Dans le delta du Danube en Roumanie, juste en face de l'Ukraine, le discours de George Simion, le candidat nationaliste favori du second tour de la présidentielle dimanche, plaît: stop à l'aide à Kiev, priorité aux Roumains.
«Nous voulons quelqu'un qui défende nos intérêts», lance Lavinel Florea. Cet homme barbu de 39 ans tient une maison d'hôtes aux couleurs blanche et bleue dans la commune de Murighiol, 3000 habitants, à une dizaine de kilomètres à peine de la frontière.
Et il adore George Simion, «un jeune patriote voulant faire bouger les choses», comme de nombreux autres électeurs de la région qui lui ont accordé son plus beau score national: quelque 50%, soit 10 points de plus que la moyenne du pays.
Si l'ouest du continent s'inquiète d'un changement de cap de la Roumanie, loyal membre de l'UE et de l'Otan, Lavinel Florea applaudit le programme de son candidat: couper l'aide militaire à l'Ukraine, obtenir une compensation financière pour l'assistance apportée jusqu'ici et adopter une position de «neutralité». Idem pour son soutien aux agriculteurs roumains, qui se sentent lésés par les avantages accordés par Bruxelles à leurs concurrents ukrainiens.
Lui-même a hébergé au début du conflit des dizaines de réfugiés ukrainiens mais il raconte avoir été déçu par leur comportement, les jugeant trop choyés par les autorités et réticents à travailler, alors que le soutien initial de la population s'est estompé en Europe au fil des mois.
Crédité de près de 41% des voix au premier tour le 4 mai, George Simion, 38 ans, fait figure de favori, mais l'écart se resserre avec son rival, le maire pro-européen de Bucarest Nicusor Dan, 55 ans, et le duel s'annonce serré, selon des sondages à manier toutefois avec précaution.
Interdit d'entrée en Ukraine pour ses propos irrédentistes, le souverainiste fan de Donald Trump séduit aussi car il ne fait pas partie des politiciens «corrompus» gouvernant la Roumanie depuis la chute du communisme, avance l'aubergiste. Quand ils ont laissé s'enfoncer le pays dans la dette et l'inflation, la victoire du chef du parti AUR lui redonnerait des couleurs, veut-il croire.
Lavinel Florea, qui a déjà effectué des missions temporaires à l'étranger, envisage de partir définitivement comme foule de ses compatriotes, pour donner de meilleures chances dans la vie à ses deux enfants. «On vivote», confie-t-il, cumulant activités touristiques, pêche et petits emplois dans le BTP pour joindre les deux bouts. Les pêcheurs du coin se lamentent aussi et assistent impuissants au départ de plus en plus de confrères.
Depuis l'offensive russe en Ukraine, les touristes ne se pressent pas dans cette région bucolique du bout du monde, dissuadés par la chute occasionnelle de débris de drones russes et les alertes nocturnes. Leur nombre a diminué de moitié dans les zones proches de la frontière sur les trois dernières années, témoigne Daniel Ilusca, président de la fédération locale des employeurs du secteur.
Certains habitants eux-mêmes avouent leur peur que la Roumanie ne soit entraînée dans le conflit. Un argument de plus pour voter George Simion qui se pose en rempart contre l'attitude va-t-en-guerre de l'UE à ses yeux. Lors d'un débat d'entre-deux-tours, il a même lancé «un appel aux mères de famille pour qu'elles protègent leurs enfants et ne les envoient pas au front».
A lui, on peut faire confiance, affirme Lavinel Florea.
Lavinel Florea poursuit: «Il nous bottera peut-être un peu les fesses», mais tant mieux si c'est pour la bonne cause, conclut-il dans un sourire.