Les blagues les plus courtes sont-elles les meilleures? A Guillaume Meurice et à la direction de France Inter d'en décider. Dans les faits, la vanne de l'humoriste français, balancée en direct le 29 octobre 2023 et dans laquelle il comparait le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou à une «sorte de nazi sans prépuce», est en passe de devenir la plus longue de l'histoire.
Voilà plus de six mois que ce petit moment d'antenne hante les couloirs de Radio France et déchire le pays sur la difficile discussion de la liberté d'expression. Mais alors que l'on pensait l'affaire dégonflée, le 3 mai dernier, le chroniqueur annonçait avoir été «suspendu» de l'antenne et «convoqué à un entretien préalable en vue d'une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à la rupture anticipée de (mon] contrat à durée déterminée pour faute grave».
Une nouvelle passe d'armes qui intervient quelques jours après que Meurice a réitéré sa plaisanterie à l'antenne.
Il me semble que c’est le bon moment pour réécouter Guillaume Meurice. pic.twitter.com/XwuvDoylzP
— Marcel (@realmarcel1) May 5, 2024
Une seule vanne et déjà une grosse dizaine d'épisodes. On vous rafraîchit la mémoire?
Deux jours après l'émission du 29 octobre, Adèle Van Reeth, directrice de France Inter, rejoignait le «malaise exprimé», en affirmant qu'une «limite a été franchie. Non pas celle du droit, mais celle du respect et de la dignité». Le 1er novembre, la patronne de l'émission Le grand dimanche soir prenait la parole pour s'avouer «profondément navrée» que ses auditeurs se soient «sentis blessés». Charline Vanhoenacker, tout en défendant son chroniqueur, reconnaissait aussi que les crispations géopolitiques avaient été «mal jaugées».
Le 6 novembre, la présidente de Radio France convoquera Guillaume Meurice pour lui flanquer un «avertissement», qu'il contestera jusqu'aux Prud'hommes.
Le 23 novembre, enseveli lui aussi sous les grognes des auditeurs, le gendarme de l'audiovisuel avait adressé une «mise en garde» à France Inter. Menacé de mort, l'humoriste sera aussi accusé «d'antisémitisme» et notamment par l'Organisation juive européenne. Une plainte classée sans suite le 22 avril dernier.
Alors, simplement «irrévérencieux» ou carrément «irresponsable», le célèbre «humoriste d'investigation»? Entre ces nombreux épisodes officiels, détracteurs et partisans, politiques et internautes, humoristes et personnalités ont alimenté cette bagarre émotionnelle en flux tendu. Un débat qui, dès la première évocation du «nazi sans prépuce», reléguait d'un seul coup le conflit israélo-palestinien au rôle de figurant, dans ce qui est devenu «l'affaire Guillaume Meurice vs. France Inter».
Six mois après les premiers missiles, une tendance semble se dessiner: un humoriste de «gauche militante», face un service public qui se rapprocherait «dangereusement du pouvoir». Alors que les soutiens du chroniqueur taxent la direction de la radio de «censeurs macronistes», ses détracteurs refusent de payer pour une «idéologie», à l'image du député de droite François-Xavier Bellamy, interrogé sur France Info, le 3 mai au soir.
Preuve que, dans ce récit, Benjamin Netanyahou est passé au second plan, la dernière émission du Grand dimanche soir s'est transformée en hommage généralisé au collègue suspendu, car «la solidarité, ça existe encore, et c’est la meilleure défense», dira Charline Vanhoenacker, dans un manifeste qui sent bon la guerre intestine:
Si le l'humoriste Aymeric Lompret a armé sa chronique pour «expliquer la blague à la direction», c'est allé jusqu'à la démission en direct de l'humoriste Djamil Le Shlag, qui avouera ne plus se sentir dans son «safe space»: «Guillaume, c'est l'inverse d'Eric Zemmour qui, lui, est multirécidiviste condamné, mais sa chaîne le soutenait.
Après Djamil le Shlag, c'est Aymeric Lompret qui a utilisé sa chronique pour défendre Guillaume Meurice et ridiculiser la direction de Radio France ! pic.twitter.com/dLsoMjHI67
— Cerveaux non disponibles (@CerveauxNon) May 6, 2024
Enfin, histoire de conclure sur le même ton, la chanteuse GiedRé va, elle aussi, dédier son temps d'antenne à la décision de la patronne Adèle Van Reeth.
En réitérant sa fronde zizi-nazi au sujet du premier ministre israélien, Guillaume Meurice a semblé vouloir nous dire que la hache de guerre n'a jamais été enterrée. Alors que la direction de la radio brandissait l'idée qu'une blague qui passe aussi mal auprès des auditeurs est a reconsidérer, ses chroniqueurs sont bien décidés à défendre celle du tout-à-l'humour. Mais l'endurance de cette bataille suggère qu'elle est peut-être plus profonde que l'éternelle question qui consiste à se demander si «on peut rire de tout».
Depuis quelques jours, plusieurs voix de France Inter se plaignent d'avoir appris la suppression de leur émission. Citée par Le Monde, une productrice d'un rendez-vous récurrent s'est montrée peu rassurée: «La convocation de Guillaume nous a d’autant plus fait l’effet d’un coup de massue que les modifications de la grille pour 2025, qui nous arrivaient au fil de l’eau depuis quelques jours, nous inquiétaient déjà beaucoup».
En vrac, La Librairie francophone, le portrait de Charlotte Perry, C’est bientôt demain d’Antoine Chao ou encore la chronique Le Jour où d'Anaëlle Verzaux, ne seront plus à l'antenne la saison prochaine. Pour la direction, ce sont des décisions «économiques», mais aussi un «souci de lisibilité de la grille». Des arguments bottés en touche par la rédaction de la station, solidaire avec Guillaume Meurice, qui accuse les chefs «de gommer les aspérités».
Alors que l'équipe de Charline Vanhoenacker avait déjà gueulé quand l'émission fut reléguée au dimanche soir, cette nouvelle formule est également menacée de coupe budgétaire. Pourquoi? «Parce que l’émission nous coûte l’équivalent de trois quotidiennes», répondra France Inter au Monde.
Vous trouvez que l'atmosphère est tendue? Le mot est faible. Car n'oublions pas que cette «guerre» intervient en plein débat sur le «pluralisme» des chaînes de télévision, que l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique a été sommée d'imposer, sous la pression d'un Conseil d’Etat qui a récemment fait défiler les stars en audition. De Cyril Hanouna à Yann Barthès.
Guillaume Meurice, lui, devra patienter jusqu'au 16 mai pour connaître son sort. Deux semaines, c'est long. Surtout quand les coups de sang s'organisent en marge des décisions managériales, sur les réseaux sociaux et à une vitesse bien plus soutenue que l'agenda de tout département des ressources humaines.
Alors, les blagues les plus courtes sont-elles les meilleures? Joker. Une chose est sûre, celle de Meurice a offert les six mois les moins rigolos de la radio publique.