Depuis quelque temps, la guerre en Ukraine s'est invitée sur le territoire russe. Plusieurs attaques de drones ont frappé des cibles situées en Russie ou en Crimée. Depuis plus d'une semaine, des milices paramilitaires mènent des incursions armées dans la région frontalière de Belgorod. Et pourtant, Vladimir Poutine fait comme si rien de tout cela ne se passait.
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«Bien sûr que je dors», a-t-il déclaré lors d'un échange vidéo avec des familles à l'occasion de la Journée internationale de l'enfant la semaine passée. Il a besoin de six heures de sommeil, a-t-il ajouté. Ce jour-là, l'armée russe a de nouveau bombardé la capitale ukrainienne avec des drones et des missiles, mais une autre actualité a occupé la nuit du président: de nouvelles attaques en provenance d'Ukraine ont eu lieu dans la région de Belgorod.
Un immeuble d'habitation a pris feu. Les gens ont fui et se plaignent depuis que la télévision d'Etat ne montre qu'une fraction des destructions et dissimule la vérité. Les habitants ont exigé une «protection» de la part de l'Etat.
Poutine, quant à lui, fait savoir par l'intermédiaire de son porte-parole Dmitri Peskov que la situation dans la région est certes «alarmante», mais sous contrôle. Le ministère de la Défense a annoncé la «destruction» de dizaines de saboteurs et de «terroristes». Ces déclarations ne rassurent pas les patriotes russes, de plus en plus irrités.
«Les attaques à Belgorod détruisent définitivement le mythe de l'invincibilité de l'armée de Poutine», analyse le politologue Abbas Galliamov. Et d'ajouter:
Les critiques à l'encontre du président russe se multiplient également parmi les célébrités. L'ancien chef de l'agence spatiale russe Roskosmos, Dmitri Rogozine, exige de nouvelles vagues de mobilisation pour gagner la guerre contre l'Ukraine. Les proches de Poutine, Ramzan Kadyrov, chef de la république de Tchétchénie, et le chef de l'armée privée Wagner, Evgueni Prigojine, demandent avec insistance l'instauration de la loi martiale afin de pouvoir sévir plus durement. Ils préviennent que si la Russie est vaincue dans cette guerre, les conséquences seront destructrices pour le pays tout entier.
Prigojine a également souligné qu'il était nécessaire de passer à une économie de guerre si la Russie voulait gagner. En plus des mercenaires Wagner, d'autres armées privées russes sont prêtes à faire passer le conflit à un autre niveau, comme les troupes de mercenaires liées au groupe énergétique public Gazprom.
L'ultranationaliste et ancien officier des services secrets Igor Guirkine, surnommé Strelkov, regrette cependant un «chaos de la guerre» croissant, notamment en raison des luttes de pouvoir entre Prigojine et le ministère de la Défense. Le chef de Wagner ne cesse d'accuser le ministre de la Défense Sergueï Choïgou et le chef d'état-major général Valeri Guerassimov comme étant «incompétents».
De son côté, Poutine se tait et hésite. Le porte-parole du Kremlin souligne de toutes parts que ni la loi martiale ni une nouvelle mobilisation ne sont actuellement discutées. La Russie atteindra tous ses objectifs de guerre. Des millions de Russes soutiennent Poutine et ce que les dirigeants russes appellent une «opération militaire spéciale», affirme Peskov.
Les experts estiment qu'un autre récit de propagande pourrait porter Poutine jusqu'aux prochaines élections présidentielles: la prétendue guerre contre «l'Occident collectif» dirigé par les Etats-Unis. Le pouvoir russe affirme devoir lutter seul contre la puissance de l'Otan, qui vise à détruire la Russie en se servant de l'Ukraine.
Ce type de récit, qui s'inscrit dans le thème global de la confrontation avec l'Ouest, est traditionnellement accrocheur pour de nombreux Russes. Plusieurs politiques se prononcent déjà pour une nouvelle candidature de Poutine en mars 2024. Des observateurs indépendants estiment en revanche que le locataire du Kremlin est déconnecté de la réalité, qu'il évite les voyages à l'étranger en raison du mandat d'arrêt international lancé contre lui pour crimes de guerre.
En Russie, Poutine se montre régulièrement lors de remises de décorations. Il récompense les «combattants courageux» et les «mères méritantes». Pour ses gloires dans le domaine spatial, il vient de créer la décoration Youri Gagarine en mémoire du premier Russe dans l'espace. Cependant, il ne s'exprime plus vraiment sur les questions stratégiques, explique la politologue Tatiana Stanovaya. La politique du Kremlin est de ne surtout pas tomber dans l'alarmisme afin d'éviter les troubles dans la société.
Il serait naïf de s'attendre à un changement de cap en Russie, estime Tatiana Stanovaya. «Le plan de Poutine consiste à attendre des changements radicaux», explique la politologue, par exemple que l'Occident réduise son soutien militaire et politique et que l'Ukraine échoue militairement, qu'elle capitule ou qu'une scission se produise à Kiev. La peur de la contre-offensive ukrainienne passe désormais au second plan.
Traduit et adapté par Nicolas Varin