A plusieurs milliers de mètres sous la surface, des câbles en fibre optique nous relient aux populations de l'autre côté du globe. S'ils venaient à être endommagés, l'accès à Internet pourrait être paralysé sur des continents entiers. Depuis quelques années, des navires et sous-marins russes sont régulièrement aperçus près de ces câbles transatlantiques et de ceux situés en mer Baltique.
Plusieurs sources mettent désormais en garde contre une action ciblée imminente de la part du Kremlin. Dimanche et lundi, différents pays ont annoncé la coupure de plusieurs câbles importants. Ces derniers jours, deux câbles sous-marins ont été sectionnés, l'un reliant l'Allemagne à la Finlande, l'autre la Lituanie à la Suède.
La police finlandaise, à l'image de son homologue suédoise, a ouvert une enquête et «s'efforce d'établir ce qui s'est passé lors de l'incident». Dans le même temps, les responsables politiques occidentaux ont fait part de leurs inquiétudes:
Le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, n'a pas hésité à évoquer un «sabotage».
Dernièrement, les Etats-Unis ont constaté une augmentation des activités militaires russes à proximité d'importants câbles immergés. La Russie s'apprête à mener des actions de sabotage et à mettre ainsi hors service une partie importante de l'infrastructure de communication mondiale, ont affirmé deux fonctionnaires américains sur CNN. Ils s'inquiètent de l'importante activité navale et craignent que la Russie ne passe bientôt à l'attaque.
L'Otan se montre également de plus en plus préoccupée par cette menace. L'alliance occidentale renforce actuellement ses mesures de protection des câbles, car comme a déclaré un fonctionnaire de l'Otan à Business Insider:
Les câbles sous-marins sont un élément essentiel de la civilisation humaine du 21e siècle. Ils transportent tout, des communications aux données financières en passant par le streaming. De plus, ils peuvent transmettre des quantités de données bien plus importantes que les satellites de communication les plus puissants. Enfin, les signaux transmis par les fonds marins sont nettement plus rapides que ceux envoyés par radio dans l'espace.
Mais comme les satellites, les câbles sont difficiles à modifier, à réparer ou à prolonger. C'est pour cette raison qu'une action de sabotage russe est si menaçante, car le remplacement prendrait beaucoup de temps.
Le premier câble transatlantique en eau profonde entre l'Irlande et l'Amérique du Nord a été mis en service dès août 1858. Cette «heure de gloire de l'humanité», comme l'a célébrée l'auteur Stefan Zweig dans son œuvre éponyme, a toutefois fait un flop. La première transmission d'un télégramme de félicitations de la reine britannique au président américain a duré 16 heures. Un mois plus tard, le câble ne fonctionnait plus – la gaine avait probablement été endommagée lors de la pose.
La technologie de transmission de données sous l'eau a été régulièrement améliorée jusqu'à ce que les premiers câbles à fibres optiques soient installés à partir des années 1980.
Un accident survenu il y a plus de dix ans montre à quel point une panne de câble peut être radicale: le 28 février 2012, un navire a coupé un câble sous-marin avec son ancre dans le port de Mombasa (Kenya), paralysant ainsi une partie importante de la connexion Internet de l'Afrique de l'Est.
Selon les Etats-Unis, la menace actuelle sur les infrastructures provient d'une unité spéciale. Selon des déclarations d'officiels américains à CNN:
Le nom complet de l'unité est General Staff Main Directorate for Deep Sea Research. Elle est subordonnée au ministère russe de la Défense, mais elle opère dans le plus grand secret et n'apparaît pas dans la structure officielle du ministère sur le site web.
Le GUGI a été créé en 1963 et était déjà une unité d'élite à l'époque soviétique. Les candidats à l'adhésion devaient être des officiers et avoir au moins cinq ans d'expérience dans le service des sous-marins. Aujourd'hui, les membres sont rémunérés pour leur engagement à des profondeurs extrêmes avec des salaires généreux pour la Russie de 600 000 roubles par an, soit environ 5800 euros par mois, rapporte Business Insider.
L'unité exploite une flotte de navires de combat, de sous-marins et de micro-sous-marins qui lui permettent de mener des opérations de reconnaissance et de sabotage des fonds marins. Le navire-espion Yantar, qui sert de navire-mère à deux sous-marins miniatures, est particulièrement actif. En 2015, il a été repéré au large de l'Amérique du Nord, en 2016 au large de la Syrie et en 2021 au large de l'Irlande, toujours à proximité immédiate des câbles sous-marins.
Le sous-marin Belgorod fait également partie de la flotte GUGI. Chef des espions sous-marins russes, Vladimir Grichetchkine expliquait en 2021:
Vladimir Grichetchkine est rapidement passé d'ingénieur d'un groupe de navigation à commandant en chef d'un grand sous-marin nucléaire. De là, il n'a cessé de gravir les échelons de la hiérarchie militaire russe, jusqu'à ce que Vladimir Poutine lui confère le rang de vice-amiral en 2018. En 2021, il est devenu chef du GUGI après le décès de son prédécesseur.
Après l'invasion russe de l'Ukraine, l'unité secrète a gagné en importance auprès des dirigeants russes, confie un fonctionnaire américain à CNN. Les Etats-Unis prennent très au sérieux la menace qui pèse sur les infrastructures sous-marines et considèrent un sabotage des câbles comme «une escalade considérable de l'invasion russe».
On ne sait pas exactement ce que fait le GUGI dans les mers du monde. Mais si l'unité coupe effectivement les câbles sous-marins qui s'y trouvent, nous ne le saurons probablement que lorsqu'il sera trop tard et qu'il n'y aura plus de transmission de flux.
Traduit et adapté par Noëline Flippe