Un inconnu s'est fait passer pour Vitali Klitschko, maire de Kiev, lors de fausses communications vidéo avec des personnalités politiques de haut rang. La maire de Berlin, Franziska Giffey, ainsi que les maires de Madrid et de Vienne, José Luis Martínez-Almeida et Michael Ludwig, ont été trompés. On ne sait pas si d'autres politiciens exécutifs d'Europe occidentale ont également été victimes du même type d'arnaque.
Il est peu probable qu'il s'agisse d'une attaque par «deepfake». Les deepfakes sont des contenus médiatiques falsifiés d'apparence ultra réaliste, notamment des vidéos, qui ont été générés par des algorithmes informatiques. Dans le cas présent, rien ne prouve qu'il s'agisse d'une cyberattaque conçue à grands frais à l'aide d'une intelligence artificielle (IA).
Comme nous le savons grâce aux recherches menées par des journalistes allemands, certains éléments indiquent qu'il s'agit d'une simple arnaque. Cela n'améliore toutefois pas la situation des personnes piégées.
L'hypothèse d'une attaque deepfake a été exprimée vendredi dernier par la chancellerie du Sénat de Berlin sur Twitter. Cette version des faits a été relayée en Allemagne et à l'étranger, rapidement et sans vérification.
Mais du côté des journalistes, un problème subsiste: ils ne disposaient d'aucune preuve vidéo, ni de Berlin, ni de Madrid, ni de Vienne. Il n'y avait que quelques captures d'écran.
Le journaliste d'investigation allemand Daniel Laufer (ARD) s'est intéressé de près aux informations publiées par la mairie de Berlin.
Sur YouTube, Laufer a retrouvé une interview du maire de Kiev datant de début avril. Celle-ci pourrait avoir servi de matériel numérique de base pour la fraude, car elle montre Vitali Klitschko avec les mêmes vêtements et le même arrière-plan que ceux utilisés pour le canular.
Le magazine d'information Spiegel résume la théorie de Laufer comme suit: les criminels auraient «précoupé astucieusement» des extraits de la vidéo originale et les auraient réassemblés en temps réel pendant la vidéoconférence avec les maires européens.
Il est probable que les images animées de l'interview de l'époque (en ukrainien) aient servi de base et qu'elles aient été fusionnées en temps réel avec les paroles et les mouvements des lèvres de la personne qui s'est ensuite réellement entretenue avec la maire de Berlin. Les spécialistes appellent cela un «face reenactment», écrit l'agence de presse ATS.
Mais un point en particulier a pu aider les hackers de manière décisive. Au début de la conférence téléphonique, ils ont demandé si la conversation pouvait avoir lieu en russe et être traduite. La maire de Berlin a accepté. Il est compréhensible qu'elle ait ensuite prêté relativement peu d'attention à la voix de son interlocuteur puisqu'elle était obligée de suivre la traduction.
Pour éclaircir la théorie du deepfake, le Spiegel a interrogé un expert en traitement automatique de la parole, des images, des vidéos et de la musique. Florian Gallwitz, professeur d'informatique à l'Université technique de Nuremberg, a déclaré:
La question de savoir si un deepfake peut être réalisé dans une telle situation en direct de manière si trompeuse qu'un œil exercé se laisse berner reste sans réponse, du moins pour le moment, constatent nos collègues de T-Online.
Les tentatives de la chaîne ARD pour générer une vidéo deepfake crédible ont échoué, comme l'a tweeté lundi la journaliste allemande Svea Eckert. Et même les «très bons deepfakes», avec des personnes pour lesquelles il existe des heures de matériel brut, se feraient remarquer par des perturbations de l'image (artefacts), «surtout sur les marges».
Il n'existe pas de données fiables à ce sujet.
Récemment, un duo comique russe bien connu du public russe du nom de Vovan et Lexus a fait la une des journaux internationaux en trompant J. K. Rowling, l'auteur des best-sellers Harry Potter, avec un faux appel téléphonique. C'est ce qu'a rapporté le Washington post vendredi dernier (24 juin).
Les «pranksters» (en français, «farceurs») autoproclamés soutiennent le dictateur russe Vladimir Poutine et ont fait croire à la créatrice de Harry Potter qu'elle avait eu une conversation téléphonique avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
Nous savons que les Russes maîtrisent fondamentalement la technique du deepfake et qu'ils l'utilisent aussi dans la guerre de l'information contre l'Occident. Ceci au moins depuis mars 2022, lorsque le groupe Meta, la société mère de Facebook, a fait savoir qu'il avait retiré «une vidéo deepfake» de ses propres plateformes: un clip montrant un faux président Zelensky, avec une déclaration «qu'il n'a jamais faite».
Parce qu'il met en lumière le fait que le dictateur russe Vladimir Poutine ne mène pas seulement une guerre d'extermination contre l'Ukraine, mais aussi une guerre de l'information contre l'Occident. Son objectif est de diviser la population et de déstabiliser les Etats.
Avec cette fausse vidéo, des criminels inconnus ont réussi à discréditer les responsables politiques de trois villes européennes. Les moqueries ne se sont pas fait attendre.
Le maire de Vienne a averti que la «guerre numérique» visait à ébranler la confiance dans la politique et à discréditer l'Ukraine et ses partisans. Il ajoute que des mesures seront prises «pour faire face à l'avenir à cette nouvelle forme de cybercriminalité».
Il y a le niveau juridique: selon les médias, la Protection constitutionnelle autrichienne et d'autres institutions ont ouvert des enquêtes. En Allemagne, c'est le service de protection de l'Etat de la police judiciaire, chargé des délits à motivation politique, qui enquête. On peut se demander s'il en résultera des procédures pénales contre les auteurs, toujours inconnus à ce jour.
Et puis, il y a aussi le niveau politique.
Les politiciens et leurs conseillers s'efforcent de maintenir de bonnes relations publiques. Il n'est donc pas étonnant que plusieurs capitales d'Europe occidentale aient répondu à l'offre de dialogue du faux Vitali Klitschko, soi-disant venu de Kiev.
Pourtant, toutes les sonnettes d'alarme auraient dû être tirées dans les mairies. La demande ne provenait pas d'une adresse électronique officielle ukrainienne, mais de l'expéditeur mayor.kyiv@ukr.net. Et manifestement, l'authenticité de la personne qui aurait fait la demande n'a pas été clarifiée et les détails de la conversation n'ont pas été fixés de manière définitive. Cela a eu pour conséquence que les Européens de l'Ouest, pris au dépourvu par leur interlocuteur, ont accepté de mener la conversation en russe avec l'aide d'un interprète. Un interprète que ces criminels ont eux-mêmes mis à disposition...
Finalement, dans cette affaire, le dernier mot devait toutefois revenir au véritable Vitali Klitschko. Le maire de Kiev et ancien champion de boxe a rappelé les canaux de communication officiels par lesquels on pouvait le contacter en toute sécurité. Point important, il a rappelé ne pas avoir besoin d'interprète lorsqu'il s'entretenait avec ses homologues d'Europe occidentale.
HIER meldet sich der ECHTE @Vitaliy_Klychko aus Kyiv via @bild zu Wort 👇“Ich brauche keinen Übersetzer“ #Giffey #Ludwig #Fake pic.twitter.com/2gvXKAPLhn
— Paul Ronzheimer (@ronzheimer) June 25, 2022
Avec du matériel de l'agence de presse ATS