Ce Salon est itinérant, et cette fois, il s'arrête dans la ville de mon enfance. «Parfait, de quoi aller boire un café chez ma mère et faire un reportage, d'une pierre deux coups».
Le café, les ragots, la famille, c'est fait. Allez, c'est l'heure de bosser maintenant. Mais je m'envoie un deuxième café, repoussant le moment d'aller discuter avec des gens qui vendent des bâtons d'encens et qui lisent des trucs dans le marc de café. Oui, c'est ça, je suis mi-sceptique, mi-curieuse. Bon, la curiosité l'emporte. Let's go.
A l'étage du Théâtre Benno Besson d'Yverdon, je compte quasiment exclusivement des visiteuses, il n'y a qu'un homme, il a l'air de se faire expliquer quelque chose sur une table par une voyante, ou une médium, ou que sais-je. Je n'y connais rien. Il y a un peu moins d'une dizaine de stands de professionnels en tout genre, j'irai les voir plus tard. Là, je ne suis pas complètement à l'aise. Pour me mettre dans le bain, je commence par jeter un œil à la boutique ésotérique.
Comme je l'imaginais, il y a des bâtons d'encens, mais aussi des pierres, des têtes de mort en céramique, des talismans, des pendules, de la sauge blanche de Californie, du palo santo, des statuettes d'anges... Je trouve même des grigris «imprégnés de l'archange Michel» (mais ne me demandez pas ce que ça veut dire).
Il y a également une quantité de livres sur les arts divinatoires, et des cartes de tarot. Je n'ai aucune idée de comment ça fonctionne, mais j'ai toujours trouvé ces cartes assez belles. J'irai sans doute voir quelqu'un qui tire les cartes après mon tour de la boutique.
Il y a aussi des choses dont je peine à comprendre le sens. Des baguettes magiques, vraiment? Ou encore des «spell jars», des bouteilles de sorcière en français, censées protéger contre les sorts.
Traditionnellement, elles étaient composées de deux ingrédients: de l'urine et des épices. Ah voilà. Et aujourd'hui? L'écriteau indique qu'on trouve dans ces jarres des fleurs séchées, des cristaux, des eaux magiques, des clous, des écrits... Mais aussi des os et des cheveux. OK d'accord, c'est l'heure de changer de stand.
Sur un autre, il y a des colliers, dont un avec une clé. Parmi les différentes significations associées à la clé, on trouve: «ouverture des portes et opportunités». Pour les portes, j'avoue que je m'en doutais un peu.
Bon, la boutique, c'est fait. Je ne sais pas quoi penser de ce que j'ai vu, mais j'ai du mal à ne pas hausser un sourcil. Il est temps d'aller voir les professionnels avant de basculer de manière irrémédiable du côté «sceptique».
J'hésite. Par quoi commencer? La lecture de mon âme? Mmhh... La médiumnité? Je ne sais même pas ce que ça veut dire. Les cartes de tarot? Je n'y connais rien. Au hasard, je vais demander à une femme qui fait de la voyance si elle veut bien me faire une petite démonstration gratuite pour mon article. Elle refuse: elle ne veut pas être prise en photo. Je lui explique que je l'anonymise volontiers. Refus quand même, car «ça n'est pas gratuit». Même une courte démo? Bon.
Au stand suivant, idem: c'est d'abord se montrer qui pose problème, puis c'est en fait une question d'argent. Super. Je suis là pour un reportage, et je me vois assez mal faire une note de frais «100 balles par Twint pour voyance Yverdon» gribouillée sur un bout de papier pour la compta.
OK. Une troisième m'a entendue pitcher mon projet d'article à la précédente et me fait signe de m'en aller avant même que j'arrive à sa hauteur. BON.
Je suis un peu déçue et légèrement dégoûtée. D'habitude en reportage, les gens sont assez heureux de partager leur passion. Je ne viens pas pour les arnaquer, je ne veux pas me faire lire les lignes de la main ou que sais-je gratuitement. D'ailleurs, j'aurais eu mille autres choses à faire de ce samedi quasi estival, merde. Allez, une dernière tentative, sinon je m'en vais profiter du soleil et voir ailleurs si j'y suis.
Un brin désespérée, je m'approche d'une cartomancienne. C'est marrant parce que je l'avais repérée déjà en entrant dans la salle, je trouvais qu'elle était «très good vibes». Ouf, elle accepte de me faire une démo, de me tirer juste trois cartes pour mon article. Mais d'abord, curieuse, je lui demande comment elle a commencé le tarot.
Les gens font appel à elle lorsqu'ils font face à une difficulté, qu'ils ont un choix à faire, et qu'ils ont besoin d'espoir et d'être guidés. «Mais je ne vais pas voir si la personne va se jeter d'un pont en terminant la séance, ça n'est pas comme ça que ça marche. On a toujours le choix, je ne suis là que pour donner une direction», poursuit-elle. Elle est franche, ça me met à l'aise. Allez, c'est parti pour mon tirage de cartes. Elle les étale devant moi et me demande d'en choisir trois, d'écouter mon intuition.
La claque. On a tous un bagage émotionnel, tous une histoire, tous une famille avec plus ou moins de secrets, et des plaies pas complètement guéries. Avec ces trois cartes, elle met tout de suite le doigt sur LE truc qui coince. Je passe de «c'est quoi ces jarres remplies de clous, d'eau magique et d'os» à «oh putain, elle est dans ma tête ou quoi».
Je suis troublée. Elle constate qu'il y a de vieilles blessures. Sans entrer dans les détails, votre journaliste est aussi une petite fille de parents divorcés qui, comme beaucoup d'autres, a aujourd'hui encore la trouille de certaines choses. A ce moment-là, je ne sais pas si c'est la journaliste ou la petite fille, mais il y en a une des deux qui sent une larme rouler sur sa joue. Puis une deuxième.
Finalement, la cartomancienne ne me tire pas «juste trois cartes pour l'article», mais me fait la totale. Trois nouvelles cartes à ajouter par-dessus les premières, puis j'en tire encore trois autres. Et plus ça avance, plus j'ai l'impression qu'elle sait. Alors que je n'ai pas dit grand-chose. Encore des larmes. On discute, elle me donne un conseil que je sais déjà, et qu'elle sait que je sais déjà. C'est vraiment troublant. Je me ressaisis, elle me sourit. «Vous ne seriez pas un peu psy à vos heures perdues?» Elle me répond avec un regard et un demi-sourire à la Mona Lisa.
Sur un banc en face de la maison où j'ai grandi, j'ouvre mon portable et commence à écrire. Au soleil. Pourquoi irais-je m'enfermer pour bosser? Je repense à cette séance de tarot et à la gentillesse de cette femme. Aurais-je été aussi émotionnelle si le salon s'était déroulé dans une autre ville que celle où j'ai grandi? Bonne question. En attendant, j'y allais mi-curieuse, mi-sceptique, j'en sors mi-émue, mi-troublée.
Le Salon suisse des Arts Divinatoires se tiendra les 18 et 19 mai à Morges. L'entrée est gratuite.