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Célébrer le Débarquement avec Poutine? «Un affront»

Vladimir Poutine n'a pas été invité aux commémorations des 80 ans du Débarquement de Normandie.
Vladimir Poutine n'a pas été invité aux commémorations des 80 ans du Débarquement de Normandie.Image: Keystone / dr (montage)

Débarquement: «Les Russes sont prisonniers de leur narratif»

La Russie n'a pas été invitée aux commémorations des 80 ans du Débarquement de Normandie. Est-ce une insulte aux millions de soldats russes morts vaincre les nazis ou de la pure logique au vu de la situation actuelle? Décryptage avec un historien.
06.06.2024, 06:0506.06.2024, 10:50
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Poutine ne foulera pas le sable normand pour commémorer les 80 ans du débarquement de Normandie.

«Les conditions ne sont pas réunies compte tenu de la guerre d'agression que mène la Russie contre l'Ukraine»
Le bureau d'Emmanuel Macron

C'était d'abord une délégation sans Poutine qui avait reçu un carton d'invitation. Mais celle-ci a in fine été «désinvitée». Au contraire de Volodymyr Zelensky, qui sera présent face au vent iodé de la Manche et des bunkers nazis.

La France a-t-elle eu raison d'annuler la présence de la Russie en évoquant son agression en Ukraine? Décryptage avec Nicolas Hayoz, professeur au Département d'études d'Europe de l'Est à l'Université de Fribourg.

Nicolas Hayoz est professeur à l'Université de Fribourg.
Nicolas Hayoz.dr

Que représente l’absence de Poutine à cet évènement?
Nicolas Hayoz:
Dans une perspective occidentale, cela aurait été un affront d'inviter Poutine en personne à une telle célébration alors qu'il mène sa guerre en Ukraine. Cette décision est juste. De plus, aucun dirigeant européen ne discute avec Poutine depuis des mois.

«Cela aurait été absurde de les voir poser ensemble sur les plages normandes»

N'aurait-on pas pu remplacer Poutine par un autre officiel, l'ambassadeur russe en France par exemple?
Cela ne changerait pas grand-chose. Les Russes se considèrent en guerre contre l'Occident. En outre, d'autres pays occidentaux ont-ils fait pression sur la France pour ne pas l'inviter? On peut imaginer que, si Emmanuel Macron voulait maintenir la venue d'officiels russes, d'autres alliés auraient pu se montrer surpris par cette initiative des Français.

Emmanuel Macron s'est profilé depuis longtemps comme un médiateur avec Poutine. Il en a en tout cas pris cette posture au début de la guerre en Ukraine. Cette période est-elle terminée?
Les choses ont changé. En février dernier, Macron a ouvertement accusé la Russie de tomber dans le révisionnisme. Il est devenu un des défenseurs les plus solides de la cause ukrainienne, en évoquant notamment l'envoi possible d'hommes — même s'il reste loin derrière les Américains et les Allemands en termes d'envoi d'armes et de matériel.

«On peut dire qu'Emmanuel Macron a choisi son camp»

Vladimir Poutine avait participé aux commémorations du 60e et du 70e anniversaire, en 2004 et 2014 — pourtant quelques mois après l'annexion de la Crimée. Qu'est-ce qui a changé?
En 2004, les choses étaient parfaitement différentes. Poutine en était à son premier mandat et en train de remettre la Russie sur pieds en muselant ses oligarques. A cette époque, il y avait encore de grands espoirs que Poutine joue le jeu des Européens. Il y avait même des espoirs que la Russie rejoigne l'Otan.

«C'est à cette époque que Poutine commençait à montrer son vrai visage et à consolider son Etat, qui prenait des allures autoritaires»

Puis sont venues la révolution Orange de 2004 en Ukraine, qui est restée dans la gorge de la Russie, la Conférence de Munich en 2007, où Poutine a ouvertement critiqué l'Occident et prôné un monde multipolaire et l'invasion de la Géorgie en 2008. A partir de ce moment-là, on savait qui était Poutine. Quant à sa venue en 2014, elle était déjà discutable.

A parachutist with a giant Russian flag jumps onto the beach of Arromanches, western France, Thursday June 5, 2014. World leaders and veterans prepare to mark the 70th anniversary of the invasion this ...
Un parachutiste russe sur les plages normandes, en juin 2014.AP

Poutine pourrait-il utiliser cette «désinvitation» comme preuve que les Occidentaux sont fermés au dialogue?
Je ne suis pas sûr. Si la Russie avait un autre régime politique, on pourrait certainement partager des lieux de mémoire collectifs. Et pour Moscou, le Débarquement n'a jamais été un fait historique majeur. Les Russes sont prisonniers de leur narratif de Grande guerre patriotique, qui ne s'est jamais vraiment terminée dans leurs têtes.

«Pour eux, la Russie est entourée d'ennemis, sa civilisation est en danger et doit se défendre»

Elle explique qu'elle reste seule mais forte: c'est ça, le grand discours russe. Et elle doit le montrer. Mais on ne peut pas reprocher aux Occidents de ne pas avoir fait ce qu'ils peuvent pour impliquer les Russes.

