Ce n'est pas un secret, la Russie et Chypre entretiennent une relation très étroite depuis de nombreuses années. Certes, depuis le début de la guerre, ce pays membre de l'UE s'est formellement opposé à la guerre et calé sur les sanctions occidentales. Mais selon la banque centrale de Chypre, la Russie demeure son premier investisseur étranger:
Pour l'anecdote, la célèbre station balnéaire Limassol a vu son nombre d'oligarques russes passer de 50 000 à 60 000 depuis le 24 février 2022.
Cette semaine, dans une grande enquête, en deux volets et dévoilée en russe et en anglais, le média russe indépendant Proekt affirme que Vladimir Poutine utilise une société baptisée Ermira Consultants, basée précisément à Chypre, comme porte-monnaie personnel.
L'enquête en profite aussi pour mettre en lumière le vaste entourage du président russe, dont les noms, comme autant d'écrans de fumée juridiques, ne serviraient qu'à planquer ses activités financières, assurer son train de vie et offrir des propriétés luxueuses à ses proches. «Nous avions l'habitude d'utiliser l'expression "payer avec Ermira", pour dire qu'il fallait utiliser l'argent de Poutine pour certaines transactions», explique une source de Proekt. Pour faire court, Ermira Consultants aurait toujours été détenue par des prête-noms et gérée dans l'ombre par des amis de Poutine.
Ermira Consultants a été fondée il y a une vingtaine d'années. Proekt raconte l'histoire d'un avocat lambda qui aurait servi de propriétaire fantôme jusqu'en 2015. Son nom? Vladislav Kopylov. En 2003, âgé de 50 ans, l'homme aurait «hérité» de cette entité chypriote en même temps qu'une poignée de jolis biens immobiliers en Russie.
Plusieurs dizaines de satellites gravitent autour de cette raison sociale. Et c'est précisément cette toile d'araignée financière qui serait le fameux «porte-monnaie de Poutine». Enfin, l'un d'eux, puisqu'en 2022, le média indépendant russe Meduza faisait le lien entre la fortune du président et 86 sociétés réunies sous la «coopérative» LLC Invest.
Longtemps, les journalistes russes pointaient d'ailleurs un autre papa potentiel de la société Ermira: Arkady Rotenberg. L'autoproclamé propriétaire du fameux Palais de Poutine, dont le scandale financier fut révélé par l'équipe de Navalny en 2021. Ce puissant homme d'affaires moscovite, partenaire de judo de Vladimir Poutine, mais aussi récent, généreux et controversé donateur pour l'école privée anglaise du petit Prince George, avait toujours réfuté son implication dans cette société chypriote.
Or, en 2015, toujours selon Proekt, c'est une autre société «liée à Rotenberg» qui a mis la main sur Ermira et ses satellites. Et l'une des filiales de cette entité chypriote rapporte manifestement pas mal d'argent en produisant... la vodka Putinka.
Une marque qui, elle aussi, a collectionné les propriétaires.
Officiellement, le maître du Kremlin s'est toujours dit peu réjoui à l'idée que son nom soit «associé à des biens de consommation», comme l'avait communiqué son porte-parole Dmitri Peskov à l'époque. Officieusement, toujours par l'intermédiaire de la constellation Ermira et selon Proekt, cette boisson alcoolisée lui aurait rapporté personnellement plus de 500 millions de dollars, entre 2004 et 2019. De plus, de près ou de plus loin, Arkady Rotenberg a toujours gravité autour des entités juridiques de Putinka, accessoirement la deuxième vodka la plus avalée en Russie.
La société chypriote serait également à la base d'une flopée de biens immobiliers de luxe appartenant à l'entourage de Poutine. On le sait, son ex-femme Lyudmila et son mari (qui n'a jamais été particulièrement riche) ont été régulièrement arrosés d'avantages en nature par le maître du Kremlin. En Russie, comme en Europe, Artur Ocheretny s'est retrouvé propriétaire de plusieurs appartements, dont deux à Marbella en Espagne.
Selon Proekt, si Ocheretny a pu se payer ces petits nids douillets, c'est grâce à quelques affaires juteuses réalisées avec Ermira Consultants. La première transaction daterait de 2010, quand «le président a ordonné d'acheter avec Ermira un appartement pour Ocheretny, dans un quartier quelconque de Moscou.»
Alina Kabaeva, l'éternelle supposée compagne de Vladimir Poutine, mais aussi maman de ses quatre enfants, est une femme puissante. Certes, sanctionnée par la communauté internationale depuis la guerre contre l'Ukraine, mais puissante. Et immensément riche. La «femme la plus souple de Russie» gagnerait un salaire annuel de 10,6 millions de dollars en tant que présidente du conseil d'administration du géant russe National Media Group.
Mais ce n'est pas tout. Selon Proekt, son patrimoine immobilier avoisinerait les 120 millions de dollars. Tout (bien sûr) ne lui appartient pas officiellement. Dans le viseur: famille et amis, encore une fois. Le média russe parle par exemple de 15 millions de dollars de bicoques de luxe «inscrits au nom de la grand-mère de Kabaeva».
En 2011, «selon les souhaits de la gymnaste, quatre appartements à Sotchi ont été attribués à son entourage avec l'argent d'Ermira Consultants».
Kabaeva possède également l'appartement considéré comme «le plus grand de Russie» par les agences immobilières du pays. Situé aussi à Sotchi, ce penthouse du complexe résidentiel Korolevskiy Park se déploie sur deux étages et 2600 mètres carrés. Il possède (modestement) une piscine, un cinéma, un patio et un héliport privé sur le toit.
Proekt aurait reçu des documents qui prouvent que ce penthouse a été payé à partir du compte personnel de l'homme d'affaires Oleg Rudnov, décédé en 2015, pour la modique somme d'un million de dollars. Soit cinq fois moins que le prix demandé par le promoteur immobilier.
Détail qui a son importance: ce montant a été déposé en espèces sur le compte de ce proche de Poutine par l'intermédiaire... d'Ermira Consultants. Comme si ça ne suffisait pas, Alina aurait demandé aux gérants de la société Ermira d'acheter deux autres appartements dans le même complexe pour sa grand-mère. (Décidément.)
Surprise, cette énorme enquête financière de Proekt mènera ses journalistes à découvrir que Poutine et sa (toujours) présumée compagne vivent désormais sous le même toit. Plus précisément dans l'un des palais de l'autocrate, situé dans la forêt de Valdaï. Une petite ville d'à peine 15 000 habitants, mais qui accueille, par exemple, ce qui est considéré comme le «Davos russe»: les Journées de Valdaï.
Depuis son accession au pouvoir, le président y a toujours eu une résidence officielle, qu'il partageait avec son épouse. En 2020, une nouvelle maison aurait été construite «pour Kabaeva et les enfants», à 800 mètres de la première.
C'est en zoomant sur l'empire d'Alina Kabaeva, que le média russe a compris que cette maîtresse de tous les fantasmes, mais aussi ses soeurs et ses nombreuses assistantes, alignaient les trajets en train pour Valdaï. Au point que l'assistante-principale d'Alina se serait vue offrir, en 2016, une propriété dans la même bourgade. Autre indice avancé par les journalistes, la création d'une ligne de chemin de fer et d'une «gare secrète», en 2019, non loin de ce palais de campagne.
Proekt en profite d'ailleurs pour confirmer que le moyen de transport préféré du président russe, c'est un train blindé.