«Il est plus juste d'appeler cette guerre une guerre sainte. Tu peux commencer à avoir très peur, toi, l'ancien monde!» Ce «vieux monde» colorié en rouge foncé par Ivan Okhlobystine, vendredi dernier à Moscou, serait tenu par des «pervers» et des «satanistes». Ce «vieux monde», c'est l'Occident. Le même qui a été menacé littéralement par Vladimir Poutine, et durant quarante-cinq longues minutes, dans son discours de victoire, il y a trois jours.
Gants de cuir, manteau en gabardine et petites lunettes rondes, le propagandiste Ivan Okhlobystine, 56 ans, s'est montré méchamment messianique sur la scène de la place Rouge, pour défendre et propager la voix de son maître. C'est bien simple: le bonhomme voudrait «nettoyer» la Russie et évoque l'idée d'un «mur de fer».
S'il parvient à haranguer la foule en quelques slogans postillonnés avec aisance, son métier n'y est probablement pas étranger. Ivan Okhlobystine est un comédien professionnel. C'est même pire (ou mieux) que ça: une grande star de cinéma en Russie. Avant de s'enfermer dans les ordres et la propagande poutinienne, Ivan s'est longtemps enrichi en divertissant le peuple russe, armé d'une vingtaine de films, dont certains sont, encore aujourd'hui, considérés comme majeurs.
Dans «La Jambe», sorti en 1992 et basé sur la nouvelle du romancier américain William Faulkner, Okhlobystine campe un soldat de 19 ans de retour d'Afghanistan, l'espoir et une jambe en moins.
Jusqu'ici, vous pourriez vous dire que son parcours n'est pas sans rappeler celui de Volodymyr Zelensky. L'homme d'écran devenu personnalité politique de premier plan. Jonglant avec les comédie policières, les séries à succès, ou les drames populaires, Okhlobystine a surtout été une sorte de Dr. House russe dans la série «Interns». Douze saisons durant lesquelles son personnage cynique a tenu l'audience en haleine.
La ressemblance avec le président ukrainien se ressert même en 2012, lorsque ce diplômé de l'Institut de cinématographie de Gerasimov s'est vu, l'espace d'une courte campagne présidentielle, à la tête de la République de Russie. Son entrée en politique lui a été ensuite refusée par l'Eglise orthodoxe, par l'intermédiaire du patriarche de Moscou, le célèbre Kirill.
La comparaison s'arrête là: Volodymyr Zelensky n'a pas braqué son volant, direction la religion, et n'a pas proposé de «brûler vif les homosexuels dans un four».
En 2013, Ivan Okhlobystine a 47 ans. Tout en maintenant son pied gauche sur les plateaux de cinéma, le droit est déjà très ancré sur le sol de la religion. Un dimanche glacial de décembre, cette vedette devenue prêtre orthodoxe dérape violemment dans une chapelle sibérienne. Des fidèles pendus à ses lèvres, Ivan perd son calme dans un discours glaçant sur l'homosexualité: «Je les aurais tous fait brûler vivant dans un four. C'est une version moderne de Sodome et Gomorrhe. En tant que croyant, je ne peux rester indifférent à cette décadence.»
Et des enfants, Ivan en a eu une bonne poignée avec sa femme, Oksana Arbouzova, romancière et comédienne russe: quatre filles, deux garçons. Savva, Vasily, Evdokia, Varvara, John, Anfisa et... John. Tu seras à moi, aurait déclaré le propagandiste au moment de rencontrer sa moitié pour la première fois, dans un festival de cinéma à Moscou. La deuxième rencontre? Dans un office religieux quelques années plus tard. Ils ne se sont plus quittés depuis.
Star de ciné, prêtre, mari, papa, nationaliste extrême et puissant adorateur de la Russie de Poutine, Okhlobystine n'a jamais caché sa difficulté d'empiler autant de casquettes sur sa tête connue. Même si son travail au cinéma sera manifestement toujours pour lui «le prolongement direct de sa foi», comme une espèce d'acteur-missionnaire au service de Dieu.
Depuis le début de la guerre, son nom se retrouve sur une flopée de listes noires. Interdit de séjour en Ukraine, mais aussi en Estonie et en Lettonie, il n'est plus prêtre depuis quelques années et s'engage de plus en plus passionnément aux côtés du Kremlin pour «rendre sa gloire d'antan à la grande Russie». Ce qui ne l'empêche pas de continuer à faire sa starlette de cinéma. Son dernier film, «Nedetsky Dom» est sorti en septembre dernier.
Sur les réseaux sociaux, Ivan Okhlobystine (ses lunettes rondes et sa dégaine aidant) a été comparé à l'agent de la Gestapo Arnold Ernst Toht, dans le film «Indiana Jones».
«Laissez-moi vous montrer de quoi je suis capable», disait-il dans la fiction, non loin d'Harrison Ford. Vendredi, dans un discours guerrier, religieux et gorgé de haine, le propagandiste a brandi la même menace. Mais dans la réalité, non loin de Vladimir Poutine.