populismes, retour de Donald Trump à la Maison Blanche et durcissement de la guerre entre Israël et le Hamas.
«On peut tout à fait imaginer que les cardinaux sensibles au contexte international qu'on connaît depuis le retour de Trump se disent qu'il faut une personne expérimentée à la tête de l'Eglise catholique, et notamment quelqu'un qui connaît parfaitement les relations internationales», ajoute François Mabille. (jzs/ats)