Pour quelles raisons le président américain Joe Biden a-t-il autorisé l’Ukraine à faire usage de missiles pouvant frapper le sol russe?
Dominique Moïsi: Pour montrer à la Russie que le monde occidental aussi est prêt à accompagner l’Ukraine dans une forme d’escalade. L'autorisation accordée par Joe Biden se situe non pas tant, bizarrement, dans une logique militaire que dans une logique diplomatique.
C'est-à-dire?
Il s’agit de préparer la grande négociation qui va avoir lieu. Biden dit à Poutine: toi, tu envoies des soldats nord-coréens combattre en Ukraine, tu détruis les installations énergétiques ukrainiennes, eh bien, moi, j’autorise les Ukrainiens à utiliser des missiles de longue portée pour détruire en Russie les bases d’où partent les missiles qui détruisent les installations énergétiques ukrainiennes.
Est-ce qu’il faut voir, aussi, dans cette autorisation de l’emploi des armes à longue portée, un message adressé au président élu Donald Trump, ainsi qu’au peuple américain?
Oui, il y a là la volonté, pour Biden, de montrer qu’il prend des décisions dans un domaine où les Etats-Unis ne peuvent pas rester inactifs, alors qu’on ignore quelle est véritablement la position de Donald Trump, qui paraît un peu ambiguë.
L’Ukraine va-t-elle réellement recourir à ces missiles à longue portée pour détruire des objectifs en Russie?
L’emploi de ces armes par les Ukrainiens ne va pas changer le rapport de force de manière spectaculaire sur le terrain. C’est trop tard, ce n’est pas l’ambition. Mais il n’empêche que ces armes seront utilisées par les Ukrainiens, et sans doute très rapidement.
Vladimir Poutine va-t-il faire à nouveau un chantage à l’emploi de l’arme atomique?
C’est possible, mais on peut penser que Poutine prépare la phase d’après. Et la phase d’après, c’est Trump. Pour le moment, la seule réaction qu’on ait du côté de Moscou est celle du porte-parole du Kremlin, qui accuse les Etats-Unis de «jeter de l’huile sur le feu», sans rien dire de précis sur la réaction russe vis-à-vis des Etats-Unis. Bien sûr, on doit s’attendre à une réaction de Poutine en personne, mais peut-être pour dire qu’il attend que l’Amérique redevienne raisonnable avec Trump.
Est-ce que le recours par Poutine à des forces nord-coréennes rend en quelque sorte légitime le durcissement côté occidental?
L’intervention de troupes nord-coréennes ne me paraît pas décisive sur le plan militaire, mais elle est importante symboliquement. Elle traduit une sorte d’internationalisation du conflit. Dans l’esprit de Poutine, il s’agissait, en faisant intervenir des Nord-Coréens dans la guerre, de signifier aux Ukrainiens qu’ils sont bien seuls et déjà pas assez nombreux face aux forces russes, que le rapport de force joue contre eux et qu’il est temps de négocier à ses conditions.
Quelle pourrait être la solution diplomatique?
On pense à la guerre en Corée et à l’armistice signé le 27 juillet 1953 à Panmunjom. Ces accords ont gelé le front et mis fin au conflit entre le Nord communiste et le Sud soutenu par l’Occident. Des accords qui n’ont rien réglé de manière définitive, qui ne disent pas que la division de la Corée est éternelle. Il y a donc le modèle coréen qui pourrait servir pour l’Ukraine, mais il y a aussi le modèle allemand avec la division entre l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est.