Autrefois connue pour son industrie du coton et de l'acier, Leeds est aujourd'hui une métropole du nord de l'Angleterre qui abrite quatre universités et d'importantes entreprises du secteur financier. A cela s'ajoutent de très nombreux centres commerciaux haut de gamme, destination de plusieurs millions de personnes venues de toute la région.
Ross raffole lui aussi de ces endroits. Pendant des années, cet homme de 39 ans a volé jour après jour dans les magasins de sa ville natale, s'appropriant des marchandises d'une valeur de plusieurs dizaines de milliers de francs. Il agissait parfois sur un coup de tête, parfois de manière ciblée en fonction des commandes de ses receleurs ou des magasins discount qui revendaient immédiatement les biens volés à des prix réduits. L'alcool et les parfums étaient toujours très recherchés, et les boîtes Lego pouvaient parfois coûter 100 livres (soit environ 111 francs):
C'est ainsi que Ross décrit avec décontraction son rôle, avant d'ajouter:
Cette confession spectaculaire sur la chaîne publique BBC met en lumière une épidémie qui frappe de plein fouet le commerce de détail sur l'île. Le dernier rapport annuel de l'association professionnelle BRC dresse un bilan alarmant: environ 45 000 vols sont enregistrés quotidiennement. 1300 fois par jour, des insultes, voire des agressions physiques, sont commises à l'encontre du personnel dans tout le pays. Coût du préjudice pour les magasins concernés? 2 milliards de francs par an.
Comme de nombreux commerçants investissent des sommes importantes — plus d'un milliard de livres au total l'année dernière — dans la sécurité, la vague de criminalité a des répercussions sur les consommateurs: le groupe d'experts CRR a établi un calcul selon lequel chaque ménage du pays doit débourser en moyenne 158 livres (176 CHF) de plus pour ses achats en raison des vols incessants.
Dans de nombreux endroits, les propriétaires de magasins et leurs employés se sentent abandonnés par la police. Selon l'association, ses membres ne signalent qu'un bon tiers des délits. Lors d'un sondage, 60% des personnes interrogées ont jugé le travail de la police «pitoyable à désastreux». La ministre de l'Intérieur Yvette Cooper veut maintenant abroger une loi de la coalition conservatrice-libérale de 2014, selon laquelle les vols d'une valeur inférieure à 200 livres entraînent des peines réduites.
La police du comté de Norfolk, dans l'est de l'Angleterre, est considérée comme un cas particulier. Ses agents élucideraient 46% de tous les vols à l'étalage signalés, rapporte Paul Sanford:
Toutefois, le commissaire de police émet la même plainte que de nombreux commerçants: la justice pénale prend beaucoup trop de temps pour traduire en justice les auteurs identifiés:
Sanford affirme expressément que «dans [s]on domaine», le «seuil de 200 livres» ne joue aucun rôle. En fait, on en parle surtout dans l'agglomération londonienne, dont Scotland Yard est responsable. Là-bas, le taux d'élucidation dans de nombreux districts est inférieur à 10%.
De nombreux propriétaires de magasins à travers le pays sont également agacés par le fait que la police ne se déplace pas lorsqu'un nouveau vol est signalé. Selon la chaîne Coop, c'est le cas dans 40% des délits signalés. Mais il ne faut pas confondre cela avec de l'indifférence, explique le chef de la police: les voleurs sont régulièrement identifiés et arrêtés le jour suivant grâce aux enregistrements envoyés par les caméras de surveillance du magasin et au logiciel ultrasensible de reconnaissance faciale. Sanford précise:
Les récentes augmentations des vols à l'étalage sont liées à la hausse considérable du coût de la vie depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie et la crise énergétique qui s'en est suivie en 2022. Selon Lucy Brown, il ne suffit pas de blâmer les personnes socialement vulnérables ou les toxicomanes pour cette forme de criminalité. La responsable de la sécurité de la chaîne de grands magasins John Lewis et des magasins d'alimentation Waitrose parle de «cupidité, pas de besoin» (greed, not need):
La responsable met en cause des bandes organisées de criminels: «Ils vident systématiquement les rayons». Cela se répercute sur le bilan — et nécessite des contre-mesures. Dans les grandes filiales Waitrose, l'entreprise installe de plus en plus de miroirs cachés, notamment sur les rayons d'alcool et de viande. Les enquêteurs peuvent ainsi observer les délits en direct et intervenir immédiatement.
A Leeds, Ross, notre voleur professionnel, s'est fait prendre à plusieurs reprises. Il a été poursuivi pour 23 délits, dont 15 vols à l'étalage. Malgré cela, il revenait toujours sur les lieux de ses crimes pour se procurer l'argent nécessaire à sa dose de drogue quotidienne: Ross était dépendant des drogues dures, comme 70% des multirécidivistes selon les statistiques de la criminalité.
Ross est passé tout près de la prison, la dernière fois en mai, il a été condamné à une peine de prison avec sursis parce qu'il avait finalement entamé une cure de désintoxication peu de temps auparavant. Cela correspond à la règle, somme toute raisonnable, de ne pas mettre en prison les toxicomanes en cure de désintoxication, où circulent presque inévitablement des drogues dures.
Pendant ce temps, pour les détaillants, la lutte quotidienne contre le vol organisé se poursuit. La responsable du BRC, Helen Dickinson, souhaite une offensive ciblée de la police:
Traduit et adapté par Noëline Flippe