L'accord de quinze milliards pour l'armée et l'Ukraine était l'une des propositions les plus audacieuses de ces dernières années au Parlement fédéral. Les camps de gauche et centre avaient tricoté l'accord: l'armée devait recevoir 10,1 milliards de francs et 5 milliards devaient être versés à l'Ukraine pour l'entretien des infrastructures critiques – le tout sans tenir compte du sacro-saint frein à l'endettement tout helvétique.
Un pactole pour la droite et un pactole pour la gauche. Un grand compromis, donc. Au sein de la Commission de la politique de sécurité du Conseil des Etats, le deal a trouvé une majorité. Mais de nombreux parlementaires sont restés sceptiques une fois la proposition entre les mains. Lundi, le Conseil des Etats a définitivement enterré l'accord, rejetant la motion par 28 voix contre 15 et 2 abstentions.
La conseillère aux Etats Marianne Binder (C/AG) est considérée comme l'instigatrice de cette solution. Une fois de plus, hier, avant le vote, elle a rappelé que l'Ukraine défend les valeurs et l'idée d'une Europe libre:
Mais apparemment, la majorité des sénateurs a accordé plus d'importance au respect du frein à l'endettement qu'au réarmement urgent de l'armée.
En fait, le débat a surtout porté sur la question de savoir si la création du fonds de 15 milliards, qui contourne le frein à l'endettement, était conforme à la Constitution et à la loi. Cet outil exige que les recettes et les dépenses de la Confédération soient équilibrées. La Constitution stipule néanmoins que des exceptions sont autorisées dans des situations extraordinaires. La loi sur les finances publiques concrétise le fait que des dépenses extraordinaires sont autorisées en cas de «développements extraordinaires et non gérables par la Confédération».
👉Suivez en direct la guerre contre l'Ukraine👈
C'est autour de cette question que le Conseil des Etats a tenu un séminaire de politique financière, comme l'a constaté la ministre de la Défense Viola Amherd, qui comptait sur les milliards. Pour la majorité, il était clair qu'une guerre en Europe était certes exceptionnelle et non contrôlable, mais que les conséquences pour la Suisse l'étaient, comme l'a déclaré le conseiller aux Etats radical uranais Josef Dittli. Il estime que la Confédération peut réagir de manière adéquate malgré le frein à l'endettement: «Nous pouvons rapidement injecter plus d'argent dans l'armée afin de la rendre apte à la défense. C'est uniquement une question de volonté politique».
L'UDC, le PLR et la majorité des conseillers aux Etats du Centre ne voulaient rien savoir du deal. Le problème du financement de l'armée n'était cependant pas résolu. En effet, le Conseil des Etats a également décidé mardi, par 27 voix contre 17, que les dépenses de l'armée devraient être augmentées à un pour cent du produit intérieur brut (PIB) d'ici 2030 déjà.
Dans le cadre de l'examen du message sur l'armée, le Conseil des Etats a décidé que l'enveloppe financière pour les années 2025 et 2028 devait être de 29,8 milliards de francs. La présidente de la commission Andrea Gmür (C/LU) a averti que le temps pressait et qu'il serait négligent de ne pas tout entreprendre pour se préparer au pire des cas. «La sécurité de notre pays est la priorité absolue». Le plafond de dépenses est un signal politique important, car il permet de fixer une limite supérieure. Mais l'argent n'est à chaque fois alloué que dans le cadre du budget.
Le Conseil fédéral prévoyait 25,8 milliards. En raison de la sombre situation financière de la Confédération, il ne veut atteindre l'objectif de 1% du PIB que d'ici 2035. Mais même cette extension plus lente n'est pas financée réciproquement: il manquera environ trois à quatre milliards de francs à la Confédération en 2030. Un groupe d'experts de la Confédération cherche des possibilités d'économies jusqu'à la fin de l'été.
D'où proviendra donc l'argent nécessaire à une extension plus rapide? Le Conseil des Etats a adopté une proposition du glaronais Benjamin Mühlemann (PLR), qui a été déposée à la dernière minute. Selon cette dernière, la moitié, soit deux milliards de francs, devrait être économisée dans la coopération internationale au développement (CI). L'armée elle-même doit économiser 15% dans son propre domaine et tous les autres départements doivent économiser 35%. Par exemple, dans celui du personnel ou des «décisions financières récurrentes de grande portée».
Le fait que cette proposition d'économie ait été acceptée a été quelque peu surprenant. En effet, lors du débat sur l'accord avec l'Ukraine, des conseillers aux Etats du Centre comme Beat Rieder, Daniel Fässler ou encore Benedikt Würth ont clairement indiqué qu'il ne suffisait pas d'économiser pour financer les coûts supplémentaires de l'armée. Rieder a rappelé que plusieurs idées étaient sur la table. Un groupe autour du conseiller aux Etats du centre Peter Hegglin a déjà évoqué une TVA temporaire, le conseiller national PLR Simon Michel souhaiterait une augmentation temporaire des impôts sur les entreprises, le conseiller aux Etats UDC Werner Salzmann pensait à un emprunt de défense. Benedikt Würth s'est montré pathétique et confiant:
La proposition d'économie du Conseil des Etats doit encore passer le cap du Conseil national. Et même dans ce cas, il ne s'agit que d'indications au Conseil fédéral sur les domaines où il pourrait faire des économies, a déclaré l'auteur Mühlemann. Le débat sur l'ampleur et la rapidité de l'augmentation des dépenses de l'armée va donc se poursuivre.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci