Vladimir Poutine a un goût prononcé pour les chiffres, avec une préférence particulière pour ceux disposant d'un aspect historique. Ce n'est pas un secret, le président russe aime les commémorations, et ses actions politiques sont souvent liées à des dates qui revêtent une importance particulière pour lui.
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Ce dimanche, le maître du Kremlin semble avoir ajouté une nouvelle action pleine de symboliques à son répertoire: il a rencontré le dirigeant biélorusse Alexandre Loukachenko, à Saint-Pétersbourg.
Ce qui est remarquable, ce n'est pas seulement ce que Poutine y a dit, mais aussi les circonstances dans lesquelles il l'a fait. Il y a d'abord le lieu: Saint-Pétersbourg, la ville natale de Poutine. C'est ici qu'il a accédé pour la première fois au pouvoir politique en tant qu'adjoint au maire dans les années 1990.
C'est ici aussi que Poutine a fait la connaissance d'Evgueni Prigojine. C'est à Saint-Pétersbourg que l'oligarque millionnaire et chef de la troupe de mercenaires Wagner a vécu son ascension de délinquant criminel (dont neuf années en prison pour divers délits violents) à entrepreneur influent.
Il y a quelques jours seulement, l'opposant russe Ilia Ponomarev a raconté comment Prigojine aurait à l'époque servi d'intermédiaire entre le politicien local qu'était Poutine et des membres influents de la mafia de Saint-Pétersbourg. Une alliance qui, selon Ponomarev, aurait apparemment profité à tous les participants.
Depuis l'échec de la révolte des mercenaires de Wagner fin juin 2023, de nombreux observateurs, et pas seulement en Russie, se demandent ce qu'il en est des relations de Poutine avec son ancien protégé Prigojine. Nombreux sont ceux qui supposent que la mutinerie d'un jour et demi en juin n'était que le prélude à d'autres tentatives de contester le pouvoir de Poutine. L'un des plus éminents représentants de cette thèse est le blogueur militaire et criminel de guerre condamné Igor Girkin. Poutine l'a fait arrêter il y a quelques jours.
Poutine est-il donc affecté par ces spéculations? Se laisse-t-il mener par le bout du nez par quelqu'un comme Prigojine? Le chef du Kremlin, âgé de 71 ans, a probablement cherché à couper court à ces suppositions par sa présence à Saint-Pétersbourg. C'est ce que laisse entendre, entre autres, le think tank américain Institute for the Study of War (ISW) dans sa dernière analyse de la situation.
Le fait que Poutine ait emmené son homologue biélorusse Alexandre Loukachenko visiter la forteresse de Kronstadt près de Saint-Pétersbourg est perçu par les experts politiques de l'ISW comme un geste clair de la détermination de Poutine à exercer le pouvoir. Après tout, c'est ici que les bolcheviks, sous la direction de Lénine, ont réprimé la fameuse révolte des marins de Kronstadt et se sont ainsi assurés le pouvoir dans l'escalade de la guerre civile que connut l'Union soviétique au lendemain de la Première Guerre mondiale. C'était en 1921, il y a donc environ cent ans.
Poutine aime ces parallèles historiques. Il considère que lui et son pays font partie de cette tradition. L'autocrate fait beaucoup pour que les Russes gardent un souvenir impérissable de l'Etat répressif communiste et surtout de son dirigeant le plus cruel, Joseph Staline. En se rendant à Saint-Pétersbourg, il envoie manifestement un signal à tous ses adversaires présumés, leur montrant qu'il est tout aussi désireux de tenir fermement les rênes du pouvoir – comme Staline autrefois.
En outre, une autre circonstance de la rencontre avec Loukachenko peut être lue comme un geste symbolique. En effet, outre le gouverneur de Saint-Pétersbourg, Alexandre Beglov, Ksenia Choïgou, la fille du ministre de la Défense controversé, Sergueï Choïgou, était aux côtés de Poutine. Depuis le début de la guerre en Ukraine, celui-ci est au centre des critiques de nombreux blogueurs militaires, qui lui reprochent de graves manquements en matière de stratégie militaire. Choïgou compte également parmi les plus grands adversaires de Prigojine.
Prigojine aurait lancé la «marche sur Moscou», c'est-à-dire le soulèvement des mercenaires de Wagner, avant tout pour contraindre Poutine à remplacer le commandement militaire. Au cours des mois précédents, l'oligarque s'en était pris violemment à Choïgou dans des messages vidéo publiés presque quotidiennement.
Les observateurs politiques estiment que Prigojine a surestimé son influence sur Poutine. Le dirigeant autoritaire du Kremlin a certes déjà fait renvoyer plusieurs commandants de haut rang de l'armée, mais il continue de s'accrocher à Choïgou. L'apparition à Saint-Pétersbourg devrait le souligner une fois de plus.
(cc)
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci