Les époux Lopatine préparent un voyage particulier: leur départ du Kazakhstan pour la Russie, comme des dizaines de milliers de Russes ethniques quittant chaque année l'Asie centrale depuis la chute de l'Union soviétique pour rejoindre la terre de leurs ancêtres.
Dans leur appartement à Chakhtinsk, Tatiana et Dmitri glanent des conseils sur un groupe Telegram spécialisé intitulé «le chemin de la maison».
Les Lopatine veulent déménager à Omsk en Sibérie, lieu de leurs «racines historiques». «Nous devons encore choisir la façon dont nous allons partir», poursuit Tatiana, «soit par nous-mêmes, soit dans le cadre du programme de réinstallation», organisé par la Russie.
Ce programme pour rapatrier les «compatriotes de l'étranger» s'adresse en premier lieu aux Russes ethniques, mais aussi à toute personne originaire d'URSS. Il offre indemnités de déménagement dans une région prédéfinie, allocations chômage, voire terres.
Depuis 2006, environ 1,2 million de personnes ont immigré en Russie dans ce cadre, principalement depuis l'Asie centrale, sans compter ceux venus hors programme. Car la Russie manque de bras pour travailler et de femmes pour procréer, selon son président, Vladimir Poutine, la population chutant depuis trente ans.
Le dirigeant russe a rappelé début mars la nécessité de «soutenir le retour dans leur pays d'origine de nos compatriotes» et le martèle: l'amélioration de la démographie, «objectif national prioritaire», est «le défi le plus important» du pays. Mais depuis le début de la guerre en Ukraine, le programme attire moins: en 2024, seulement 31.700 personnes ont participé, le niveau le plus faible en quatorze ans. Espérant rendre la Russie plus attractive, Vladimir Poutine a instauré en 2024 un nouvel institut pour le rapatriement, aux conditions moins strictes, mais sans avantages financiers.
Le parcours de ces Russes ethniques citoyens des républiques centrasiatiques est grandement similaire. Leurs parents ont été envoyés en Asie centrale sous l'Union soviétique pour développer l'agriculture dans les steppes du Kazakhstan, extraire des matières premières des montagnes du Kirghizstan, construire des villes en Ouzbékistan ou des canaux d'irrigation dans le désert du Turkménistan.
Si tous louent la beauté de leur pays et la gentillesse des peuples locaux, ils ne voient plus de perspectives pour eux et leurs enfants dans cette région pourtant en plein développement. La Russie apparaît comme une bouée de sauvetage, parfois fantasmée au vu des faibles salaires des régions russes.
Puis, les appels de la famille «leur disant de venir» en Russie, les «souvenirs des vacances d'été» vers Moscou, les «faibles salaires» et les «difficultés à trouver un travail» au Kazakhstan les ont persuadés. Au Kirghizstan, Lioubov Tiassova, 50 ans, s'est résignée à quitter sa petite ville d'Orlovka. «Il y avait une majorité de Russes ici jusqu'à l'exode des années 1990», raconte-t-elle, se plaignant du chômage.
Sa fille diplômée en médecine «est partie, faute d'emploi, en Russie», où elle veut que son fils de 13 ans étudie.
A la chute de l'URSS, les Russes ethniques représentaient environ 20% de la population d'Asie centrale, contre 5% aujourd'hui. Et leur nombre absolu a chuté de neuf à quatre millions. En position dominante sous le communisme, les Russes ont depuis largement subi un déclassement social. Et le renforcement des identités centrasiatiques aux dépens de l'influence russe, notamment depuis l'invasion de l'Ukraine, les marginalise.
Il s'est envolé pour Voronej, «ne voyant pas de perspectives au Turkménistan» pour sa famille. En Ouzbékistan, Semion, informaticien de 35 ans, veut que ses deux filles soient dans un environnement russophone, car «même à Tachkent (la capitale) on parle de moins en moins russe».
Il vend son appartement, comme Valentina et Konstantin à Achkhabad, la capitale turkmène. «Nous commençons à faire nos bagages et, dès que nous trouvons un acheteur, nous partons», explique cette coiffeuse.