Lorsque Vladimir Poutine a lancé sa guerre en Ukraine, l'Europe a réagi rapidement pour limiter l'espionnage russe. Depuis le 24 février 2022, les pays de l'UE ont expulsé 500 à 600 espions russes déguisés en diplomates.
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L'Allemagne, par exemple, a été très dure. Elle a mis à la porte 70 diplomates russes ces deux dernières années et a également décrété que la Russie devait fermer quatre de ses cinq consulats généraux du pays: Francfort-sur-le-Main, Hambourg, Leipzig et Munich.
Même la Belgique, qui avait jusqu'à récemment laissé faire les diplomates russes, prend désormais des mesures pour limiter l'espionnage russe. C'est particulièrement important pour l'Occident, car Bruxelles abrite le siège de la Commission européenne et de l'Otan. La capitale belge a donc longtemps été un hotspot des activités de renseignement russes.
L'espionnage russe a été «considérablement affaibli» dans de nombreux Etats européens, écrivait déjà le Service de renseignement de la Confédération (SRC) dans son rapport «Sécurité de la Suisse 2023». Et le groupe de réflexion londonien Royal United Services Institute (Rusi) estime que Poutine a subi un «véritable revers».
Deux pays servent encore de base à Poutine pour des activités d'espionnage étendues en Europe: l'Autriche et la Suisse. En Autriche, la Russie dispose actuellement de 120 diplomates russes. Mais depuis 2020, la république alpine en a expulsé onze. Et elle se trouve actuellement confrontée à l'une des plus grandes affaires d'espionnage de son histoire.
L'Autrichien Jan Marsalek, cadre de Wirecard jusqu'au 18 juin 2020, aurait été un agent infiltré au service de Moscou et aurait dirigé un groupe d'espionnage bulgare. Selon le parquet de Vienne, il avait même des informateurs directement au sein de l'appareil de sécurité viennois. C'est ce que révèle l'enquête menée par la Süddeutsche Zeitung avec les chaînes de télévision WDR et NDR.
Marsalek a depuis disparu – vraisemblablement en Russie. Il fuit également les autorités pénales allemandes, qui le recherchent pour fraude – il est le principal suspect de la falsification du bilan de Wirecard pour un montant de 1,9 milliard d'euros.
Les espions de Poutine n'ont donc plus que la Suisse comme havre de paix en Europe. Au total, 218 diplomates russes y travaillent depuis le 1er mars 2024 – c'est presque deux fois plus qu'en Autriche. 75 d'entre eux sont actifs à Berne, 143 à Genève autour de l'ONU et de l'OMC. Selon les chiffres du ministère des Affaires étrangères, le nombre de diplomates russes se situe dans la fourchette de 2017 (224) et 2022 (223). Le SRC part du principe qu'«au moins un tiers» travaille pour les services de renseignement russes, comme il l'écrit dans son état des lieux de 2023. Les initiés parlent d'environ 80 espions.
Mais les choses se compliquent désormais en Suisse aussi pour les espions russes déguisés en diplomates. Le Conseil national a déjà approuvé en décembre une motion de sa commission de politique extérieure (CPE) visant à «expulser systématiquement les espions russes et autres agents étrangers». La décision a été prise par 103 voix contre 74 et 19 abstentions. L'UDC et une grande partie du PLR se sont opposés à cette expulsion.
Le service de renseignement suisse souligne lui aussi que «la plus grande menace actuelle d'espionnage provient des services de renseignement russes», comme l'explique son porte-parole Nicolas Kessler à la Schweiz am Wochenende.
Le SRC soutient-il la motion de la CPE? «Par principe, le SRC ne commente pas le travail du Parlement», se contente de répondre le porte-parole. Les initiés supposent toutefois que le service secret souhaite prendre des mesures contre les agents étrangers en Suisse.
C'est aussi ce que veut désormais le Conseil des Etats. Sa commission de politique extérieure a approuvé vendredi passé, par huit voix contre quatre, l'expulsion systématique des espions russes et autres. Elle suit ainsi le Conseil national.
Détail intéressant: au Conseil des Etats, ce n'est pas seulement le PLR qui était divisé, mais aussi le Centre, qui avait pourtant voté en bloc en faveur du oui au Conseil national.
Si le Conseil des Etats suit la recommandation de sa commission, l'expulsion d'espions russes sera une chose décidée – et ce contre la volonté du ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis. Celui-ci craint des mesures de rétorsion de la Russie contre les 14 diplomates qui représentent la Suisse à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Cassis pense également qu'une telle démarche nuirait à la conférence de paix suisse au Bürgenstock.
Même en cas de oui du Parlement, le Conseil fédéral ne procéderait pas à une expulsion de masse immédiate. La conseillère fédérale Amherd a expliqué en décembre au Conseil national la procédure à suivre. Chaque cas d'expulsion devrait d'abord être discuté par la Délégation du Conseil fédéral pour la sécurité en fonction des questions juridiques, économiques et politiques. Cette commission est composée de membres du Conseil fédéral issus des départements des affaires étrangères, de la justice et de la défense.
Après cet examen au cas par cas – et c'est ce qu'exige la Constitution fédérale, a souligné Amherd – le cas serait soumis à l'ensemble du Conseil fédéral.
Lors du débat, le conseiller national UDC Roland Büchel a demandé à la conseillère fédérale pourquoi le Conseil fédéral approuve de la motion.
Cela montre bien que le gouvernement ne veut pas que la Suisse devienne une plaque tournante de l'espionnage.
Poutine lui-même a déjà réagi aux barrières auxquelles il se heurte désormais en Europe, comme l'écrit le groupe de réflexion londonien Rusi. La Russie recruterait à présent des étudiants étrangers pour ses services de renseignement, ceux-ci reçoivent des bourses de Moscou. En outre, Poutine chercherait à entrer en contact avec le crime organisé à l'étranger et la communauté russe en exil. C'est ainsi qu'il voudrait à l'avenir faire venir ses espions en Europe.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci