Il y a un an presque jour pour jour, le milliardaire russe Roman Abramovich cédait son club adoré de Chelsea pour la modique somme de 4,97 milliards d’euros. Depuis, l'oligarque, sous sanctions britanniques, suisses et européennes, se consolerait en Turquie, où il aurait passé la majeure partie de ces douze derniers mois, d’après le Daily Mirror.
Son objectif final serait de s’établir à Istanbul, où il a acquis une jolie demeure à quelque 9,5 millions d’euros - une bagatelle, comparé à ses 9 milliards de dollars de fortune, selon Forbes).
Il existe toutefois un autre pays où l'homme d'affaires pourrait poser ses valises dès demain: le Portugal. Outre un passeport russe et israélien, Roman Abramovich peut se targuer de détenir la nationalité portugaise. Un sésame bien commode, s'il lui venait un jour l'idée de résider à vie dans l'Union européenne - ou de contester les sanctions européennes qui lui sont imposées.
En 2018, l'Ukraine n'a pas encore été agressée par la Russie, mais le climat est déjà hostile pour les oligarques gênants. Point d'orgue des tensions: la tentative d'empoisonnement de l'ancien espion Sergueï Skripal, à Salisbury, au mois de mars, qui met sérieusement à mal les relations du gouvernement britannique avec Moscou.
Après mûre réflexion, Roman Abramovich préfère donc retirer sa demande de renouvellement de visa au Royaume-Uni, dont l'original vient d'expirer. Il est bien décidé à dénicher une nouvelle résidence en Europe. La Suisse, pourquoi pas?
Faute de pouvoir élire domicile à Verbier, sur décision du tribunal de Lausanne, qui estime que la présence de l'oligarque constituerait un risque pour la réputation - voire la sécurité - de la Suisse, le richissime oligarque est bien forcé d'aller voir ailleurs.
Ça tombe bien. Trois ans plus tôt, le Portugal vient justement d'ouvrir la voie vers une naturalisation facilitée. Pour obtenir le précieux «visa doré», il suffit de remplir deux conditions: afficher un casier judiciaire vierge et la preuve de son ascendance sépharade, les Juifs d'origine espagnole et portugaise expulsés de la péninsule ibérique pendant l'Inquisition, au 15e siècle.
Alors oui, plus facile à dire qu'à faire. Heureusement Abramovich a le soutien d'un rabbin éminent: Alexander Boroda, le chef de la Fédération des communautés juives de Russie, qui se charge d'appuyer sa candidature.
Le 16 juillet 2020, un candidat portant le nom hébreu de «Nachman ben Aharon» fait donc parvenir un mail, en anglais, à la commune de Porto.
En guise de pièces jointes, un certificat de naissance, un fichier PDF intitulé «Lettre du rabbin», des copies des passeports russe et israélien, ainsi qu'un document Word intitulé «Roman Abaramovich [sic] Arbre généalogique».
1 heure 53 après réception, quelqu'un répond:
Quatre jours plus tard, le compte de la communauté juive de Porto reçoit également un paiement SWIFT de 250 euros, de la part des banquiers suisses d'UBS de Roman Abramovich, en guise de «contribution caritative». La somme correspond aux frais de traitement standard. Le dossier du candidat à la naturalisation est immédiatement transmis au backoffice de Porto pour être traité.
Quelques mois plus tard, en février 2021, un membre du conseil d'administration de Porto se montre un peu pressant: pour des raisons d'«intérêt national», aussi importantes que «la diplomatie juive portugaise dans le monde», «le redressement de l'économie nationale» et le «prestige des institutions de l'Etat portugais», le traitement de la demande d'Abramovich doit être considéré comme «urgent».
Selon Vanity Fair, les prétendants à la «naissance citoyenne naturalisée» doivent s'attendre à une procédure de 24 à 29 mois. A compter de cette communication, Abramovich, lui, n'aura attendu que neuf semaines. Le 30 avril 2021, l'oligarque qui gravite dans l’orbite de Vladimir Poutine, possède officiellement la citoyenneté européenne.
Malheureuse coïncidence s'il en est: quinze jours plus tard, Daniel Litvak, grand rabbin de la communauté juive de Porto, sera arrêté pour «trafic d'influence, corruption active, falsification de documents, blanchiment d'argent, fraude fiscale qualifiée et association de malfaiteurs», rappelle le Guardian.
La nouvelle citoyenneté d'Abramovich passera sous le radar des médias pendant quelques mois. Ce n'est qu'en décembre 2021, peu de temps après que la presse portugaise l'ait confirmée pour la première fois, que le chef de l'opposition russe Alexeï Navalny attire l'attention du monde sur la question.
Des allégations «injustes» aussitôt balayées par le ministre portugais des Affaires étrangères, lors d'une conférence de presse. «L'idée que les employés du secteur public portugais portent des valises d'argent est insultante», a dénoncé Santos Silva.
N'en déplaise au ministre, selon des politiciens portugais, anciens et actuels, interrogés ces derniers mois par Vanity Fair, l'acquisition rapide du visa européen par Roman Abramovich aurait causé quelques embarras aux autorités de sa nouvelle patrie.
Dans la foulée de la guerre en Ukraine et des sanctions européennes, le gouvernement portugais a admis que Roman Abramovich ne perdrait pas sa nationalité portugaise. Il ne pourra pas non plus être empêché de se rendre au Portugal.