Fin octobre, son mari appelle Irina Sokolova depuis une forêt d'Ukraine. «Ils mentent à la télévision», lui dit-il d'une voix larmoyante, faisant référence aux propagandistes de la télévision publique russe. Les revers russes en Ukraine y sont minimisés, la guerre légitimée par des récits d'une grande menace occidentale contre la Russie par les Etats-Unis et l'Europe.
Irina Sokolova vit avec son fils d'un an à Voronej, une grande ville du sud-ouest de la Russie, à 300 kilomètres à peine de la frontière ukrainienne. Son mari a été mobilisé et envoyé à la guerre.
Sokolova, 37 ans, a récemment accordé une interview au journal américain Washington Post. Ses déclarations révèlent la réalité alternative que l'on fait miroiter à la population russe à travers les reportages de l'Etat. «Bien sûr, il n'avait aucune idée de l'horreur que ça allait être», dit Sokolova à propos de son mari:
Mais rien n'est parfait, ou presque. C'est ce que montrent les nombreux rapports de soldats russes sur les conditions dans certaines parties de l'armée. Il est régulièrement question de manque d'équipement, de formation au combat, et parfois même de nourriture et d'eau.
Le mari de Sokolova a été appelé à l'armée le 22 septembre dans le cadre de la mobilisation partielle de Vladimir Poutine. Il aurait expliqué à sa femme qu'il n'était pas prévu qu'il reçoive une formation militaire et que, dès le 26 septembre, il serait en Ukraine.
Fin octobre, il appelle enfin son épouse. Il a survécu à une bataille avec beaucoup de chance. Nombre de ses camarades ont été tués, raconte le mari à sa femme. Avec deux d'entre eux, il a réussi à se mettre en sécurité dans une forêt, mais sans sac à dos ni équipement.
«Ils ont été jetés au feu, pour ainsi dire, sur la toute première ligne de front, mais ce ne sont pas des soldats. Ils ne savent pas comment se battre», raconte Irina Sokolova. Et elle ajoute que son mari souffre de fortes douleurs et d'une pancréatite. «Je sens à quel point c'est terrible pour lui là-bas», dit-elle, «mon cœur est déchiré».
Le partenaire de Yana (on ne connaîtra que son prénom), une ouvrière de Saint-Pétersbourg, a également reçu un ordre de marche, elle témoigne de sa situation au Washington Post. Jusqu'alors, elle était clairement partisane de la guerre en Ukraine.
Mais réalité semble avoir changé pour Yana. Elle aussi raconte au journal américain le manque d'équipement et de formation de son mari. Les réserves étant limitées, il ne reçoit même pas assez de nourriture et d'eau. «Ils n'ont pas d'ordres ni de tâches à accomplir», poursuit la Russe. «J'ai parlé à mon mari, hier, et il m'a dit qu'ils ne savaient pas quoi faire. Ils ont tout simplement été abandonnés et ont perdu toute confiance, toute foi dans les autorités».
La Russe décrit son quotidien, avant le grand départ. Elle parle de l'appartement où elle vit avec son mari et leur fils de quatre ans, elle explique que la télévision y était toujours allumée, psalmodiant les messages du Kremlin. Elle entendait que la Russie se battait contre les Etats-Unis et non l'Ukraine. «Nous ne connaissions rien d'autre», constate Yana:
L'un des derniers messages de Soloviev où il menace l'Europe d'attaques militaires. 👇
Solovyev threatens Europe with new strikes saying that "yesterday it finally became clear that we have an understanding of what to do and how to do it".
— Anton Gerashchenko (@Gerashchenko_en) November 16, 2022
"Europeans, are you sure you're all right?", he asks. pic.twitter.com/7VMgC1A1Oa
Après la mobilisation de son mari, elle s'est séparée de sa télévision qui l'a rendue «agressive», confie-t-elle. La Russe explique qu'elle craint pour la vie de son mari, mais elle n'en veut pas à Vladimir Poutine qui est «un homme intelligent».
On ne sait pas si c'est réellement son opinion ou s'il s'agit d'une déclaration pour ne pas avoir d'ennuis. Ce qui est clair, en revanche, c'est que Yana souffre, elle aussi: «Nous sommes complètement désorientés, désemparés et nous nous sentons abandonnés. Nous pleurons du matin au soir».
Sa compagne dans la souffrance, à des centaines de kilomètres de là, Irina Sokolova conclut en disant que seuls les Russes proches des soldats engagés dans la guerre sont conscients de la situation:
(con)