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«Je crains que Poutine n'hésite pas déclencher son plan poison»

Des agents de sécurité en tenue de protection après l'attaque au Novitchok contre l'ancien espion russe Sergueï Skripal à Salisbury, en Grande-Bretagne, en 2018.
Des agents de sécurité en tenue de protection après l'attaque au Novitchok contre l'ancien espion russe Sergueï Skripal à Salisbury, en Grande-Bretagne, en 2018.image: Imago-Images

«Ce poison russe pourrait tuer des millions de gens»

Le Russe Wil Mirsajanov a développé une substance mortelle avant de paradoxalement contribuer à dévoiler au grand jour le programme illégal d'armes chimiques soviétique. Il en est certain: «Sous Poutine, ces dernières ont avancé dans les mêmes proportions que durant l'URSS».
02.10.2025, 05:3502.10.2025, 07:08
Ivan Ruslyannikov / ch media

Depuis le début des années 1970, le chimiste soviétique Wil Mirsajanov faisait partie de l'équipe qui a développé le Novitchok, ce poison agissant sur le système nerveux. Il en est résulté une arme chimique dont un milligramme suffit à tuer un être humain. Elle a été intégrée à l'arsenal de l'armée de l'époque.

Aujourd'hui, Mirsajanov a 90 ans et vit aux Etats-Unis, où il s'est installé en 1995. Il regrette encore d'avoir donné son feu vert au Novitchok après de nombreux tests. En 2018, l'ancien agent double russe Sergueï Skripal et sa fille ont été empoisonnés au Novitchok à Salisbury. Le Royaume-Uni avait alors accusé des agents russes.

Wil Mirsajanow
Wil Mirsajanowimage: zvg

Deux ans plus tard, le principal opposant à Vladimir Poutine, Alexeï Navalny, a été victime d'une attaque similaire. Il a été soigné en Allemagne et a survécu. Navalny est retourné en Russie, où il a été arrêté et condamné aux travaux forcés lors d'un procès-spectacle. Il y est décédé en 2024.

Sa femme, Ioulia Navalnaïa a récemment publié des éléments inédits concernant les circonstances du décès de son mari. Sur une photo de sa cellule, on distingue des traces de sang et des vomissures. De plus, d'après les déclarations de sa veuve, le politicien a souffert de convulsions et d'une hémorragie au niveau du sommet du crâne avant sa mort. Nos questions à l'inventeur d'un poison mortel.

L'entourage de Navalny affirme qu'il a été empoisonné. Est-ce le Novitchok qui l'a tué?
Wil Mirsajanov:
Je ne pense pas. Au moment de sa disparition, le Novitchok figurait déjà sur la liste de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques à La Haye. Je ne pense donc pas que le Kremlin aurait décidé d'utiliser une substance déjà connue et d'enfreindre ainsi cette convention. Je suppose que Navalny a été empoisonné avec un nouveau produit qui ne figurait pas encore sur ce traité international.

Les symptômes observés donnent-ils des indications sur la nature du poison?
Il n'y a eu aucun rapport indiquant que Navalny aurait perdu la vue peu avant sa mort. Les toxines de la classe du Novitchok provoquent non seulement des convulsions et des vomissements, mais aussi un fort rétrécissement des pupilles, suivi d'une paralysie.

«Je soupçonne donc que Navalny a été empoisonné avec une nouvelle substance dont la composition est encore inconnue»

D'après ce que nous savons, son équipe a réussi à faire sortir certains biomatériaux du pays pour les faire analyser à l'étranger. J'espère que les experts occidentaux parviendront à détecter des traces ou des produits de dégradation de la substance toxique.

Quel est l'effet du Novitchok sur l'être humain?
Il s'agit d'un poison très toxique, dont l'ingestion entraîne des conséquences irréversibles et incurables pour l'organisme. Heureusement, il y a eu des progrès et les médecins militaires britanniques et allemands connaissent déjà les indications cliniques pour les personnes empoisonnées au Novitchok. C'est essentiellement un poison neurotoxique et paralysant qui attaque surtout le système nerveux central. Après l'empoisonnement, il bloque en général les signaux que le cerveau doit envoyer à divers organes.

«La respiration et le rythme cardiaque s'arrêtent, et la personne meurt. Un peu moins d'un milligramme suffit pour tuer une personne»

Que faisiez-vous exactement dans l'institut secret de l'URSS qui a développé le Novitchok?
Je ne l'ai pas synthétisé, mais bien développé. Ensuite, j'ai analysé comment il se comportait dans l'air, dans l'eau, dans le sol et sous forme d'aérosol. En tant que responsable en charge des tests interministériels à l'institut secret de chimie organique et de technologie, j'ai donné mon feu vert à l'intégration du Novitchok dans l'arsenal de l'armée soviétique. Il a été développé par le chimiste Youri Kirpitchev, et j'ai effectué des essais sur le terrain avec mes collègues à Shikhany, dans la région de Saratov, où se trouvait une succursale de notre institut.

«Aujourd'hui encore, je regrette ce que j'ai fait à l'époque, vous comprenez?»

