La polémique enfle en France. La plateforme Rencontre Ados, censée être un lieu d'échanges pour les jeunes, est accusée d'héberger des pédophiles. L'objectif du site est déjà problématique, puisqu'il est destiné aux rencontres entre «ados» de 13 à 25 ans. Un sacré gap d'âge entre des enfants qui mangent encore des Kinder Pingui à l'heure du goûter et des adultes qui ont potentiellement le droit de vote, un travail, une voiture et... une vie sexuelle active.
De nombreuses plaintes ont émergé sur les réseaux sociaux et des personnes ont partagé leur effroi quant à la teneur de certains messages échangés entre des hommes adultes, parfois d'âge mûr, et des adolescentes, sans aucune vérification de la part du site.
Alors, j'ai voulu vérifier par moi-même.
Je commence donc par me créer un compte. Tout est ultra simple et, effectivement, sans aucune vérification d'identité. J'ai donc 14 ans, une photo de profil générée par intelligence artificielle et je me promène sur le site.
Ma photo n'a pas encore été validée par les «modérateurs». Parce qu'il y a des modérateurs? Dans les forums, propositions explicites et propos insultants pleuvent, alors qu'il est interdit par le site (et la loi, accessoirement) de tenir de tels propos. Le règlement n'est pas appliqué. Les modérateurs ont manifestement d'autres priorités que de faire respecter des règles comme «il est strictement interdit de demander des plans cam/cul» ou de «s'inscrire (pour les mineurs) sans l'accord d'un parent ou de la personne en charge de ceux-ci».
Allez, j'y vais. Même si mon profil ne comporte pas encore de photo, les demandes d'ajout se bousculent. J'en accepte une quinzaine en deux minutes. Puis, c'est au tour de ma boîte de réception d'être assaillie. Je reçois quelques messages de jeunes entre 14 et 16 ans qui ont l'air d'être de vrais ados, à coups de «cc sa va tfk». Traduction: «Coucou, ça va, tu fais quoi?».
Entre deux messages innocents, les emmerdes commencent. Les pervers sont bel et bien au rendez-vous, alors que mon nom et mon âge sont les seules informations affichées. Un certain «Alsaciens», 18 ans, m'écrit sans préambule:
Lorsque je lui réponds que je n'ai pas Snapchat, il cesse de m'écrire. J'enchaîne avec Flo, 23 ans, qui me demande, de but en blanc, si ça me gêne qu'il soit coquin. Je réponds un vague «mdr genre?». Il m'envoie un lien, que je ne veux pas ouvrir. Je lui demande de quoi il s'agit, il répond:
Trois minutes, deux échanges et déjà un pénis. Enfin, je ne saurai jamais s'il s'agissait vraiment d'une verge ou d'une arnaque pour pomper mes données bancaires.
Un autre type, de 22 ans cette fois, entame la conversation. Après quelques salutations d'usage, même si, je le découvrirai au fil des échanges, elles ne sont pas légion ici, il va lui aussi droit au but:
Me faire jouir, moi, l'ado de 14 ans? Mais je réalise vite que cet homme de 22 ans était presque un poète, comparé à celui-là. Selon son profil, ce nouvel ami, qui surgit dans mes DM, a 19 ans et plein d'idées:
Passée la surprise, n'étant pas une habituée des cercles pédophiles, car c'est bien de ça dont il est question, je ressens un début de malaise. Rappelons-le, je suis censée avoir 14 ans. Mais je veux voir de mes propres yeux ce qu'on trouve sur ce site, alors je continue l'exploration.
Un autre homme, clairement pas un ado, me demande s'il peut me poser une question. «Mais c'est hard», me prévient-il.
Ma fausse photo de profil est acceptée plus ou moins à ce moment-là par les «modérateurs». En tout cas, je découvre qu'elle est active lorsqu'il m'explique les choses de la vie: un garçon, je dois le «branler devant mon beau visage». Il précise encore que je le fais bander. Il arrêtera de m'écrire quand je lui demande «et toi, pourquoi t'as pas de photo de profil?».
Un autre se montre plus subtil. Pascal, 24 ans, essaie de sympathiser, de s'intéresser à moi. Entre deux questions anodines, il me demande si j'ai «de belles formes, déjà». Sous-entendant qu'il sait que je n'ai pas l'âge d'avoir une telle conversation avec lui.
«Enlève le haut», me suggère-t-il, puisqu'il fait 35 degrés. Il me demande, avec un emoji mort de rire, comme s'il s'agissait d'une question banale, ce que ça me ferait si une de ses mains atterrissait sur mes seins par erreur. Et si j'aime quand ça va plus bas. Au cas où je n'avais pas compris, il devient plus explicite:
À propos de culotte, un autre me demande de l'enlever, car selon lui, je serai plus à l'aise comme ça. À cinq reprises.
S'il y a de nombreux messages à caractère sexuel échangés sur la messagerie de Rencontre Ados, l'envoi de photos n'y est pas possible. Il n'y a que celles qu'on ajoute sur notre propre profil, même si une écrasante majorité des utilisateurs n'en ont pas. Certains utilisateurs me proposent donc d'échanger nos Snapchat pour qu'on puisse s'envoyer des photos. Je n'utilise pas cette app, mais d'autres me disent «alors Discord?». J'ai bel et bien un profil, sous un faux nom, que j'utilise pour le travail. Go.
J'accepte la proposition de l'un d'eux de passer de la messagerie pour ados à celle de Discord, sachant pertinemment pourquoi ce type de 22 ans me le propose. Un sentiment aigre-doux me donne envie de croire que je me trompe. Que ce porc ne va pas me demander des nudes ou m'en envoyer lui-même.
Il me demande si je «nude».
Je lui réponds «tu veux que j'en parle à qui, à ma mère?». L'évocation de la représentante d'une fille mineure de 14 ans lui passe au-dessus. Je lui demande tout de même s'il a vu passer la polémique dans les médias et si on n'est pas surveillés. Là encore, ça lui est égal. «Non, t'inquiète pas», me répond-il, en m'envoyant une première photo de lui, en caleçon, et m'intimant de faire de même. Je botte en touche.
À ce moment-là, je commence à me sentir vraiment nauséeuse. Cet homme adulte vient-il vraiment de m'envoyer une photo de lui, en caleçon, dans sa salle de bain? C'est-à-dire à une adolescente de 14 ans? Je ne sais pas quel sentiment prédomine à ce moment. La peur? La haine? Le dégoût?
Mais le pire est à venir.
Dans un sursaut, les mains tremblantes, je claque l'écran de mon ordinateur. Ce porc m'a envoyé une photo de son sexe. Ce pédophile a envoyé une photo de son sexe à une jeune fille de 14 ans. Mon infiltration dans les «rencontres entre ados de 13 à 25 ans» s'arrêtera là.
La polémique enflait depuis plusieurs semaines. L'application Rencontre Ados avait déjà été supprimée de l'App Store et, le jeudi 24 août, elle a été bannie de la plateforme de téléchargement d'Android, appartenant à Google. En France, Jean-Noël Barrot, ministre délégué au Numérique, a annoncé avoir saisi la justice.
Il ne reste qu'à espérer que les pédophiles avec qui j'ai échangé, tous basés en France, seront bientôt traduits en justice. Mais au vu du nombre de cinglés attirés par des filles mineures avec qui j'ai échangé, en seulement quelques heures et pour écrire cet article, j'ai peu d'espoir.