Ce n'est probablement pas encore le début de la contre-offensive tant attendue, mais les Ukrainiens ont reconquis pour la première fois depuis des mois une zone plus vaste et militairement importante près de Bakhmout. Le succès de l'attaque ne change pour l'instant rien à la situation dans la ville elle-même. Selon les estimations, celle-ci est à plus de 90% entre les mains du groupe russe Wagner.
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Avec cette avancée, l'armée ukrainienne tente de faire d'une pierre deux coups. D'une part, elle veut attaquer le flanc sud des mercenaires de Wagner. Celui-ci est tenu par des soldats réguliers de l'armée russe. D'autre part, les Ukrainiens espèrent désengorger l'importante route goudronnée qui relie Bakhmout à l'arrière-pays occidental, et faciliter ainsi le ravitaillement de la ville, toujours âprement disputée.
Pour l'instant, les positions russes les plus proches de ce cordon ombilical sont à moins de deux kilomètres. Les véhicules risquent donc d'être pris pour cible. Mais si les Ukrainiens parvenaient à tailler une grosse brèche dans le flanc sud russe, la route serait à nouveau largement praticable.
Pour comprendre la situation, il faut connaître la topographie de la région. A quelques kilomètres à l'ouest de Bakhmout se trouve la petite ville de Tchassiv Yar. Entre les deux localités s'étire le canal d'environ 130 kilomètres de long qui amène l'eau potable de la rivière Donetsk du nord au sud, entre autres jusqu'à Donetsk, la capitale de l'oblast du même nom, sous contrôle russe.
Comme Tchassiv Yar se trouve sur une colline, l'eau devait ici être pompée par deux épais pipelines au-dessus de la colline. Mais la guerre et la destruction des lignes à haute tension ont fait que l'eau ne coule plus depuis longtemps dans les conduites et dans le canal. Le cours d'eau artificiel n'en reste pas moins un obstacle important, et au sud de Bakhmout, le front longeait jusqu'à présent le canal sur près de 20 kilomètres.
A environ sept kilomètres au sud-est de Tchassiv Yar, les Russes ont établi depuis un certain temps une tête de pont sur la rive occidentale du canal. Ils menacent ainsi non seulement Tchassiv Yar, mais aussi l'importante base de ravitaillement de Kostiantiniwka et la route goudronnée menant de ce point à Bakhmout. Dimanche, deux avions de combat ukrainiens sont apparus à basse altitude au-dessus de Kostiantiniwka.
Et ils ont tiré des missiles sur les positions russes près de la tête de pont. Cela n'aurait rien eu d'anormal en soi si l'artillerie ukrainienne n'avait pas à nouveau bombardé violemment la tête de pont dans la nuit de dimanche à lundi. Dans la matinée, des chars de combat et des véhicules blindés de combat d'infanterie ont progressé vers le canal.
Dans un village situé non loin des combats, un véhicule blindé de transport de troupes de type YPR-765 arrive. Le blindé à chenilles porte encore les couleurs de camouflage de l'armée néerlandaise. Quelques soldats sales et épuisés en sortent et racontent ce qu'il s'est passé. «Nous faisons partie du groupe d'assaut, nous avons chassé les Russes du canal», raconte l'un d'eux. Il ajoute:
Est-ce simplement de la propagande de guerre? Plus tard, une vidéo filmée par un drone de la troisième brigade d'assaut ukrainienne, l'ancien régiment Azov, prouve que les soldats russes ont fui en masse devant les chars ukrainiens. De plus, dans un de ses accès de colère, le chef de Wagner, Prigojine, a accusé les soldats russes d'avoir abandonné leurs positions le long du canal.
Pour s'emparer de cette tête de pont, ses mercenaires auraient auparavant sacrifié 500 combattants. En accusant l'armée régulière, Prigojine a poursuivi ses diatribes contre les unités «incompétentes» du ministère russe de la Défense.
Sur la place du village, le char de transport néerlandais est entre-temps chassé par une vieille femme habillée de couleurs vives. Elle crie aux soldats de dégager. Sa propriété, située juste à côté du char à chenilles garé pour une courte durée, a déjà été touchée par un obus russe il y a deux jours. Elle a ensuite dû réparer le toit de sa maison et elle ne veut pas que cela se reproduise.
A quelques pas de là, deux ambulances attendent leur tour. Un autre char de transport arrive du front et amène un blessé léger. Les ambulanciers l'examinent, mais il ne saigne pas. Néanmoins, les secouristes décident rapidement d'emmener l'homme à l'hôpital. Un peu plus loin, une salve de missiles russes Grad s'abat sur une colline.
Bien qu'il pleuve encore de temps en temps, la saison des pluies est terminée et le sol est en grande partie sec. Les chars de combat ukrainiens foncent donc à travers les champs, reviennent du combat et se dirigent vers la colline où se trouve la route goudronnée menant à Bakhmout. Les duels d'artillerie se poursuivent, mais les Ukrainiens semblent avoir réussi à établir une tête de pont sur la rive orientale du canal.
Derrière se trouve à nouveau une chaîne de collines sur laquelle les Russes se sont repliés. Quoi qu'il en soit, cette avancée est un pas important vers la levée de l'emprise russe sur Bakhmout. Sur le chemin du retour, nous voyons plusieurs véhicules de transport de troupes en panne sur le bord de la route. L'un d'entre eux a toute sa chaîne droite arrachée.
Les combats se sont poursuivis mardi et mercredi. L'ouest de Bakhmout est toujours aux mains des Ukrainiens. Près de Tchassiv Yar, le journaliste français Arman Soldin a été pris sous le feu de l'artillerie russe alors qu'il se trouvait avec des soldats ukrainiens et d'autres reporters.
Sur Twitter, le président français Macron écrit à propos du journaliste: «Avec courage, il est resté sur le front dès les premières heures du conflit pour établir les faits. Pour nous informer. Nous partageons la douleur de ses proches et de tous ses collègues».
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)