Comment Moscou a dupé l'Occident pour protéger ses armes nucléaires
Cela fait plus de dix ans que l'Occident impose des sanctions à répétitions contre la Russie. D'abord, à la suite de l'annexion illégale de la Crimée, en 2014. Ensuite, en réaction à l'invasion de l'Ukraine, en février 2022. Pas plus tard que ce mercredi, l'UE a annoncé son 19e paquet de mesures destinées à «tarir les ressources du Kremlin», suivie par les Etats-Unis.
Leur efficacité semble toutefois bien limitée. C'est ce que suggèrent les résultats d'une vaste enquête publiée ce jeudi et qui démontre, une fois de plus, la capacité de Moscou à contourner les sanctions occidentales.
Menée par une dizaine de médias, dont le Monde, l'enquête révèle comment la Russie s'est servie d'équipements technologiques de pointe achetés à des entreprises occidentales, qu'elle a utilisés à des fins militaires. Ces produits, qui comprennent de milliers de kilomètres de câbles sous-marins, de capteurs, des sonars et des drones, forment un immense réseau de surveillance déployé dans les fonds de la mer de Barents, au nord du cercle polaire arctique.
Baptisé «Harmonie», ce système secret s'étend de la ville de Mourmansk, principal bastion de la flotte nucléaire russe, à l'aéroport militaire de Nagourskoïé, situé en terre d'Alexandra, en passant par la Nouvelle-Zemble (voire la carte ci-dessus). Son objectif: détecter les sous-marins de l’Otan et protéger ainsi les sites nucléaires de Moscou dans la région.
«Ces matériels forment un système intégré, capable de surveiller de vastes étendues dans l’Arctique, où une bonne partie des sous-marins russes assurent la dissuasion nucléaire de Moscou», précise le Monde.
Des biens à «double usage»
L'enquête a permis d'établir que les câbles sous-marins ont été posés entre 2018 et 2025. Le projet, lancé il y a dix ans, a donc pu voir le jour malgré les sanctions occidentales. Le Monde commente:
Comment cela a-t-il pu être possible? Le Monde précise que les équipements que la Russie s'est procurés, parmi lesquels figurent des câbles optiques allemands, des sonars américains de haute précision ou des drones submersibles britanniques, sont pensés pour des applications civiles à but scientifique ou industriel. Ils peuvent toutefois être utilisés à des fins militaires. C'est ce que l'on appelle des biens «à double usage».
Depuis 2021, ces biens font l'objet d'une réglementation européenne. Les plus sensibles d’entre eux doivent désormais obtenir des autorisations d’exportation délivrées par les Etats.
Réseau complexe de sociétés-écrans
Ce qui soulève une question centrale: les entreprises ayant vendu ces composants technologiques savaient-elles qu'ils étaient destinés à la Russie? La réponse globale est «non». «Notre enquête montre que Moscou a avancé masqué, selon un mode opératoire prisé du Kremlin», indique le Monde.
Les journalistes ont remonté la piste jusqu'à une petite société basée à Chypre, appelé Mostrello. Décrite comme «l’entité organisatrice du système», cette entreprise a «multiplié les couches d’opacité», permettant d'«effacer toute trace de propriété réelle». Les investigations ont, pourtant, permis de démasquer son véritable propriétaire: il s'agit d'Alexeï Streltchenko, un homme d'affaires moscovite proche du pouvoir et du complexe militaro-industriel russe.
C'est donc avec cette société que les fabricants occidentaux ont conclu leurs affaires, comme une partie d'entre eux l'a confirmé aux journalistes. Les entreprises impliquées ont souligné «avoir respecté l’ensemble des réglementations applicables».
«Rien ne prouve que ces constructeurs aient eu connaissance de l’usage qui serait fait de leurs produits», résume l'enquête. Si certaines zones d'ombre subsistent, notamment au sujet d'un fabricant allemand, une chose est sûre, conclut le Monde:
(asi)