C'était à moi de décider si l'armée allait intégrer le Novitchok ou non. Je m'en veux aujourd'hui encore d'avoir commis un acte aussi stupide, qui a eu par la suite des conséquences tragiques.

Quelle était l'importance du développement des armes chimiques pour l'URSS?

«Il faut comprendre qu'il ne s'agit pas simplement d'un poison, mais d'une arme de destruction massive. Et elle devait servir pour des missiles et des obus d'artillerie»

Le problème, c'est qu'en cas d'utilisation du Novitchok dans une guerre, ce serait avant tout la population civile qui souffrirait. Les dirigeants de l'URSS affirmaient ne pas développer d'armes chimiques, nous travaillions donc pour ainsi dire dans l'illégalité. Malgré ses déclarations en faveur de la démocratie et de la perestroïka, Mikhaïl Gorbatchev était avant tout un communiste et un produit du système soviétique. En 1991, il a décerné l'Ordre de Lénine au directeur de l'institut où je travaillais et à deux chefs de l'armée pour leur travail fructueux dans le développement d'armes chimiques. Une marque claire de son soutien. J'en ai parlé dans mon livre, State secrets: an insider’s chronicle of the Russian chemical weapons program (Secrets d'Etat: chronique d'un initié sur le programme russe d'armes chimiques).

Votre article La politique empoisonnée est paru en 1992, à la suite de quoi vous avez été licencié et poursuivi en justice pour trahison de secrets d'Etat. Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire cet article?
Je voulais informer le monde entier que l'URSS avait mis au point un type d'arme terrible, dont l'efficacité était huit fois supérieure à celle des toxines connues à l'époque. Comme il n'y avait absolument aucune inspection en Union soviétique, le développement secret du Novitchok a pu se poursuivre en cachette: on prétendait par exemple travailler sur des pesticides agricoles, alors qu'il s'agissait en réalité de composants pour des armes chimiques. Cela m'a beaucoup inquiété à l'époque, et j'ai écrit ce texte pour alerter l'opinion publique. J'ai alors été arrêté par le KGB et accusé de divulgation de secrets d'État.

Comment avez-vous réussi à faire abandonner les poursuites pénales contre vous en 1994?

«Je me demande encore pourquoi le KGB ne m'a pas éliminé»

Au cours de l'enquête, j'ai dû consulter mon dossier pénal. Les documents contenaient entre autres des informations sur la fabrication d'armes chimiques. J'ai étudié près de 60 documents portant la mention «top secret» et les ai consignés dans mon carnet. Les enquêteurs ont voulu m'en empêcher, mais je leur ai répondu que dans ce cas, je ne signerais jamais que j'avais pris connaissance des documents du dossier pénal et que l'affaire ne serait donc pas portée devant les tribunaux. Chaque jour, je me rendais au bureau des enquêteurs, je notais tout dans mon carnet, puis je le tapais à la machine chez moi et je me rendais au bureau moscovite de Greenpeace, d'où tout était envoyé aux États-Unis. Cela a fait beaucoup de bruit, des sénateurs et des membres du Congrès américains ont pris ma défense et, apparemment, la procédure pénale à mon encontre a été classée sans suite en raison de la pression publique, pour «absence de faits».

Vous avez ensuite vous-même fui vers ce pays.
J'ai lutté pendant une année entière pour obtenir un passeport. En 1995, j'ai reçu un visa et je me suis envolé pour les États-Unis à l'invitation de l'American Association for the Advancement of Science. Elle m'a décerné le prix Liberté et responsabilité scientifiques pour mes «actions courageuses visant à dévoiler le programme russe illégal de fabrication d'armes chimiques». Je suis très fier de cette distinction.

«A l'époque, les Américains offraient de bonnes places aux chercheurs qui avaient fui la Russie, et j'ai postulé»

Je ne voyais plus d'avenir pour moi dans mon pays, et comme nous pouvons le constater aujourd'hui, la situation là-bas n'a fait qu'empirer.

Selon vous, quels changements le Novitchok a-t-il subis pendant le mandat de Vladimir Poutine?
Sous Poutine, je suis sûr que les armes chimiques ont avancé dans les mêmes proportions qu'à l'époque de l'Union soviétique. Je suppose que Navalny a été empoisonné en prison avec une nouvelle substance à base de carbamate, principalement utilisée dans l'agriculture pour lutter contre les parasites. A mon avis, le chef du Kremlin possède plusieurs tonnes de substances toxiques sous forme de composants binaires à partir desquels on peut fabriquer de puissantes armes chimiques. Les composants binaires sont difficiles à détecter. De plus, la communauté internationale ne mène actuellement aucune inspection sur place.

«Si un milligramme de Novitchok suffit à tuer, les stocks de la Russie, qui s'élèvent à plusieurs tonnes, pourraient faire des millions de victimes»

Des obus d'artillerie remplis de Novitchok, on ne préfère pas y penser. Je crains que Poutine, s'il se trouve immobilisé et acculé, n'hésite pas à déclencher son plan. Poutine n'hésite en général pas trop lorsqu'il s'agit de tuer des êtres humains, c'est même son credo.

(Adaptation en français: Valentine Zenker)

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