Inviter des Russes pour un évènement historique qui ne comprend pas de soldats de l'armée rouge, était-ce au final nécessaire?
Les commémorations du Débarquement sont avant tout un évènement destiné aux Français, aux Américains et à leurs alliés. Mais inviter la Russie comme membre des troupes qui ont vaincu les nazis est logique. Si on veut célébrer les morts de la Seconde guerre mondiale dans leur ensemble, la Russie en fait partie. Dans le même temps, Poutine a souvent présenté la victoire soviétique comme une seule victoire des Russes. Mais il y avait d'autres nationalités présentes au sein de l'URSS — comme les Ukrainiens.

epa07629494 A handout picture provided by the British Ministry of Defence showing helicopters flying over amphibious vehicles on the beach at Arromanche, Normandy. France, 05 June 2019 issued 06 June  ...
Image: EPA BRITISH MINISTRY OF DEFENCE

Emmanuel Macron a même invité Olaf Scholz, chancelier allemand, c'est-à-dire le pays vaincu lors de cette bataille. Mais pas Poutine. Que faut-il en déduire?
Que l'Allemagne est un pays démocratique qui a fait le deuil de l'ère nazie. C'est une autre Allemagne qui fait aujourd'hui partie de l'Europe. En invitant Olaf Scholz, on montre qu'il est possible de changer et que l'Europe peut être réunie en paix.

«Ce à quoi on assiste, c'est un rendez-vous entre Etats démocratiques d'une Europe qui a surmonté ses déchirures»

La Russie, quant à elle, montre les traits d'un régime fascisant, agressif et qui emprunte des méthodes semblables à celles des nazis.

Il y a un mois, Poutine célébrait en grande pompe les célébrations du 9 mai, date de la victoire sur l'Allemagne nazie. Chacun ses célébrations?
Oui, chacun fait les choses de son côté. Depuis 2022, Moscou utilise surtout cet évènement pour légitimer son agression en Ukraine. Le 9 mai est devenu un acte d'autocélébration du régime. Poutine a opéré une instrumentalisation de la mémoire des évènements en pointant du doigt une Ukraine dirigée par des néonazis et ses alliés occidentaux. En Russie, les bouquins d'histoire mettent l'accent sur le sacrifice russe durant la Grande guerre patriotique et ceux qui dévient du discours officiel sont sanctionnés. C'est une diffusion presque orwellienne de la mémoire sur la société.

L'URSS a tout de même payé le prix fort lors de la Seconde guerre mondiale...
Les célébrations du 9 mai en tant que telles sont parfaitement légitimes, vu les choses terribles que les Russes ont endurées durant la guerre.

«C'est son utilisation par Poutine pour célébrer sa guerre qui est le véritable scandale»

En Occident aussi, on célèbre des évènements du passé, mais cela fait partie d'une discussion publique et peut être soumis à des critiques. On est à des années-lumière de ce qu'il se passe en Russie.

En 2022, Poutine estimait lors du 9 mai que la Russie soviétique s'était battue quasiment seule contre les nazis. Que pensez-vous de cette affirmation?
C'est un genre de mystification. Il est certain que l'URSS était seule à l'Est, mais les Alliés ont fourni des efforts conséquents. Le Débarquement, c'était le début de la fin pour Hitler. Ce qui est certain, c'est que les pertes humaines ont été astronomiques en URSS et que le pays a payé le prix du sang. Elle se présente comme un pays agressé par les nazis quasiment mis à genoux, qui s'est remis debout pour faire face à son destin. Mais il faut aussi rappeler que les pertes russes sont aussi en bonne partie la faute de Staline, qui a purgé les officiers de l'armée rouge en 1938 et négligé son armée au début de la guerre. La Russie de 1941 aurait pu éviter de nombreuses pertes.

La Russie poutinienne a d'ailleurs réhabilité Staline en ce sens. Qu'en pensez-vous?
Staline était un boucher. Il a utilisé les Russes comme de la chair à canon, ses généraux envoyaient les hommes à la mort par milliers face aux mitrailleuses et l'artillerie allemande. Les Américains n'ont pas perdu autant de soldats, car ils refusaient de les envoyer à la mort sans réfléchir. Et puis, il a collaboré avec les nazis en 1939 et a envahi la Pologne, massacré les officiers polonais à Katyn.

«Tout cela, on ne peut pas le dire en Russie»

Il faudra un autre régime, après Poutine, dans lequel on pourra célébrer le 9 mai tout en étant transparent sur les crimes de Staline. Mais aussi sur ceux de la Russie de Poutine.

On évoque aussi le matériel militaire justement envoyé à l'URSS... par les Américains.
Cette aide était importante. Les Russes ont pu construire des usines en Sibérie en utilisant des matières premières américaines pour construire leurs armes. A l'époque, les Soviétiques ont reçu l'équivalent de 11 milliards de dollars de bien et matériels divers, y compris des véhicules, des dizaines de milliers de camions, mais aussi des chars et des avions en grand nombre. En ce sens, les Russes ont pu reprendre le dessus grâce aux Américains. Même s'ils ont payé le prix fort et celui du sang avec leurs hommes.

L'Ukraine a eu la peau du «char tortue» russe
Video: watson
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