Mikheil Saakashvili est arrivé au pouvoir en Géorgie après avoir renversé le président Edouard Chevardnadze lors de la Révolution des Roses en 2003. Pendant sa présidence, il a introduit une série de réformes importantes en Géorgie et s'est éloigné de l'influence russe. Agé de 56 ans, il se trouve aujourd'hui en Géorgie où plusieurs procédures pénales ont été engagées contre lui et où son état de santé s'est tellement détérioré qu'il est désormais hospitalisé sous surveillance stricte.
Cependant, Saakashvili reste en contact étroit avec le public et est informé des actualités locales et mondiales. CH Media (dont watson fait partie), par l'intermédiaire de son avocat, lui a posé des questions sur les manifestations actuelles en Géorgie, l'influence de la Russie et ses rencontres avec Vladimir Poutine.
Votre avocat dit que pendant votre détention à la clinique de Tbilissi, on vous a diagnostiqué 36 maladies. Vous avez souffert d'empoisonnements et d'une perte de poids importante. Comment êtes-vous traité par le personnel médical et comment réagissent-ils à vos plaintes?
Edouard Chevardnadze: Les décisions les plus importantes me concernant ne sont pas prises par le personnel médical, mais par le personnel de sécurité. Ce n'est pas seulement moi qui le dis, mais aussi la conclusion du principal organe européen de lutte contre la torture (référence: le comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants).
Après votre empoisonnement, des toxicologues américains ont trouvé des traces de mercure, d'arsenic et de baryum dans votre corps. A votre avis, qui a organisé ces tentatives d'assassinat contre vous et pourquoi?
Cela ressemble beaucoup à un empoisonnement à la manière russe. J'étais en contact avec Vladimir Kara-Murza, qui est actuellement en prison en Russie, et à ce que je sache, il avait les mêmes symptômes que moi. Selon les services secrets ukrainiens, mon emprisonnement a été ordonné par Moscou, donc la clé de ma prison se trouve là-bas.
Vous êtes retourné en Géorgie en septembre 2021 et avez été immédiatement arrêté. En janvier de la même année, Alexei Navalny est retourné en Russie, ce qui a conduit à son assassinat dans une colonie. Quelles conclusions avez-vous tirées pour vous-même après sa mort?
Vladimir Poutine a menacé publiquement de me tuer à plusieurs reprises.
Le projet de loi adopté par le parlement géorgien sur «la transparence de l'influence étrangère» ressemble fortement à la loi russe sur les agents étrangers. Que veut accomplir le parti au pouvoir, le Rêve géorgien, avec ce projet de loi?
Je considère l'introduction et l'adoption de cette loi comme une opération conjointe du Kremlin et du dirigeant de facto de la Géorgie, l'oligarque russe Bidzina Ivanichvili, qui, bien qu'il n'occupe aucun poste officiel, ne cache pas le fait qu'il prend toutes les décisions. Je crois que les Russes voulaient provoquer des manifestations et se venger de la Révolution des Roses de 2003 en Géorgie, du Maidan de 2004 et de 2014 en Ukraine. Ivanishvili a clairement exprimé ses objectifs: retarder et épuiser le mouvement de protestation et voler à nouveau les élections parlementaires d'octobre. Mais cette fois, je pense qu'il s'est gravement trompé.
Vous avez déclaré à plusieurs reprises que le fondateur du parti Rêve géorgien, l'ancien Premier ministre géorgien et oligarque Bidzina Ivanishvili, entretient des liens étroits avec le Kremlin. Quelle fonction remplit-il pour Moscou?
Il est arrivé au pouvoir après avoir reçu deux milliards de dollars de Russie. Les élections de l'époque ont été accompagnées de provocations massives et de tentatives d'ingérence russes. Après sa victoire électorale, Ivanishvili a stoppé de nombreux projets d'infrastructure, par exemple la construction de deux ports maritimes qui mettaient directement en question le monopole russe sur la mer Noire.
Beaucoup d'entre eux ont été tués en Géorgie et les auteurs n'ont jamais été retrouvés ou poursuivis par les autorités géorgiennes.
Les manifestations de milliers de personnes à Tbilissi ont montré que la population géorgienne est contre les lois répressives. Les élections parlementaires en Géorgie se tiendront en octobre. Le parti Rêve géorgien peut-il perdre sa position dominante au parlement cette année?
En Géorgie, les résultats des élections ont déjà été falsifiés trois fois ces dernières années, mais cette fois, c'est différent. Le cercle des oligarques s'est considérablement restreint, et jusqu'à 70% des Géorgiens, en particulier ceux qui vivent dans les villes, rejettent fermement le règne d'Ivanishvili.
Et comme Ivanishvili possède un tiers du PIB géorgien et contrôle entièrement le budget de l'Etat, il essaiera à nouveau de voler les élections. Mais cette fois, ce ne sera peut-être pas possible.
En tant que président de la Géorgie, vous avez considérablement réduit l'ampleur de la corruption dans le pays. D'après vos observations, où en est la situation aujourd'hui?
La corruption revient en Géorgie, sous forme de dépenses publiques gonflées et pas la création de conditions favorables pour certaines entreprises. De plus, de nombreuses transactions commerciales de valeur intermédiaire sont conclues avec des Russes.
Ivanishvili a récemment réussi à annuler la plupart des réformes que nous avons mises en place, mais les gens qui ont vu comment il était possible de vivre dans un système normal ne veulent plus retourner à la réalité post-soviétique.
A l'été 2023, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a demandé que vous soyez transféré sur le territoire ukrainien pour un traitement ultérieur, mais cette demande a été refusée. Pourquoi les autorités géorgiennes ne veulent-elles pas que vous vous retrouviez en Ukraine?
A bien des égards, je suis un symbole des réformes qui ont arraché toute la région du bourbier post-soviétique. Par conséquent, Moscou a un intérêt immédiat à me maintenir en prison ou même à me détruire.
La guerre en Ukraine dure depuis plus de deux ans maintenant, il est évident que Poutine penche pour une guerre de longue durée. Pensez-vous que l'Ukraine est capable non seulement de survivre, mais aussi de récupérer les territoires occupés par les Russes?
Je ne pense pas que Poutine veuille une guerre prolongée. Je pense que ses ressources s'épuisent rapidement, tandis que le monde augmente progressivement son soutien à l'Ukraine. A un moment donné, le régime russe s'effondrera.
Pensez-vous que les pays européens et les Etats-Unis aident suffisamment l'Ukraine?
Cette aide n'est pas suffisante. L'Ukraine a besoin de beaucoup plus de défense aérienne et d'armes à longue portée.
En tant que président de la Géorgie, vous avez rencontré Poutine à plusieurs reprises. Quelle impression vous a-t-il fait?
J'ai eu plus de trente rencontres personnelles avec Poutine, dont certaines ont duré des heures. Mon sentiment est que le mensonge est son outil principal et qu'il ne me parle pas, mais tente de me recruter.
Quelles sont les faiblesses de Poutine et que doit-il se passer pour que le poutinisme s'effondre?
Poutine est totalement dépassé lors de situations impromptues. Une véritable pression économique et d'autres pressions acharnées sur lui, y compris sur le champ de bataille, devraient le faire s'effondrer.
(Traduit de l'allemand par Tim Boekholt)