Ses proches étaient sans nouvelles de lui depuis le 16 novembre, date de son arrivée à l’aéroport d'Alger en provenance de Paris. L’hebdomadaire français Marianne a révélé jeudi que l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, 75 ans, a été arrêté en Algérie. Il aurait été incarcéré. Celui qui s’est fait un nom avec ses romans Le serment des barbares (1999) et Le village de l’Allemand (2008), deux livres briseurs de tabous, est un pourfendeur à la fois du régime algérien et des islamistes. Son voyage en Israël, en 2013, a aggravé son cas auprès de son pays d’origine qui ne reconnaît pas l’existence de l’Etat hébreu.
Cette arrestation intervient dans un contexte tendu des relations entre Paris et Alger. Le 29 octobre, lors d’un voyage officiel au Maroc qui fera date, le président Emmanuel Macron a reconnu la «souveraineté marocaine» sur le Sahara occidental, revendiqué par les Sahraouis et pomme de discorde majeure pour l’Algérie, qui conteste la souveraineté affirmée du Maroc sur ce territoire côtier de l’Atlantique. Alger, qui entretient un rapport compliqué, au bas mot, avec l’ancienne puissance coloniale française, a visiblement très mal pris le rapprochement, en grandes pompe et avec force marques d’affection, entre Paris et Rabat.
A cela s’ajoute le Prix Goncourt dernièrement décerné à Kamel Daoud, autre Franco-Algérien, pour son roman Houris, qui transgresse la loi algérienne interdisant de rouvrir les plaies de la guerre civile de la décennie 1990. Une plainte a été déposée contre l’écrivain, accusé par une femme grièvement blessée durant cette même guerre civile, de s’être servi de son histoire pour écrire Houris – le gouvernement algérien ne serait pas étranger à ces poursuites et Gallimard, l'éditeur de Kamel Daoud, a fermement démenti ces allégations.
Boualem Sansal paie-t-il pour cette accumulation de revers côté algérien? Rédacteur en chef débats-opinions au Figaro, Alexandre Devecchio, qui a interviewé l’écrivain en septembre, émet une hypothèse:
Alexandre Devecchio poursuit:
D’un naturel bravache, de longs cheveux gris lui donnant l'air d'un chef indien, Boualem Sansal s’est peut-être dit qu’il ne risquait pas plus l’arrestation cette fois-ci que lors de ses précédents voyages dans son pays d’origine.
De l’Algérie, Boualem Sansal disait dans son interview au Figaro:
Intelligence avec l’ennemi: mais avec lequel? La France ou plutôt Israël? «L’arrestation de Boualem Sansal, sur laquelle les autorités algériennes n’ont pour l’heure pas communiqué, peut avoir pour motif l’intelligence avec Israël», avance, à titre d’hypothèse là aussi, Brahim Oumansour, directeur de l'Observatoire du Maghreb à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
«Il y a des antécédents, reprend le chercheur à l'IRIS: des Algériens ou Franco-Algériens ont été par, le passé, inquiétés ou arrêtés avant d’être remis en liberté par l'Algérie pour leurs liens avec Israël. Si cela se produit aujourd’hui pour Boualem Sansal, et si ses relations présentes ou passées avec Israël sont bien la cause de son arrestation, c’est peut-être parce que la situation à Gaza est dramatique. A la donne israélienne, s’ajoute, comme chacun l'a constaté, le rapprochement entre la France et le Maroc, dans le contexte du différend entre Alger et Rabat sur le Sahara occidental.»
Selon le journal Le Monde, Boualem Sansal «se trouvait en Algérie le 5 novembre et avait pu quitter le pays sans difficultés. Son arrestation semble confirmer un raidissement des autorités, peut-être lié à ses déclarations polémiques sur le média Frontières, très largement reprises par les médias marocains, il y a quelques semaines.»
En France, les politiques sont unanimes ou presque à témoigner leur soutien à Boualem Sansal. Le président Emmanuel Macron est «très préoccupé par la disparition» de l’écrivain franco-algérien. «Les services de l’Etat sont mobilisés pour clarifier sa situation», précise l’Elysée, ajoutant que «le président de la République exprime son attachement indéfectible à la liberté d’un grand écrivain et intellectuel». Seules, pour l’heure, La France insoumise et le parti écologiste n’ont pas exprimé leur sympathie pour celui qui passe aux yeux de la gauche radicale pour un allié de «la droite et de l’extrême droite», cette même gauche radicale ayant des accointances avec l'islamisme politique.
Visiblement, le dépôt d'une gerbe de fleurs par l'ambassadeur de France sur la tombe du héros de l'indépendance algérienne Larbi Ben M’hidi, le 19 novembre au cimetière des Martyrs à Alger, n'a pas suffi à apaiser la rancoeur de l'Algérie vis-à-vis de la France, qui paraît visée par le mauvais tour joué à Boualem Sansal.